Mercredi 16 février à l’occasion de l’ouverture de la Saison France-Portugal, le peintre français Gérard Fromanger était mis à l’honneur. Lepetitjournal revient sur Splendeur, une exposition haute en couleur, du 17 février au 22 mai 2022.
La première rétrospective de l’œuvre de l’artiste depuis sa mort
Au musée de la collection Berardo (Museo Coleçao Berardo) de Lisbonne, une exposition rétrospective de l’œuvre de Gérard Fromanger est ouverte au public. Situé dans le quartier de Belém, cet espace culturel propose son exposition permanente habituelle et aussi depuis le 17 février une exposition temporaire : Splendeur ou O Esplendor en portugais. Le musée donne rendez-vous jusqu’au 22 mai 2022 aux amoureux de la peinture en proposant de contempler la soixantaine de tableau inédits présentés et qui illustre l’œuvre de Gérard Fromanger.
Cette exposition a représenté l’évènement phare de l’ouverture de la Saison France-Portugal 2022, c´est la première exposition de l’œuvre de Fromanger depuis sa disparition, le 18 juin 2021.
Le musée propose six salles différentes, retraçant des périodes aux inspirations variées du peintre. En se promenant littéralement au cœur de l’œuvre de Fromanger, ce qui en ressort, c’est une critique de la société, une technique précise, des inspirations des quatre coins du monde, des portraits, des incompréhensions, des fils, des villes, des silhouettes et surtout, de la couleur par le biais de l’art cinétique.
Gérard Fromanger, le chef de file de la figuration narrative
Gérard Fromanger était un artiste peintre contemporain. Il naît au début de la Seconde Guerre mondiale, en 1939. Rapidement repéré par les grands artistes de l’époque, comme le sculpteur César ou les frères Giacometti, son style s’impose dès les années 1960. C’est en 1964 qu’il s’impose comme un des représentant majeur en France du mouvement artistique qui émerge à cette époque : la figuration narrative. En 1965, à l’occasion de l’organisation du Salon de la jeune peinture à Paris, Fromanger et ses compères viennent exposer leurs productions, et en font un évènement pour deux raisons. La première est qu’ils trouvent le Salon peu percutant ; la deuxième est qu’ils veulent s’imposer face à l’art abstrait.
L’objectif du mouvement est de réintégrer la vie quotidienne dans l’art. A cette époque, l’art abstrait s’est affranchi des représentations réalistes de notre environnement. La figuration narrative veut elle les remettre au goût du jour. Avec l’avènement d’une société de consommation sans précédent, discutable sous nombre d’aspects, les artistes de ce courant ont voulu faire un art utile, politique et engagé. Et l’évènement qui a permis de parachever le message porté par ces artistes, menés par Fromanger, c’est Mai 68.
Du rouge politique au rouge Fromanger
Gérard Fromanger était présent lors de Mai 68, un mouvement de protestations étudiantes contre la société de l’époque, revendiquant plus de droits sociaux. C’est d’ailleurs à cette occasion qu’il s’est lié d’amitié avec Serge July, le co-fondateur de Libération, avec qui Lepetitjournal a pu s’entretenir lors de sa venue à Lisbonne dans le cadre de cette exposition.
La directrice du musée Marmottan Monet de Paris, Marianne Mathieu, explique que Mai 68 pour Gérard Fromanger est « un moment de bonheur absolu, de prise de conscience qu’avec la rue, tout est possible ». C’est dans son Atelier Populaire des Beaux-Arts, au sein duquel il confectionne notamment des tracts pour les manifestations, que Fromanger trouve son sujet, à qui il donnera son style singulier. C’est aussi à ce moment qu’entre en jeu la photogénie, la technique qui va le faire se distinguer et constituer l’originalité de ses œuvres.
Le mouvement de Mai 68 était associé à l’idéologie socialiste, représentée par le rouge. Fromanger a donc été amené à utiliser le rouge sous toutes ses formes, au début comme symbole politique. Par exemple, l’œuvre référence du peintre est un ciné-tract réalisé avec Jean-Luc Godard ; sur ce ciné-tract, on voit le drapeau tricolore avec le rectangle rouge coulant doucement sur le blanc et le bleu, pour montrer la symbolique du rouge. En travaillant énormément cette couleur, Fromanger s’en est imprégné et en la réutilisant différemment, il a finalement fait de ce rouge politique, une couleur à part entière, dissociée de la politique. Ceci s’est manifesté avec le surnom que lui donnait son mentor Jacques Prévert « Rouge Fromanger », qui s’est concrétisé avec sa série nommée Le Rouge.
Comment peindre la photographie ?
Comme mentionné plus tôt, Fromanger utilisait beaucoup la photogénie. En fait, il s’était lié d’amitié avec un photographe qui l’accompagnait au cours de ses promenades. Il demandait toujours à son ami d’avoir son appareil photographique, et Fromanger lui indiquait quoi prendre en photo. Le photographe s’exécutait. Une première œuvre était donc produite : la photographie. Fromanger par la suite reprenait la photo et la peignait, mais bien sûr en y ajoutant sa patte, pour produire une seconde œuvre. C’est pourquoi toute la période de son œuvre des années 1970 est perturbante par le réalisme de ces tableaux. Il s’est promené à la croisée des chemins entre la photographie et la peinture.
Fromanger : « La toile est noire de tout ce qui a été fait avant »
L’art de Fromanger est percutant par sa cohérence. Il n’avait jamais peur de la toile blanche et il l’expliquait de la sorte : « La toile est noire de tout ce qui a été fait avant. Mon rôle, c’est de la blanchir ». Sa thématique était de trouver un langage adapté à la peinture de son temps. De la peinture, il a fait un langage poétique. Une poésie racontée au fil des couleurs, des tons, de la ville, et des silhouettes. En regardant rapidement l’œuvre de Fromanger, l’utilisation de la couleur est frappante. Elle est toujours présente. Et les couleurs sont déclinées subtilement. C’est comme si Fromanger avait inversé les tendances : ce n’est pas la couleur qui habille les formes, mais les formes qui habille la couleur.
Les caractéristiques les plus récurrentes des œuvres de Fromanger sont notamment des formes géométriques, de fils, de ville, de rues, de silhouettes. Pour le peintre, aller dans la rue n’était pas y « sortir ». Fromanger lui, « rentrait » dans la rue. Ils pensaient que les silhouettes sont universelles, intemporelles. A la fin de sa vie, et donc de sa carrière, il ne pouvait plus se défaire des silhouettes dans ses peintures, parce que c’était devenu cela, son langage poétique.
Des inspirations portugaises
Comme tous les artistes, Gérard Fromanger s’est inspiré de nombreux pairs. Pour en savoir plus sur le mouvement de la figuration narrative, un œil peut être jeté aux travaux d’Henri Cueco, de Lucio Fanti, d’Hervé Télémaque…
Fromanger s’inspirait aussi du Portugal. Il aimait lire Fernando Pessoa et appréciait notamment les œuvres de la renommée Lourdes Castro, qui vient de décéder en janvier dernier. Il s’inspirait également de Nikias Skapinakis ou encore Joaquim Rodrigo, des artistes contemporains. Il avait en 2019 réalisé un portrait filaire de la grande Paula Rego, artiste plasticienne portugaise bien connue. Ce portrait est exposé dans Splendeur.
Lepetitjournal recommande !
Lepetitjournal recommande fortement cette exposition, qui est la concrétisation même d’une citation de Robert Filliou, que Gérard Fromanger aimait employer : « L’art, c’est ce qui rend la vie plus intéressante que l’art ».