L´année du bicentenaire de sa naissance, Gustave Flaubert est au cœur de la vie littéraire française. Plusieurs hommages lui sont rendus. Un des plus beaux est sans doute le brillant roman Le dernier bain de Gustave Flaubert où Régis Jauffret se met dans la peau de l´auteur de Madame Bovary.
Bicentenaire de Gustave Flaubert
Celui qui suait sang et eau pour écrire une page, à qui l´on a attribué certaines citations que l´on considère aujourd´hui apocryphes comme la célèbre phrase «Madame Bovary, c´est moi» sur le personnage principal de son chef d´œuvre, est aujourd´hui -deux cents ans après sa naissance et cent quarante et un ans après sa mort- une des figures immortelles des lettres françaises.
Né le 12 décembre 1821 à Rouen et mort à Croisset le 8 mai 1880, Gustave Flaubert a marqué la littérature française et universelle par la profondeur de ses analyses psychologiques, son souci de la précision et du réalisme et son regard lucide sur le comportement des individus et de la société. Celui qui nous a laissé des œuvres singulières comme, on l´a vu, Madame Bovary, L´Education Sentimentale, Salammbô, La tentation de Saint-Antoine ou Novembre a écrit dans une lettre à Louise Colet le 16 janvier 1852 que ce qu´il voudrait faire ce serait un livre sur rien, sans attache extérieure, qui se tiendrait de lui-même par la force interne de son style, comme la terre sans être soutenue se tient en l´air, un livre qui n´aurait presque pas de sujet ou du moins où le sujet serait presque invisible, les œuvres les plus belles étant, d´après lui, celles où il y a le moins de matière.
Régis Jauffret rend hommage à Gustave Flaubert dans son roman Le dernier bain de Gustave Flaubert
Cette année du bicentenaire de la naissance de l´auteur de Madame Bovary, nous avons eu droit à un roman brillant, intitulé Le dernier bain de Gustave Flaubert (Éditions du Seuil), signé Régis Jauffret. Né à Marseille en 1955, il est sans aucun doute un des meilleurs écrivains français de sa génération, un écrivain qui nous a déjà donné des livres fort intéressants comme Asile de fous (Prix Femina 2005), Microfictions, Claustria, La Ballade de Rikers Island ou Papa.
Ayant tout d´abord pensé écrire une biographie, Régis Jauffret s´est par la suite rendu compte qu´il ne pourrait que reproduire ce qui avait déjà été écrit plusieurs fois en paraphrasant sa correspondance, des extraits du Journal des frères Goncourt, des souvenirs de Maxime du Camp, des articles d´Émile Zola ou de Guy de Maupassant. Aussi a-t-il imaginé –comme il l´a affirmé dans une interview accordée à Claire Chazal, parue dans le numéro de mars de Lire Magazine Littéraire – ce que Flaubert pourrait penser de sa vie aujourd´hui s´il était amené à la raconter.
Comme on nous l´annonce dans la quatrième de couverture, Gustave Flaubert a pris un bain le 8 mai 1880 et a décédé peu après, dans son cabinet de travail, d´une attaque cérébrale sans doute précédée d´une de ces crises d´épilepsie dont il était coutumier. Allongé dans l´eau il revoit son enfance, sa jeunesse, ses rêves de jeune homme, ses livres dont héroïnes et héros viennent le visiter.
Le roman est divisé en deux parties. Dans la première, intitulée «Je», l´auteur joue le rôle de Flaubert, dans la deuxième, «Il», il s´agit d´un discours à la troisième personne, donc plus neutre. Quoi qu´il en soit, on voit défiler dans cet authentique coup d´éclat, outre sa famille, tous ceux qui l´ont d´une façon ou d´une autre fréquenté.
Lumière sur les amours de Gustave Flaubert
Les amours de Flaubert font l´objet d´une attention particulière de la part du narrateur. Avec Louise Colet, il entretenait une relation assez curieuse. Ils ne se voyaient guère, mais la correspondance entre eux était abondante. Elle était une femme à la mode qui tenait salon à Paris et lui racontait les potins, les anecdotes des milieux littéraires et du Tout-Paris. Il a eu aussi le béguin pour Juliet Herbert, la gouvernante anglaise de sa nièce Caroline, mais -Régis Jauffret nous le rappelle dans l´interview citée plus haut-, s´ils ont été amants, leurs amours ne pouvaient en aucun cas être publiques, surtout après qu´elle fut rentrée en Angleterre, un pays puritain où l´on ne verrait pas d´un bon œil une relation avec un auteur considéré comme scandaleux. Néanmoins, son premier amour, à l´âge de 14 ans, fut Élisa Schezinguer, une femme mariée que l´on retrouve tout le long du roman et qui finit sa vie dans un asile d´aliénés. Le coup de foudre de Flaubert s´est produit sur la plage de Trouville un matin de juillet 1836 : «Je la regardais nager à quelques mètres du rivage. Elle sortit de l´eau. Elle portait une de ces chemises en coton léger dont on harnachait les jeunes filles des pensionnats pour ménager leur pudeur pendant la toilette. Le tissu était collé à sa peau, au travers je distinguais son corps à peine flou. Elle réussissait à être à la fois mince et potelée…».
On découvre dans ce roman que Flaubert aimait également les hommes et qu´il ne se serait jamais remis de la mort prématurée, à l´âge de 31 ans, de son ami d´enfance Alfred Le Poittevin, l´amour de sa vie. Alfred Le Poittevin était aussi l´oncle de Guy de Maupassant, fils de sa sœur Laure. Une légende disait d´ailleurs que Guy de Maupassant serait fils de Flaubert, mais il n´en était rien. À tout le moins Flaubert fut-il une sorte de père spirituel, comme l´a rappelé Véronique Bui dans une édition récente de la correspondance entre les deux (Gustave Flaubert/Guy de Maupassant, La terre a des limites, mais la bêtise humaine est infinie, Correspondance, éditions Le Passeur) : «La fonction de père peut aussi être symbolique (…) Pour l´auteur de Madame Bovary qui sacrifia sa vie à la «sacro-sainte littérature», est-il plus beau fils à engendrer qu´un fils spirituel et écrivain reconnu ?».
Le roman Le dernier bain de Gustave Flaubert nous a procuré un énorme plaisir de lecture et il a permis à Régis Jauffret, de son propre aveu, de réfléchir sur ce qu´est écrire, sur la valeur du style et la vanité de vouloir faire une œuvre plus parfaite que le réel. Puisque, comme il a également affirmé, «un romancier est un comédien qui arrive sur scène, s´aperçoit qu´il ne se souvient plus de son texte et en improvise un autre».
Régis Jauffret, Le dernier bain de Gustave Flaubert, Éditions du Seuil, Paris, mars 2021.