Artiste multimédia aux trajectoires atypiques, Alain Reullier réinvente archives et matériaux industriels pour en faire des œuvres contemporaines. Son travail, aujourd’hui exposé au Royaume-Uni, mêle mémoire technique et création artistique. “Je n'ai aucune barrière, je suis toujours à la recherche de nouveautés” nous confie-t-il.


Alain Reullier, artiste multimédia français installé entre la France et le Royaume-Uni, développe une pratique singulière mêlant archives industrielles, pièces aéronautiques et héritage graphique. Ancien graffeur devenu mécanicien sur porte-avions, il transforme aujourd’hui plans techniques et matériaux oubliés en œuvres qui réactivent notre mémoire collective. Exposé notamment au Silverstone Museum et au National Motor Museum de Beaulieu, il poursuit un travail où se rencontrent histoire, innovation et spontanéité créative.
Nous l’avons rencontré pour revenir sur son parcours, son lien avec le Royaume-Uni et ses projets à venir.
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En quelques mots, pouvez-vous vous présenter ?
Je suis artiste multimédia et plasticien, issu du graffiti dans les années 1990 en banlieue parisienne. Après m’être engagé dans la Marine nationale puis dans l’Armée de l’air, j’ai continué à créer tout en animant des ateliers artistiques pendant une dizaine d’années, c’est à ce moment que j’ai pu me construire un large réseau.
Devenu chef mécanicien sur porte-avions, j’y ai aussi installé mon atelier : j’ai commencé à travailler le plastique et des pièces aéronautiques vouées à la destruction. Cela m’a conduit à collaborer directement avec des industriels et à accéder à des matériaux uniques (pièces de Rafale, NH90…), ce qui a façonné mon style.
Aujourd’hui, je développe un projet exposé en Angleterre, notamment au Silverstone Museum et au National Motor Museum de Beaulieu, en partenariat avec British Motor Heritage. Nous travaillons sur une immense archive industrielle (près d’un million de plans d’usines historiques comme MG, Triumph, Mini…). Ces documents devaient être détruits : j’ai proposé de les transformer en œuvres d’art tout en conservant toutes les données techniques.
Ce travail a aussi révélé des plans classifiés datant de la Seconde Guerre mondiale, que je considère comme un devoir de mémoire et qui doivent absolument être préservés.

Vous êtes un “artiste multimédia”, qu’entendez-vous par là ?
Le caractère multimédia signifie que je n'ai aucune barrière et que je suis toujours à la recherche de nouveautés. Je peux ainsi peindre, sculpter ou, comme aujourd’hui, associer.
Effectivement, grâce à ma formation en aéronautique, je me suis formé à une technique de tressage qui consiste à utiliser un fil en acier inoxydable pour resserrer les vis soumises aux vibrations de moteurs de différents engins. Avec cette méthode, une idée m’est venue: au lieu de transformer la matière en la sculptant, je voulais créer à partir des éléments dont je disposais, sans les modifier. Ainsi, je me suis mis à assembler les pièces aéronautiques avec ce fameux fil d’acier. À mon sens, le résultat est moins figé et plus vivant qu’une sculpture.
De plus, mon caractère multimédia s'exprime dans le fait que je me sente à l’aise dans la découverte. Par exemple, je ne fais aucun dessin préparatoire, au grand malheur de mon agent. Mes principes fondamentaux dans la vie sont la spontanéité, la confiance et le lâcher prise ! J’aime arriver sur un projet sans le moindre à priori, presque les mains dans les poches (il rit).
En quoi est-ce-que le Royaume-Uni vous inspire ?
Quand j'étais petit, mon père était un grand admirateur de la culture anglaise: J'ai grandi avec la culture pop du pays, écouté leur musique des années 1980 et 1990, vu des films anglais en famille …. Malgré cela, mon niveau d'anglais n'est pas exceptionnel. Pour autant, le Royaume-Uni m'a toujours attiré et j’aimerais y vivre à temps plein à l’avenir. Pour l’instant, je suis entre la France et le Royaume-Uni.
J’ai une exposition qui va débuter d’ici fin Juin au National Motor Museum de Beaulieu et qui va durer au minimum six mois. Je suis en train de voir s’il sera possible de créer une résidence sur place pour pouvoir sauver un maximum de plans: il y a un travail de mémoire à faire, il y a énormément d’archives qui se multiplient avec le temps !
Pouvez-vous nous parler de votre œuvre “L’Entente cordiale” exposée au Consulat de France ?
En arrivant au British Motor Heritage, j’ai sympathisé avec la personne chargée de numériser les plans qui représente un intérêt technique pour l’entreprise. Grâce à lui, en fouillant leur poubelle, je suis tombé sur un calque de 1956 de Maurice Motor représentant une voiture française, ce que j’ai trouvé très significatif de l’espionnage industriel qui était en cours à l’époque.
À partir de ce calque, je voulais traduire quelque chose de positif et qui fasse le lien entre la France et l’Angleterre. J'ai choisi les acteurs principaux de l’Entente cordiale tels qu’ils avaient été pensés au début, car il y a ensuite eu une troisième partie.
Qu’est ce que ça représente d’être diffusé au Consulat pour vous ?
Avant tout, je me sens très fière d’être français. Puis cela mêle l’idée que je suis français, mais aussi que mon cœur est au Royaume-Uni. C’est à l’image de comment j’envisage mon expatriation au Royaume-Uni. Je veux y apporter ma vision, ma culture tout en me fondant dans la culture londonienne et plus largement anglaise.
En quoi votre ancienne carrière sur les portes avions se reflète dans vos œuvres ?
Pour moi, la Marine a été une ouverture sur le monde: Il s’agit d’une expérience immersive où l’équipage vit communément sur un bateau, où nous sommes habitués à travailler, dormir et vivre dans la promiscuité sur cet espace clos. Parallèlement, l’expérience permet de voyager sur l’immensité des océans et d’avoir une ouverture sur le monde exceptionnelle. C'est incroyable de se trouver entre le “très fermé” et le “très vaste”.
C'était une très bonne école que j’essaye à mon tour de transmettre aux jeunes qui m'entourent: Bougez, le monde est vaste ! N'ayez pas peur de vous mettre en danger. Être connecté au monde virtuel, c'est une chose, mais être connecté dans la vraie vie en est une autre. Je crois qu’il s’agit d’un véritable cadeau que j'ai reçu de ces moments, d'être proche des gens et de faire tant de rencontres. Étant plus jeune, j’étais très réservé, cela m’a beaucoup aidé à m’ouvrir, ce qui est essentiel pour un artiste.
En travaillant en tant que chef mécanicien sur des portes avions, j’ai pu découvrir la marine autant que l'aviation. Depuis, en plus de ces deux passions je m’intéresse aussi à l’automobile … à tout ce qui bouge finalement !
Si vous pouviez choisir un lieu au Royaume-Uni où être exposé, lequel serait-ce ?
L'idéal serait le Tate Britain, c’est un endroit magnifique et chargé d’histoire dans lequel passé et présent cohabitent harmonieusement. Dans ma pratique, je travaille beaucoup avec le passé pour lui redonner vie, lui faire traverser le temps. Ainsi, c'est un endroit qui me plaît beaucoup.
Des projets pour le futur ?
Nous voulons développer un projet au Musée national de l'automobile de Beaulieu. En plus d’exposer mon œuvre dans leur galerie, nous allons également organiser une résidence artistique autour de cette exposition.
Mon agent et moi avons acheté une voiture MG pour l’occasion. J’ai pour projet de la peindre en direct pendant l’exposition et de l’utiliser après. Ce serait en quelque sorte une œuvre d’art fonctionnelle. En effet, j’ai remarqué que les britanniques utilisent leurs véhicules, ce ne sont pas que des modèles d’exposition.
Cela peut paraître effrayant mais rien n'est définitif. Tout peut être changé, l’art est un redémarrage perpétuel. Il ne faut pas avoir peur de la nouveauté et garder un état d’esprit ouvert.
De plus, j’aimerais éventuellement faire venir des enfants dans cette résidence artistique pour les faire dessiner sur des photocopies de plans techniques: Je veux qu'ils aient accès à ces documents d'époque et qu’ils cultivent cette appréciation du passé.
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