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"Le Passeur" : premier roman de Stéphanie Coste

Stéphanie-CosteStéphanie-Coste
Écrit par Fernando Couto e Santos
Publié le 12 février 2021, mis à jour le 12 février 2021

 

À travers les destins croisés des migrants africains et de leur bourreau, un de ces passeurs qui leur font payer très cher le voyage vers l´autre côté de la Méditerranée -vers l´Europe-, Stéphanie Coste dresse une grande fresque de l´histoire d´un continent meurtri et signe un magnifique premier roman.

 

La littérature et les migrants

Les Européens qui bon gré mal gré parviennent à arrondir leurs fins de mois et pestent -souvent à juste titre, il faut le dire- contre la situation économique du pays qui est le leur, ont du mal à s´imaginer la vie des Africains (ou des Asiatiques) qui filent décidément et quotidiennement un mauvais coton. Des gens qui vivent dans le dénuement ou sur un théâtre de guerre et qui de ce fait essaient de chercher ailleurs ce qu´ils ne peuvent nullement trouver chez eux.

La littérature commence à faire état du désespoir de ces Africains ou Asiatiques qui poussés par la guerre ou par la faim -ou les deux à la fois- tentent d´arriver clandestinement en Europe au péril de leur vie et souvent au prix d´énormes sacrifices financiers. Le rêve européen nourrit l´espoir en un avenir plus souriant.

Il y a trois ans le roman Encore (éditions Galaade puis Le Livre de Poche) de l´écrivain turc Hakan Günday (traduit en français par Jean Descat), récompensé à juste titre par le Prix Médicis Étranger, dépeignait la vie d´un jeune passeur asiatique qui devient tortionnaire des clandestins qui ont le malheur de tomber entre ses mains. Un roman dur mais très beau. Les mêmes épithètes pourraient être attribuées à un magnifique premier roman, intitulé Le Passeur, publié en ce début d´année par les éditions Gallimard et écrit par Stéphanie Coste qui a vécu jusqu´à son adolescence entre le Sénégal et Djibouti et qui habite à Lisbonne depuis quelques années.

 

Tout passeur a une histoire

Etant donné l´intrigue du roman, l´auteur ne pourrait choisir en effet meilleure épigraphe que cette phrase d´Ernest Hemingway : «Toutes les choses vraiment atroces démarrent dans l´innocence».  Seyoum dit au début de l´histoire, avec cynisme, qu´il fait de l´espoir son fonds de commerce. Seyoum est le passeur qui donne le titre au roman dont l´intrigue démarre à Zouara, Libye, en 2015. Les migrants arrivent de Somalie, du Soudan, de l´Érythrée et d´ailleurs. D´ordinaire, ils doivent résister au Sahara avant d´atteindre les côtes libyennes. Un tiers environ meurt en chemin : «ils ne pourront éviter la traversée du désert, la mort assise sur leur cou comme une enclume. Il en meurt plus dans la fournaise des mirages qu´en mer en temps normal. La rage de survivre leur donne de plus en plus la gnaque».

Seyoum, un homme apparemment incapable d´humanité, qui semble faire fi de la souffrance d´autrui et qui trempe dans des affaires louches a  lui aussi un passé comme tout un chacun. Aurait-il été, lui aussi, meurtri par la vie comme les miséreux qui traversent le Sahara pour gagner la Libye ? Toujours est-il que l´arrivée d´un énième convoi rempli de candidats désespérés parmi lesquels une figure qui fut fort importante dans sa jeunesse  -son amour perdu- fait remonter tout le passé de Seyoum. En fait, cet homme insensible qui fait un sale boulot a passé une enfance plutôt confortable à Asmara, capitale de l´Érythrée. Il était le fils d´un journaliste réputé, opposant néanmoins à la dictature qui sévissait dans le pays. Soudain, tout s´est écroulé : sa famille fut détruite, Seyoum s´est retrouvé dans le camp de Sawa et sa vie fut entachée de scènes de torture et d´emprisonnement. Un souvenir ne l´a pourtant jamais quitté: celui de Madiha, son amoureuse. À la fin de l´histoire, on se demande si Seyoum n´aura pas retrouvé un peu d´humanité en emmenant lui-même le bateau des migrants de l´autre côté de la Méditerranée et en s´apitoyant sur Ibrahim, un jeune qu´il avait pris sous son aile à qui il laisse son argent : «Ça va beaucoup trop vite pour Ibrahim. Trop de sentiments contradictoires le submergent. Je suis exténué. Pourquoi cette décision s´est-elle imposée ce matin dans les vapeurs d´un de mes rêves hallucinés ? Est-ce que j´ai reconnu en lui le gosse que j´étais ? Ce gosse que j´avais oublié. Méprisé. Fiotte broyée par sa faiblesse».

Roman du désespoir, de la rage, de la folie des hommes, Le passeur est un sacré coup d´éclat de Stéphanie Coste qui a écrit avec cet ouvrage un des meilleurs premiers romans qu´on ait lus ces derniers temps.

Stéphanie Coste, Le passeur, éditions Gallimard, Paris, janvier 2021.

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