À l'heure où le Royaume-Uni a fait de l'austérité sa devise, plusieurs compagnies multinationales comme Google, Amazon ou Starbucks, sont accusées de ne pas payer de taxe en Grande-Bretagne grâce à de complexes montages financiers. Un problème qui se pose aussi en France.
(Crédit : Flickr/Smithcam)
En ces temps de crise, où le ministre de l'Echiquier George Osborne devrait annoncé aujourd'hui de nouvelles mesures d'austérité, la situation fiscale de certaines multinationales implantées au Royaume-Uni choque l'opinion publique.
Ainsi, la chaîne de café Starbucks, qui compte 750 établissements sur le territoire britannique, a payé seulement 8,6 millions de livres d'impôt au Royaume-Uni depuis 1998, pour un chiffre d'affaires cumulé de 3 milliards de livres. Le géant californien Google a lui enregistré un chiffre d'affaires de 396 millions de livres (31 millions de bénéfice) en 2011, mais n'a payé que 6 millions de livres de taxes. La palme revenant à Facebook, qui n'a versé que 238.000 de livres de taxes pour un bénéfice de 20 millions de livres en 2011 au royaume de Sa Majesté.
"Je comprend complètement la colère des gens quand ils voient que les entreprises ne payent pas leurs impôts", a confié George Osborne au micro de la BBC. "Nous devons tout faire pour être sur qu'elles payent équitablement leurs taxes", a-t-il ajouté, tout en précisant que les compagnies en question ne devaient pas être boutées hors du Royaume-Uni.
Dans le même temps, les membres de la commission des finances publiques du Parlement, qui avaient convoqué les responsables de ces multinationales il y a quelques semaines pour entendre leurs explications, ont rendu leur rapport. Le verdict des députés est sans appel. "Des entreprises multinationales, avec une implantation importante au Royaume-Uni et qui génèrent des revenus significatifs, s'en sortent en payant pas ou peu d'impôt sur les sociétés dans ce pays. C'est inadmissible et une insulte envers les entreprises britanniques et les individus qui paient leur dû", a déclaré Margaret Hodge, leur présidente.
En toute légalité
Le contournement de la loi fiscale britannique par ces compagnies n'est pas illégal. Starbucks transfère par exemple une partie de ses bénéfices, par un "système de royalties", à la branche néerlandaise du groupe. Le siège d'Amazon Europe est lui basé au Luxembourg (Amazon EU SARL), et est propriétaire d'amazon.co.uk. Par un complexe montage financier, amazon.co.uk verse ainsi des droits de propriété intellectuel à Amazon EU SARL, Amazon n'est imposé que de 2,4% sur ses bénéfices réalisés en Grande-Bretagne, quand la taxe sur les bénéfices des entreprises était de 26% dans le pays en 2011.
(Crédit : AFP) (George Osborne, ministre des Finances)
Mais quelles sont les solutions qui s'offrent aux pouvoirs publics pour remédier à ce qui est une évasion fiscale légale ?
Downing Street a annoncé lundi 3 décembre un renforcement du budget du fisc britannique pour lutte contre l'évasion fiscale. Ainsi, le Her Majesty's Revenue and Customs (HMRC) va obtenir 77 millions de livres de crédits supplémentaires pour les deux prochaines années. Le gouvernement ambitionne de la sorte de collecter deux milliards de livres supplémentaires d'impôts sur les sociétés chaque année
George Osborne devrait également annoncer dans les prochains jours un accord avec le gouvernement suisse pour récupérer lors des six prochaines années une somme de cinq milliards de livres de taxe non payée par de riches Britanniques ? de l'évasion fiscale illégale donc - placée sur des comptes suisses. L'Echiquier veut également évoquer les règles des taxes internationales lors du prochain sommet du G8, début 2013.
L'instauration d'une "tax shaming" ?
La récente médiatisation sur les très faibles taxes versées par ces multinationales à l'Etat britannique ont soulevé un élan de protestation, de la part du public et des médias, qui pourrait abîmer l'image de ces entreprises auprès du consommateur britannique. Conscient de cela et confronté à un appel au boycott de ses établissements sur les réseaux sociaux et notamment Twitter, la chaîne Starbucks a annoncé qu'elle allait dans le futur payer la taxe d'impôt sur le bénéfice au Royaume-Uni.
Mais pour les réfractaires, le Trésor pourrait aller plus loin avec l'instauration d'une « tax shaming », qui aurait pour effet d'écorner sérieusement l'image des entreprises qui évitent de payer des taxes en Grande-Bretagne. Pour le Dr Sue Bridgewater, cité par la BBC, une experte en marketing à la Warwick Business School, "une dégradation de l'image de la marque est aussi une dégradation de la valeur financière de celle-ci.(...) Les consommateurs ont la mémoire très longue et leurs émotions liées à une marque est une part très importante concernant leur loyauté envers celle-ci", ajoute t-elle.
L'éventuelle instauration de cette "tax shaming" ne semble néanmoins pas aisée. Comment en définir précisément les critères en toute équité ?
Une situation similaire avec celle de la France
Selon un rapport du Sénat français rendu public le 24 juillet 2012, l'évasion fiscale "légale" des entreprises installées sur le sol français représente un manque à gagner de 30 à 36 milliards d'euros pour l'Etat français. Selon Eric Bocquet, sénateur du Nord-Pas-de-Calais et rapporteur de la Commission d'enquête du Sénat sur l'évasion fiscale en France, "il est apparu étrange que certaines entreprises ne paient que 3,5% de leur valeur ajoutée en impôt sur les sociétés contre une valeur théorique de 17%."
Le candidat François Hollande avait promis de s'attaquer au problème. Le président doit aujourd'hui trouver des solutions concrètes au problème. Un coup d'oeil chez le voisin britannique pourrait être riche de leçons tout comme une entente entre pays européens pour plus de transparence.
Camille Belsoeur (www.lepetitjournal.com/londres) mercredi 5 décembre 2012