Avec 148 de QI, Pierrick Labbé est ce que l’on appelle un surdoué intellectuel. Ce Français de 47 ans a fondé deux associations au Pérou pour contribuer à l’épanouissement des surdoués.
2% de la population est considéré comme ayant un haut potentiel intellectuel
et la grande majorité de ces personnes ne le savent pas.
Ingénieur biomédical de formation et expatrié à Lima depuis onze ans, Pierrick Labbé est cofondateur et président des associations « Mensa Pérou » (Mensa est la plus grande et la plus ancienne association qui réunit les personnes faisant partie des 2% les plus intelligents de la population) et « Superdotados Pérou » qui se focalise sur les enfants surdoués entre 5 et 14 ans.
Comment avez-vous su que vous étiez un surdoué intellectuel ?
Quand j'ai eu 32 ans, j'ai fait une grosse dépression. Je suis allé voir un psychiatre et au bout de deux mois environ, il m’a envoyé voir un psychologue mais ça n’a pas fonctionné. Il ne me comprenait pas. Je suis donc allé en voir un autre qui, dès la première séance, a suspecté quelque chose. Il m’a proposé de passer un test avec un de ses collègues. Au début, je pensais qu’il s’agissait un test de personnalité parce que, moi-même, je n'arrivais pas à comprendre pourquoi j'étais différent des autres. Mais, en réalité, c'était un test d'intelligence (Test WAIS) et le résultat a été une grosse surprise parce que ce résultat était très élevé. Il avait écrit 148 en gros sur le rapport du test… c'était mon quotient intellectuel.
La moyenne des QI est de 100. À partir de 130 de QI, on parle de potentiel de super-dotation intellectuelle, plus exactement de douance. Lorsque l’on passe les 145, on parle de douance profonde. Il y a donc plusieurs niveaux, les plus de 130 de QI représentent 2% de la population. Quand on passe 145 de QI, cela correspond à 0,01% de la population et, dans mon cas, c'est une personne sur 5.000 à peu près qui a un quotient intellectuel similaire ou supérieur au mien. Ça peut paraître beaucoup mais, en réalité, ce n'est pas tant que ça. Si l’on prend une grande ville, cela représente énormément de personnes.
Je sentais bien que j'étais intelligent mais pas plus que ça. Donc, quand j'ai eu le résultat du test, j’ai été très surpris
Je suis passé par plusieurs phases. La première a été la négation, je me disais que ce n'était pas possible, qu’il y avait eu une erreur, que je n’étais pas un surdoué ni un génie, parce que j'ai eu plein de problèmes dans ma vie. Ma deuxième réaction a été la colère. Colère contre mes parents, contre l'école, contre moi-même également de ne pas l'avoir vu avant alors que ça paraissait désormais tellement évident. La troisième étape a été un peu de dépression en me disant que si j'avais été détecté plus jeune, ma vie aurait été complètement différente. Une véritable sensation de gâchis d’un potentiel. J'ai ensuite eu tout un tas de souvenirs qui me sont revenus en mémoire. Des choses qui n’avaient pas fonctionné, des échecs, etc. Cependant, je me suis mis à observer ces problèmes passés d'un autre œil, celui de la douance. Cela m'a permis de comprendre beaucoup de choses. Finalement, la dernière étape a été d'accepter le diagnostic.
Ensuite, j'ai beaucoup étudié le sujet dans l'idée de me comprendre moi-même, parce que quand tu es surdoué et que tu n'es pas détecté, tu sens que tu es différent des autres personnes mais tu ne sais pas pourquoi, tu as tout un tas de problèmes au niveau social, scolaire, professionnel et émotionnel, etc. Cela fait un bien fou de se comprendre enfin soi-même et de comprendre comment fonctionnent les autres personnes pour enfin apprendre à gérer au quotidien ces différences et pour se sentir mieux dans la vie.
Il m’a fallu deux ans pour assimiler tout ça et pour me sentir nettement mieux. Puis, j'ai eu une grosse envie de changements. J'ai eu envie de partir et de découvrir de nouvelles choses. S’est présentée une opportunité de venir au Pérou que j'ai saisie. Et, même s’il y a de grosses différences culturelles et que le fait d'être surdoué a joué en ma défaveur parce que ce n'est pas toujours très facile de socialiser, je me suis épanoui ici, au Pérou, et ça m'a vraiment permis de me sentir mieux.
Comment débute votre engagement pour la douance au Pérou?
Il y a environ six ans, j'ai un ami péruvien qui m'a demandé de donner une conférence au Rotary Club de Lima. Je lui ai suggéré de parler des surdoués parce qu’il n’y avait rien du tout sur ce thème au Pérou. À la fin de ma présentation, une femme d'une quarantaine d'années s'est approchée de moi et qui m'a dit « Je me suis complètement reconnue dans ce que tu as dit. Je sais maintenant que je suis surdouée moi aussi parce que je me suis vraiment identifiée à tout ce que tu as raconté ». J’ai été très touché qu'elle me dise ça.
Avec une petite conférence, j’ai réussi à changer la vie d'une personne !
Quelques jours plus tard, en relisant un bouquin qui parlait de la douance, j'ai eu comme une révélation en prenant conscience qu'avec seulement une petite conférence j’avais réussi à changer la vie d'une personne. Quand j'ai été diagnostiqué, cela m'avait beaucoup aidé. Donc je me suis dit que maintenant, c'était à mon tour d'aider les surdoués du Pérou. Une manière pour moi d’aider le pays qui m'a si bien accueilli.
Je ne savais pas comment commencer, je ne connaissais aucun autre surdoué au Pérou, j'ai cherché sur Internet et je n'ai rien trouvé. Aussi, je me suis dit que le plus simple à faire était de créer un site web et d’écrire des articles sur le sujet. C'est ce que j'ai fait avec https://www.superdotadosperu.info/. Au bout d'un an, des personnes ont commencé à me contacter en me disant qu’elles suspectaient le fait d’être, elles-aussi, surdouées et qu’elles voulaient être diagnostiquées. Mais le problème, c'est qu’un test d'intelligence ici coûte très cher, c’était donc hors de portée pour de nombreuses personnes qui ne pouvaient pas confirmer leurs doutes.
Dans le but de créer une association, nous avons donc monté une petite équipe et, en octobre 2016, nous avons décidé de donner une conférence sur le sujet. J'ai contacté le journal Publimetro de Lima pour parler de la conférence et la journaliste était très intéressée. Elle a fait un papier sur le sujet et, dès le lendemain de la parution de l’article, j'ai eu 600 personnes qui se sont inscrites pour assister à la conférence. Un tel intérêt pour un sujet totalement méconnu ici a été une grosse surprise. Du jour au lendemain, j'ai eu énormément de personnes qui m’ont dit qu’elles voulaient passer un test d’intelligence.
Le mois suivant, en novembre 2016, je suis allé à Bogota où j'ai rencontré le président de Mensa Colombie pour parler de mes intentions de créer une antenne Mensa au Pérou. Je lui ai également dit que j'avais beaucoup de personnes qui souhaitaient être évaluées. Il est donc venu en décembre 2016 pour faire passer des tests à Lima, mais aussi à Arequipa et à Cusco. Il a ainsi détecté plusieurs personnes. A son retour à Bogota, le président de Mensa Colombie a envoyé un rapport à Mensa international. Le président de Mensa International nous a invité à organiser de nouvelles sessions de tests qu’il viendrait lui-même superviser. C'est ce que nous avons fait en mars 2017. Après ces tests, ravi de ce qu’il avait vu, le président de Mensa international a décidé de nous autoriser à créer une antenne Mensa au Pérou. Il m'a ensuite formé, ainsi qu'une autre personne, pour pouvoir faire passer les tests.
Mensa Pérou est une association destinée à des personnes qui ont 15 ans ou plus. Or, je voulais aussi travailler avec les enfants parce que plus la détection est précoce, plus il est facile de développer le potentiel. J'ai donc créé une autre association qui s'appelle « Superdotados Pérou » et qui se focalise sur les enfants entre 5 ans et 14 ans. Nous faisons passer des tests aux enfants. Nous offrons aussi tout un programme pour expliquer aux parents comment fonctionnent leurs enfants pour mieux les aider à développer leur potentiel. Nous leur proposons, par ailleurs, des programmes de développement personnel et de stimulation intellectuelle.
Quels sont les axes de travail pour les deux associations ?
Pour un surdoué, il est très important d'être détecté. Découvrir sa douance est un premier pas qui change ta vie en mieux.
Je travaille beaucoup à informer le public sur ce qu'est la douance, comment sont les personnes surdouées afin qu’elles puissent se reconnaître
Une fois que ces personnes intègrent Mensa, elles peuvent profiter de tout ce que nous offrons. Nous faisons, pour cela, un travail global avec les surdoués. Il y a notamment tout un aspect social qui est vraiment très important. Il permet d'être en contact avec d'autres surdoués et d'avoir des conversations très enrichissantes entre nous. Quand les nouveaux arrivent, ils se sentent tout de suite en famille.
Nous travaillons la stimulation intellectuelle. En effet, l'intelligence est un peu comme un muscle. Tu peux avoir un gros potentiel mais, si tu ne le travailles pas, ton muscle reste atrophié. C'est la même chose avec l’intelligence, quand tu as un quotient intellectuel très élevé, cela signifie que tu as un fort potentiel. L'intelligence, c’est que tu fais avec ce potentiel.
Nous travaillons aussi beaucoup la partie mieux se connaître soi-même. En effet, une fois que l'on découvre sa douance, ce n'est pas tout. Il faut aussi comprendre comment on fonctionne et comment fonctionnent les autres. Cela passe par des programmes, des tests personnels qui permettent de mieux comprendre sa personnalité, ses points forts et ses points faibles.
Nous offrons également différents programmes de développement personnel pour apprendre à gérer ses différences et se sentir mieux dans sa vie. Nous avons par exemple un programme pour apprendre à gérer ses émotions. L’une des caractéristiques des surdoués est l’hypersensibilité. Au niveau sensoriel d’abord, nous avons les sens plus développés. Nous ne supportons pas, par exemple, les bruits forts, les étiquettes des vêtements ou encore certaines textures dans l'alimentation. L’hypersensibilité touche aussi nos émotions. Celles-ci sont vécues de façon beaucoup plus intense. C'est pour cette raison que 80% des surdoués souffrent d’au moins un épisode dépressif dans leur vie. Il y a aussi un taux de tentatives de suicide chez les surdoués qui est bien supérieur à la moyenne. Dans nos programmes de développement personnel, nous avons, entre autres, du yoga ou bien encore de la méditation en pleine conscience. Tout cela nous permet d'avoir des outils pour mieux gérer nos émotions intenses.
Quelles ont été les conséquences de la crise sanitaire sur vos activités ?
Nous avons notamment dû arrêter de faire passer des tests depuis mars l’année dernière. Nous avons une réunion mensuelle avec du développement personnel, une conférence avec un expert sur des sujets très variés, de la stimulation intellectuelle et ensuite un moment de partage plus social. Depuis le mois de mars, tout cela a été suspendu ! C'est problématique parce qu’avec le confinement, le problème de l'isolement est parfois ressenti de manière beaucoup plus intense par les surdoués et les tendances dépressives sont exacerbées.
Face à ce contexte, nous nous sommes adaptés. Nous continuons nos réunions mensuelles avec un format similaire mais de manière virtuelle. Ce que nous avons mis en place, par ailleurs, est un soutien psychologique gratuit pour ceux qui en éprouvent le besoin.
Superdotados Pérou : https://www.superdotadosperu.info/
Mensa Pérou : https://mensa.pe/
Êtes-vous un surdoué sans le savoir ? Pour plus d’informations et pour découvrir les caractéristiques communes aux personnes à haut potentiel intellectuel, rendez-vous sur le site suivant (en espagnol) : https://www.superdotadosperu.info/es-usted-un-adulto-superdotado-no-detectado/