Quand un Président rencontre un roi britannique, ce n’est jamais un échange anodin. Derrière les sourires et les poignées de main, chaque geste, chaque pas, chaque mot prononcé est scruté. Car dans l’univers de la monarchie britannique, le protocole est une affaire sérieuse. Et pour les chefs d’État étrangers, il peut vite devenir un terrain glissant.


Un protocole sans obligation, mais pas sans attente
Contrairement aux idées reçues, il n’existe aucune règle contraignante qui impose à un Président ou à une cheffe d'État de s'incliner devant un membre de la famille royale britannique. Pourtant, un ensemble de codes non écrits, parfois plus puissants que les lois s’imposent de manière tacite. Ainsi, on évite de tendre la main à la reine ou au roi, à moins qu’il ou elle ne le fasse en premier. On évite également de leur couper la parole, de leur tourner le dos ou de marcher devant eux. On ne les touche pas sans invitation, et on s’adresse à eux avec des titres précis : "Your Majesty" pour le roi ou la reine, "Your Royal Highness" pour les autres membres de la famille.
Ces usages, bien qu’informels, sont considérés comme des marques de respect. Leur méconnaissance ou leur non-application peut vite être interprétée comme une maladresse ou, pire, comme un affront.
Pourquoi Emmanuel Macron a incliné la tête devant Charles III à Portsmouth en 2024 ?
Le 5 juin 2024 à Portsmouth, lors des commémorations du 80e anniversaire du Débarquement, Emmanuel Macron s’incline brièvement devant Charles III. Le geste, discret mais visible, fait le tour des médias. En France, certains y voient une marque de trop grande déférence. Au Royaume-Uni, c’est lu comme un signe de respect envers une institution séculaire. Pourtant, ce geste n’était en rien obligatoire. En tant que chef d'État, Emmanuel Macron n’était tenu à aucune révérence. Il aurait tout aussi bien pu se contenter d’un salut neutre ou d’une simple poignée de main. Son choix d’incliner la tête, même légèrement, témoigne d’une connaissance fine des symboles britanniques, mais aussi d’une certaine sensibilité à la solennité du moment.
Ce n’est pas la première fois que Macron manifeste son attention aux codes britanniques. En septembre 2022, lors des funérailles de la reine Elizabeth II, il observe scrupuleusement le protocole, de la tenue noire stricte au message de condoléances déposé en son nom et celui du peuple français : « À vous, Elizabeth, nous sommes reconnaissants. » Un ton mesuré, respectueux, conforme à l’étiquette royale.
Des maladresses françaises sous les ors britanniques
Tous les présidents français ne sont pas aussi à l’aise dans l’univers feutré de la monarchie britannique. En 2008, lors d’une visite d’État de Nicolas Sarkozy et Carla Bruni au Royaume-Uni, les observateurs relèvent une série de petites maladresses. Si Carla Bruni, ancienne mannequin, séduit la presse britannique par son élégance, son mari semble moins à l’aise dans les rituels. Le protocole autour du banquet d'État à Windsor, les marches à respecter, les salutations… tout cela paraît pesant au président français, habitué à une tradition politique très différente.
François Hollande, de son côté, adopte une posture plus distante lors de sa rencontre avec Elizabeth II en 2014. Aucun faux pas notable, mais une certaine froideur. Le président socialiste, peu amateur de cérémonial, semble peu concerné par les codes monarchiques. Cette distance, si elle n’a pas entraîné de scandale, a laissé une impression de froideur protocolaire chez les Britanniques.
Une tradition monarchique codifiée… et scrutée
Le protocole royal britannique ne se limite pas aux gestes. Il structure l’ensemble des interactions : ordre d’entrée dans une pièce, placement à table, règles de conversation, moments de silence, formes de remerciement… Ce sont autant de signes qui racontent l’histoire d’une monarchie vieille de plus de mille ans. À titre d’exemple : lors des banquets d’État, personne ne commence à manger tant que le roi ou la reine n’a pas pris sa première bouchée. Une conversation ne peut être entamée que si le monarque la commence. Et l’on ne quitte pas la pièce avant lui ou elle.
Autant de subtilités qui peuvent dérouter les personnalités issues de républiques, surtout celles comme la France où la séparation entre le pouvoir et la tradition monarchique est historique et idéologique.
Quand le protocole devient un outil diplomatique
Ces règles, aussi strictes soient-elles, ne sont pas seulement des détails d’étiquette. Elles deviennent un langage diplomatique à part entière. Savoir les manier, c’est savoir s’inscrire dans une relation bilatérale solide. Ne pas les respecter, c’est risquer de froisser un partenaire sans le vouloir.
C’est peut-être là que réside la subtilité d’Emmanuel Macron : en acceptant certains codes du protocole royal, sans excès mais avec tact, il montre son souci d'apaisement dans une période post-Brexit marquée par des tensions diplomatiques. Sa réception à Buckingham, son dîner d’État à Versailles avec Charles III en 2023, sa manière de s’adresser aux Britanniques lors des cérémonies : tout cela participe d’une volonté de restaurer une relation d’égal à égal, respectueuse des traditions de chacun.
Une alliance symbolique qui dépasse les codes
Le protocole royal britannique, aussi rigide puisse-t-il sembler, n’est pas figé. Il évolue lentement, au gré des règnes et des époques. Mais il reste un marqueur fort, un vecteur de prestige, une manière pour la Couronne d’exister sur la scène internationale.
Pour les présidents français, cet univers peut être déroutant. Pourtant, s’y adapter avec élégance, c’est envoyer un message politique. Emmanuel Macron semble l’avoir compris. Son salut au roi Charles III, ses discours en anglais devant les vétérans britanniques, ou encore l’organisation d’un dîner fastueux à Versailles sont autant de gestes qui traduisent la reconnaissance mutuelle entre deux nations aux histoires imbriquées.
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