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Portugal et émigration étudiante : la fuite des cerveaux

L'émigration des jeunes portugais qualifiés reste l'un des plus grands défis sociaux et économiques du pays. Concrètement, quels sont les facteurs qui poussent les étudiants à partir ?

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@Freepick
Écrit par Lison Segui
Publié le 26 mars 2025, mis à jour le 27 mars 2025


Si la mondialisation, la facilité de mobilité internationale et les programmes Erasmus ont amplifié le phénomène de « fuite des cerveaux », il prend des proportions particulièrement préoccupantes au Portugal. Les résultats d'études récentes faites auprès d'étudiants du pays et par les économistes démontrent que cette émigration représente une perte annuelle d'environ 2,1 milliards d'euros pour le pays selon une étude réalisée en 2025 par la Fédération académique de Porto. Face à ces chiffres alarmants, Lepetitjournal.com présente un certain nombre de raisons et les conséquences de cet exode.


L'émigration étudiante en chiffres

La fuite des cerveaux se définit comme l'exode de travailleurs qualifiés vers des pays offrant de meilleures opportunités salariales et des conditions de vie plus attractives. Ce phénomène touche particulièrement les jeunes diplômés portugais, qui, après leurs études, choisissent souvent de s'expatrier pour des raisons professionnelles.

Une étude réalisée en 2024 auprès d'étudiants de l'Université de Coimbra et publiée dans le journal Publico, révèle que sur les 1381 réponses recensées, près de 70% des étudiants envisagent d'émigrer après leurs études. Parmi eux, 40% envisagent de quitter le Portugal dans les cinq prochaines années et 30% dans la prochaine décennie. En tout, ce sont deux étudiants sur trois qui envisagent l'émigration.

Les résultats d'une autre enquête menée par la Fédération académique de Porto en 2025 sont aussi préoccupants : 73% des étudiants des établissements d'enseignement supérieur de la ville jugent très probable leur départ à l'étranger après leurs études. Même si cette étude repose sur un échantillon de 375 étudiants, elle illustre une tendance généralisée au niveau national.


Les raisons de l'émigration étudiante

Plusieurs raisons sont avancées par les étudiants pour quitter le pays après la fin des études, et celles-ci sont principalement économiques.

Selon les conclusions de l'enquête de l'association académique de Coimbra, 96,3% les étudiants qui envisagent l'émigration le font pour des raisons salariales. En effet, si le coût de la vie au Portugal ne cesse d'augmenter, les salaires, eux, progressent très lentement.

De plus, la communauté étudiante fait souvent référence à l'instabilité financière liée à la condition même d'étudiant. 95,2% se déclarent dans une situation instable financièrement parlant(1).

Enfin, la crise du logement accentue le coût de la vie avec un étudiant sur deux qui en entrant dans la vie active dit n'est pas en mesure d'acheter une maison, et un étudiant sur quatre qui déclare ne pas avoir la possibilité de fonder une famille dans le pays(1) . Paulo Mota et Rui Henrique Alves, enseignants à la Faculté d'économie de l'Université de Porto, soulignent que les principaux facteurs influençant l'émigration des jeunes sont la recherche de meilleures conditions de vie et l'évolution professionnelle.


Les réponses du gouvernement pour contenir cette fuite des talents

Le Portugal cherche à retenir ses jeunes diplômés, notamment parce que leur formation représente un investissement public considérable. De plus, l'émigration des jeunes accélère le vieillissement démographique menaçant également la viabilité du système de sécurité sociale. On estime que le départ d'environ 320.000 jeunes diplômés sur les prochaines quarante années représenterait des pertes fiscales et en cotisations sociales de plus de 95 milliards d'euros, selon les résultats du centre d'études de la fédération académique de Porto.

Outre les pertes économiques, l'exode des jeunes qualifiés affaiblit la capacité d'innovation et de compétitivité du pays. En poursuivant leur carrière à l'étranger, les jeunes diplômés contribuent inévitablement à la baisse de la productivité nationale, creusant davantage l'écart entre le Portugal et les économies européennes les plus avancées.

Pour inverser cette tendance, le gouvernement portugais a mis en place des incitations financières afin d'offrir des perspectives plus attrayantes pour les jeunes portugais.  Par exemple, le programa Regressar offre des incitations financières et fiscales aux Portugais vivant à l'étranger pour les encourager à revenir travailler au Portugal. L'IRS Jovem (L´impôt sur le revenu des jeunes), adressé aux jeunes de moins de 35 ans propose une exonération temporaire (1 ans) de l'impôt sur le revenu, et des taux réduits concernant les neuf années suivantes.

Le gouvernement portugais a aussi cherché à investir dans la recherche et l'innovation avec des structures comme la Fondation pour la Science et la Technologie (FCT) par exemple. Une extension du programme de bourses universitaires a également été mise en place depuis quelques années pour rendre l'enseignement supérieur plus attractif. Des partenariats avec des entreprises ont été mis en place pour garantir des opportunités d'emploi aux diplômés. Des efforts ont également été pris conjointement avec l'Union européenne via le mécanisme de « valorisation des talents ».


Des mesures encore insuffisantes ?

Malgré ces efforts, la fuite des cerveaux demeure un défi de taille, notamment dans les secteurs de la médecine, des formations d'ingénieur et dans la recherche scientifique où les salaires restent moins compétitifs qu'à l'étranger. Au vu des résultats, le président de la Fédération académique de Porto estime que la fuite des talents au Portugal appelle à de meilleurs salaires, à un IRS Jovem plus fort , au financement  destinés aux jeunes entrepreneurs ou encore à l'offre publique de logements.

Lepetitjournal s'est entretenu avec Luis, un étudiant portugais qui étudie pour devenir ingénieur alors qu'il est dans sa dernière année d'étude, et rédigeant sa thèse :

Lepetitjournal.com/ Lisbonne : Vous avez bientôt fini vos études au Portugal, est-ce que vous comptez quitter le pays par la suite ?
Luis : Oui, j'y réfléchis sérieusement. Ici, le chômage est élevé et le coût de la vie devient trop élevé notamment à Lisbonne et Porto. Dans d'autres pays d'Europe, la vie peut être tout aussi cher mais les salaires sont bien plus élevés ce qui compense. Au Portugal, nous avons l'un des salaires les plus bas d'Europe, comparables à ceux de certains pays d'Europe de l'Est, mais sans bénéficier d'un coût de la vie aussi bas.

Vous avez évoqué l'idée de rester au Portugal tout en travaillant à distance pour une entreprise étrangère. Pourquoi ?
Idéalement oui. Le coût de la vie au Portugal est proche de celui de l'Espagne, mais le salaire moyen y est bien inférieur. Le meilleur scénario serait de trouver un emploi en ligne ou en télétravail pour une entreprise étrangère, afin de bénéficier d'un meilleur salaire tout en restant vivre au Portugal. Ma famille et mes amis sont ici, et j'aimerais éviter de partir.

Que pensez-vous des mesures du gouvernement pour aider les jeunes ?
Je bénéficie actuellement de l'IRS Jovem, ce qui me permet d'être exonéré d'impôts sur ma première année de travail que je fais à côté de ma thèse. C'est une bonne initiative, mais je doute que cela suffise à freiner l'émigration. Ce phénomène dure depuis 2008, et une seule mesure ne peut pas tout changer et contenir cette émigration.

Malgré les efforts du gouvernement portugais pour limiter l'émigration des jeunes diplômés, la fuite des cerveaux reste un défi majeur pour le Portugal. Une réforme structurelle plus ambitieuse est notamment demandée par les enseignants universitaires combinant une revalorisation salariale, une meilleure  attractivité du marché du travail et l' amélioration  des conditions de vie en général. Ces efforts pourraient convaincre les nouvelles générations de rester dans leur pays d'origine.
 
(1)Selon l'étude réalisée dans les facultés de médecine, de sciences et des études d'ingénieur à l'université de Porto

 

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