

Les habitués de la station de métro Bethnal Green ont pu remarquer de l'agitation la semaine dernière. À la sortie sud?est, sur Roman road, des pans gris se sont élevés cachant la vue sur le parc. Dans quelques mois, les habitants du quartier verront s'ériger un monument à la mémoire des 173 civils morts dans les escaliers de la station pendant la Seconde guerre mondiale piétinées suite à un mouvement de panique. Une tragédie gardée sous-silence pendant plus de soixante ans
(Crédit : Laurène Sénéchal)
Alf Morris ne pourra jamais oublier. Chaque fois qu'il passe à côté de la sortie sud-est de la station Bethnal Green, il replonge en 1943. "Encore aujourd'hui, je revis ce qui s'est passé?" Cela faisait déjà plus de trois ans que la guerre sévissait, bombardements et retentissements de sirène rendaient la population nerveuse. Ce jour-là, le 3 mars 1943, il avait plu. La sirène ordonnant à la population civile de se rendre aux abris pour se protéger des bombardements aériens se fit entendre. Il faisait déjà noir. Plus de mille personnes se sont alors précipitées dans les profondeurs de la station Bethnal Green. Une personne a glissé sur les marches entrainant la chute de plusieurs autres. Mais alors que les bombardements se rapprochaient, la population effrayée a continué à avancer pour entrer se mettre à l'abri. "J'ai été sauvé par une femme ce jour-là, raconte Alf qui avait 13 ans au moment de la tragédie. Il y avait tellement de corps, qu'ils bouchaient la seule entrée. Cette femme a mis un doigt sur ma bouche et m'a dit, toi, tu descends rejoindre les autres et tu ne dis rien. La dernière chose qu'ils voulaient, c'était de provoquer un deuxième mouvement de panique." Alf s'est tu pendant soixante-trois ans.
(Crédit : Laurène Sénéchal)
Un architecte brise le silence autour du drame de Bethnal Green
C'est un architecte qui a finalement réveillé ce qui était enfoui. Sur son chemin pour aller au travail, Harry Paticas aperçoit la petite plaque à la mémoire de ceux qui étaient morts le 3 mars 1943. "J'ai vu la plaque et j'ai pensé : c'est cette plaque qui représente ce qui s'est passé. Ce soir-là, je suis rentré chez moi et j'ai fait des recherches. J'ai lu à propos de la tragédie de Bethnal green et j'ai trouvé que la façon dont cela s'était réellement passé était une histoire incroyable. Quelques jours plus tard, en redescendant ces mêmes escaliers, j'ai eu l'idée de créer un mémorial."
C'est donc, de manière inattendue, l'architecte qui a pris les devants pour recontacter les victimes. En publiant une première esquisse d'un mémorial dans le journal local, il est rentré en contact avec Alf Morris. "Il avait écrit une lettre au journal. J'ai demandé son adresse et je me suis rendu chez lui. Quand je me suis présenté, il m'a dit : "Harry, j'ai attendu 60 ans que quelqu'un comme vous vienne." Et il avait les larmes aux yeux, c'était un moment extrêmement émouvant. J'ai réalisé que, sans vraiment le savoir, j'avais ouvert quelque chose." Cette rencontre entre les deux hommes a permis l'organisation de la première cérémonie à la mémoire des victimes plus de soixante ans après les faits. Sandra Scotting raconte : "Il y a une annonce qui est parue dans le journal local. Le 3 mars 2006, les survivants et les familles de victimes se sont réunies pour la première fois à l'église St Jon Bethnal Green. Le hall de l'église était bondée jusqu'aux portes extérieures." La famille de Sandra a vécu la tragédie de Bethnal Green. Pour la première fois, les langues se sont déliées. "Je savais qu'il y avait eu un drame à la station Bethnal Green. Je savais que ma grand-mère et mon cousin de deux ans étaient morts. Je savais que ma mère et ma tante avaient survécu. Mais elles n'avaient jamais parlé de ce qui s'était vraiment passé," confie Sandra Scotting.
(Crédit : Laurène Sénéchal)(Alf Morris en gilet jaune et Sandra Scotting à gauche)
Moment d'émotion et de soulagement pour ceux qui avaient porté pendant si longtemps ce lourd secret, cette première rencontre a aussi permis de lancer le projet de la construction d'un monument au mort. Tout le monde s'est accordé sur le dessin d'Harry Paticas. Mais restait encore à trouver le financement. La fondation "Stairway to heaven memorial" a été créée pour recueillir des fonds. Alf en est naturellement devenu le président et Sandra la secrétaire.
Les escaliers qui conduisent au paradis
Six ans après, le projet se concrétise enfin. Jeudi 1er mars, les premiers coups de pioche dans la terre du parc Bethnal green ont marqué le début des travaux pour la construction du mémorial Stairway to Heaven. Comme l'indique son nom, ce monument sera constitué d'escaliers. Harry voulait représenter l'espace où avait lieu la tragédie. Mais il a élevé et inversé la structure pour qu'une fois en dessous, on ait vue sur les marches qui montent vers le ciel. Les noms des 173 victimes seront marqués sur la structure et autant de trous dans le toit laisseront passer la lumière pour réfléchir sur le sol les âmes des victimes. Mais pour voir la construction de la partie élevée du mémorial, il faudra encore patienter. La fondation Stairway to heaven a besoin de 50 000£ pour financer tous les travaux. Mais les survivants se faisant de plus en plus vieux, la fondation ne voulait plus attendre. Pour Alf Morris, c'est la fin d'une longue attente. "Je sens que j'ai été sauvé pour faire ce que je fais aujourd'hui. Après 69 ans, c'est un rêve qui devient réalité."
Laurène Sénéchal (www.lepetitjournal.com/londres) mardi 06 mars 2012
Retrouvez le site de l'association "Stairway to heaven memorial" : http://www.stairwaytoheavenmemorial.org/index.html
