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Camille Laurens au Portugal pour la sortie de son livre "Fille" en portugais

Camille Laurens, écrivaine et académicienne est venue au Portugal afin de lancer la traduction de son roman intitulé « fille ». Ce dernier est publié aux éditions Aurora. Elle était également présente lors de la remise du prix du Choix Goncourt Portugal 2024.

Camille LaurensCamille Laurens
Écrit par Maria Sobral et Agathe Trigueiro
Publié le 20 juin 2024, mis à jour le 21 juin 2024

 

Le 15 mai dernier, Camille Laurens était à la médiathèque de l'institut français de Lisbonne dans le cadre de la sortie de son roman "Fille" aux éditions Aurora, traduit en portugais. Cette dernière était également présente dans le cadre de la remise du prix Choix Goncourt Portugal, en tant que membre du jury, représentante et membre de l'académie Goncourt.
 
Après les succès de Ni toi ni moi en 2006, ou encore de Celle que vous croyez en 2016, Camille Laurens publie  Fille  en 2020. Ce roman est désormais traduit en portugais aux éditions Aurora.
 
Fille est un récit d'autofiction qui raconte le parcours de quatre générations de femmes, étalé sur 60 ans. Ce roman interroge ainsi sur l'histoire du mot fille, sa sémantique, sur la perception que nous avons de ce mot, et interroge également sur la condition féminine. Lepetitjournal est allé à sa rencontre :
 
Lepetitjournal : Ce livre, qui reprend la sémiologie du mot fille, a-t-il pour but de dénoncer une langue française qui nuance davantage le masculin que le féminin ?
 

Camille Laurens : Oui car j'ai constaté que tout ce qui était féminisé perdait de sa valeur. Par exemple, le mot "garce" était le féminin de "garçon" au 16ème siècle. Alors que le mot "garçon" a gardé sa neutralité sémantique, le mot "garce" est devenu une injure. Il en va de même pour le mot "fille", qui voulait dire "prostituée" a l'époque de ma grand-mère. Nous n'avons pas d'équivalent pour les garçons. La langue française elle-même décrète une minoration du féminin. Les règles de grammaire en témoignent également: "le masculin l'emporte sur le feminin". Lorsqu'on entend cela très jeune, on finit par inscrire une forme de supériorité masculine dans notre inconscient. Pour cette raison, j'ai intitulé mon livre "Fille", sans article, pour faire référence aux quatre sens existants de ce nom dans le dictionnaire.
 
Par le bais de ce livre, souhaitez-vous toucher des lecteurs de votre génération qui ont peut-être parfois intériorisée la violence du patriarcat ?
 
Bien sûr, mais je suis encore plus heureuse de pouvoir toucher des générations plus jeunes. J'ai d'abord cru n'intéresser que les femmes de mon âge mais des lectrices très jeunes me parlent du livre, et cela me touche beaucoup. Cette génération veut savoir ce qui s'est passé avant. Certaines jeunes filles de 17 ou 18 ans ne savaient pas qu'en 1965 les femmes ne pouvaient pas signer de chèque ou travailler sans l'accord de leurs maris.
 
Ce livre débute par un accouchement. Pourquoi ce choix ?  
 
Disons que cela m'intéressait car contrairement à ce qu'on pense, même l'autobiographie comporte de l'imagination. Je ne me souviens évidemment pas de ma naissance. Je l'invente et je m'inspire de ce qu'on m'a raconté. Puis, je voulais commencer par la phrase: "c'est une fille". A l'époque, on ne connaissait pas le sexe de l'enfant avant la naissance. Je voulais montrer la déception du père, et comment ce personnage féminin, tout juste né, est d'ores et déjà placé sous le signe de la déception rien que pour être né fille. Cela se passe en France dans les années 60, et pourtant c'est une réalité.
 
Le personnage principal s'appelle Laurence Barraqué, est-ce un choix d'identification au sein de cette auto-fiction que de nommer le personnage après votre nom ? Au-delà de l´homonymie avec Laurens, le nom Barraqué revendique-t-il une forme de force féminine attribuée généralement au masculin ?
 
C'est un peu cela, Barraqué, c'est le nom du père, quelque chose de difficile à porter car c'est aussi un adjectif plutôt attribué au masculin. Je voulais jouer sur le masculin et le féminin déjà à l'œuvre au sein même du nom de famille .
 
"Fille" est-il un livre qui, finalement, s'adresse aux hommes, et qui a vocation à les éduquer ?
 
 J'espère! Ce livre, je ne l'ai pas écrit uniquement pour les femmes, pas mal d'hommes me disent qu'ils ont découvert des choses de la vie des femmes grâce à ce livre. Certains m'ont dit qu'ils ne savaient pas que les femmes avaient peur en rentrant chez elles le soir par exemple. Certains ont donc appris des choses sur la condition des femmes. Je suis heureuse de pouvoir porter à la connaissance de tous ces faits du quotidien.
 
Ce livre arrive également après le mouvement Me too. Quelle est, selon vous, la différence entre Me too et les autres mouvements féministes ?
 
J'ai connu le MLF et puis le MLAC dans les années 1970-1975. Le mouvement Me too a aidé à libérer la parole. Avant cela, il s'agissait surtout de conquêtes sociales, telles que le remboursement de la contraception, ou le droit à l'avortement, disposer de son corps. Une fois que cela était acquis, il me semble que Me too s'est attaqué au mode de vie et au rapport aux hommes. Les hommes doivent cesser de se croire tout permis. Tout cela est mis sur la table et la parole s'est libérée, nous ne reviendront pas en arrière donc les hommes doivent s'adapter ou du moins faire semblant de s'adapter car ils savent qu'il y aura des sanctions, là où il n 'y avait rien avant. Certaines choses paraissent injustes car nous pensons qu'il y a prescription, comme nous avons pu voir récemment pour Gérard Depardieu. Mais en même temps c'est la punition pour toute cette époque. Nous n'en voulons plus, nous voulons l'égalité entre les femmes et les hommes, nous ne sommes pas des objets. Aujourd'hui ils comprennent qu'il peut y avoir des conséquences désagréables sur leurs vies et leurs carrières et c'est tant mieux.
 
Votre livre est publié en portugais aux éditions Aurora au Portugal. Cultivez-vous un lien particulier avec cette langue ou ce pays ?
 
Surtout avec la littérature portugaise, avec Pessoa, par exemple. Je ne connais que Lisbonne et je connais très mal cette ville. J'étais venue pour la traduction de mes livres il y a quelques années. Mais après quelques balades, je peux dire qu'il y a quelque chose dans l'air, une douceur assez inexplicable, que j'apprécie beaucoup. Je reviendrai certainement!
 
Avez-vous de nouveaux projets en cours ?

Je suis en train d'écrire un roman, qui traitera des difficultés de l'amour. Hormis cela, je voyage dans le cadre de la traduction de « Fille », à ce titre je pars très prochainement en Grèce.

 

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