Créé en 1872, le Speaker's corner de Londres, situé dans le nord-est d'Hyde Park, offre à chaque citoyen la liberté de s'exprimer chaque dimanche. Découverte de ce concentré de culture britannique, entre extravagance et totale liberté d'expression
(crédit photo: Snappybex/Flickr)
Ce premier dimanche d'octobre, les premiers frimas de l'automne ont envahi Hyde Park. Une brume légère, percée de rayons de soleil, enveloppe les pelouses du parc royal. L'air est frais, mais encore doux pour la saison. Dans le coin nord-est d'Hyde Park, les orateurs ont comme chaque dimanche pris place sur leur caisse de savon pour prêcher leur parole auprès des habitués des lieux ou simples touristes en vadrouille.
Pour se faire une place dans la masse, les tribuns du sunday vocifèrent plus fort que le voisin, affichent des banderoles avec gros caractères du style : "Why must you believe in resurrection". Les chrétiens en mission pour "convertir" les non-croyants sont légions. Quelques imams, ou se revendiquant comme tel, sont également là pour débattre du Coran ou, pour les plus extrémistes, se lancer dans une diatribe anti-Etats-Unis.
Mais le Speaker's Corner ne se réduit pas à une tribune ouverte aux orateurs pour asséner leur idéologie. Cette free speech zone est d'abord un lieu de débat, ou le public interpelle l'orateur et inversement. Ce jour-là, un violent pugilat verbal met aux prises un imam, accusant l'Algérie d'être une base militaire française, et de jeunes Maghrébins en violent désaccord avec cette pensée. Les curieux, une vingtaine, font cercle autour des débatteurs en toute quiétude.
Plus loin, dans un tout autre registre, un homme propose sa méthode pour se libérer de la Sex Addiction. Terry, la quarantaine vient de son propre aveu ?tous les weekend au Speaker's Corner pour aider mes compatriotes à s'échapper de leur addiction sexuel. J'ai vécu cela moi-même et j'utilise donc mon expérience pour soutenir les autres." Une cause qui peut faire sourire, mais symbolise à merveille le mélange d'extravagance et de liberté d'expression propre au Royaume-Uni.
Best of de discours au Speaker's Corner (1982)
Karl Marx et George Orwell à Hyde Park
Le sacro-saint "right to speak" d'Hyde Park remonte à la deuxième moitié du XIXe. En 1872, le Parks Regulation Act, permet aux autorités responsables des parcs londoniens d'ouvrir des espaces publics de débat. Contrairement aux croyances, le Speaker's Corner n'est donc pas l'unique zone de free speech de Londres. Légalement, tous les parcs de Londres peuvent être ouverts aux citoyens souhaitant exprimer leur point de vue.
Mais si Hyde Park devient dès la fin du XIX le lieu de rassemblements des ?orateurs libres'', ce n'est pas par hasard. Dès l'époque des ?Chartistes?, un mouvement ouvrier qui réclame le suffrage universel masculin entre 1838 et 1848, le plus grand parc royal de Londres devient un point de rassemblement. La Reform League, établie en 1865, organise également plusieurs manifestations géantes dans Hyde Park en faveur de l'adoption du suffrage universel masculin en 1866 et 1867.
Si la plupart des speakers n'appartiennent pas à de grands courants de pensée, plusieurs célébrités ont donné des discours à Hyde Park. Karl Marx, Lenin - alors en exil - ou George Orwell se sont ainsi exprimés sur la place publique au milieu de dizaines de quidams.
Un arrêt de la Haute-Cour de justice britannique de 1999 affirme que "la liberté de discours n'est pas limité à l'inoffensif mais étendue aussi à tout sujet extravagant, hérétique, provoquant ou non le bienvenue, et cela aussi longtemps qu'un tel discours ne tendrait pas à provoquer la violence".
A l'écart de l'agitation de ce dimanche, un professeur d'économie de l'université de Londres propose un cours sur l'évolution du capitalisme à quelques curieux. Dans l'assistance, un homme en costume noir, lunettes de soleils aux verres fumés, écoute attentivement. Accroché à son biceps, un brassard siglé "agent secret en mission". So Hyde Park.
Camille Belsoeur (www.lepetitjournal.com/londres) mercredi 10 octobre 2012