Rien ne prédestinait Thomas Jacob, un breton d’une trentaine d’années, ancien chasseur de tendance pour Chanel, à créer sa marque de vêtement au Pérou et encore moins en employant des prisonniers.
« J'avais une amie française qui donnait des cours dans une prison. Un jour, elle m'a invité à venir voir une pièce de théâtre qu'elle a montée avec ses élèves détenus. Certains m'ont dit qu'ils avaient des machines à coudre. J'ai vu qu'il y avait du potentiel pour produire quelque chose. Les mecs étaient motivés et on a commencé comme ça », explique Thomas Jacob.
La prison de Lurigancho est l'une des plus dangereuses d'Amérique latine
Dans cette prison surpeuplée au nord de Lima, c’est une mafia interne qui fait la loi. Les détenus circulent librement, tout comme l’alcool, la drogue et les prostituées. La prison de San Juan de Lurigancho n’est pas gérée par l'administration pénitentiaire mais par la police et au-delà de la corruption, le rapport de force est complètement déséquilibré, on compte 100 policiers pour 10.000 prisonniers.
Malgré tout cela, c’est bien au sein de cette prison que Thomas a mis en place un atelier de couture, il y a un peu plus de cinq ans, pour créer son entreprise et lancer sa marque de vêtements « Pietà ».
C’était plus une envie de travailler avec les détenus que d'en tirer un profit commercial
« Au début, je n'avais aucune prétention, je voulais juste aider les détenus avec ma petite expérience, il n’y avait aucune ambition. J’étais plus dans une optique sociale, j'avais aucune intention de développer un projet commercial lucratif ».
« Mais pour moi, il n’y avait pas moyen de développer le projet si on ne le faisait pas comme une entreprise. Au Pérou, il y a beaucoup d’ONG mais elles n’ont pas vraiment de potentiel de développement parce qu’elles sont toujours dépendantes des dons ».
Je sentais que si on travaillait avec les outils des ONG, on n'allait pas pouvoir se développer
« L’objectif était vraiment de faire quelque chose d'original, de différent et d'authentique. Développer une marque juste qui respecte l'environnement et le travailleur. Même si c'était plus le côté social qui m'intéressait, dès le début j'ai remarqué qu'il y avait un gros potentiel du point de vue marketing. C'est unique, il n'y a pas de concurrence, c'est vraiment authentique, c'est pour ça que c'est intéressant commercialement. Si le produit n'était pas sexy le projet ne pourrait pas se développer ».
Thomas a vite compris qu'il pouvait utiliser l'image de la prison à son profit et en faire une stratégie marketing très rentable. L'image des prisonniers marche très bien auprès de la jeunesse branchée péruvienne mais aussi à Paris ou aux États-Unis grâce à la vente en ligne.
Comment s’organise le travail avec les détenus ?
« Je m'appuie sur les détenus pour tout le management dans la prison. Quand j'ai commencé, je travaillais avec trois-quatre détenus. Ce sont eux qui maintenant sont les chefs d'équipe qui gèrent l'atelier. Je leur fais complètement confiance, ils savent gérer les détenus. Ce n'est pas comme travailler dans une entreprise normale, c'est différent, il faut être assez malléable et compréhensif sur la vie des détenus, il faut savoir s'adapter. On leur laisse donc la liberté de s'organiser comme ils le souhaitent, ils se gèrent seuls ».
Thomas se charge du design et la trentaine de détenus qui travaille actuellement à l’atelier, confectionne les vêtements. Depuis le lancement du projet, plus d'une centaine de détenus a été formée. Et de son côté, l'administration accorde son soutien au projet parce qu’elle y voit un moyen de changer l'image sulfureuse de la prison.
Si ce travail permet aux prisonniers d'occuper les heures libres, il est surtout intéressant pour deux autres raisons. Tout d’abord, ils sont salariés, les détenus sont payés à la pièce, donc plus ils produisent plus ils gagnent. Ensuite, les détenus employés bénéficient d'une réduction de peine d'une journée pour chaque jour passé à l'atelier. Pour beaucoup d’entre eux, travailler dans l'atelier de couture permet de retrouver une certaine stabilité qui aide à envisager un avenir différent et à réussir leur sortie de prison grâce à une meilleure réinsertion professionnelle et sociale.
Comment avez-vous vécu la crise du Covid-19 ?
« En ce moment, nous avons trois boutiques : Jokey Plaza, Real Plaza Salaverry et Callao Monumental. L’année dernière, on a dû fermer les boutiques de Larcomar et de l’Open Plaza de Angamos, mais c'était un peu une coïncidence parce que les contrats de bail se terminaient en mai et juin. Comme il n’y avait pas vraiment de vision sur le futur avec la crise du Covid, on a donc décidé de fermer ces deux boutiques ».
« La chance qu'on ait eue, c'est qu'on avait une boutique en ligne qui fonctionnait déjà assez bien avant et qui a explosé pendant le confinement. Vu qu'il y avait une pénurie de masques au Pérou, on en a très vite fait et on en a vendu énormément. On avait les stocks, la logistique et notre page web pour les vendre et les distribuer, donc c'est ce qui nous a un peu sauvé ».
« Évidemment si on compare avec les autres années, c'était plus compliqué l'année dernière commercialement. À l'international, le problème, c'est que les services de la poste au Pérou sont restés fermés jusqu'à début septembre donc aucun envoi était possible vers l'étranger, mais c’est reparti en novembre avec les ventes pour Noël ».
Quelle est votre vision pour le futur ?
« Pour l'instant, on ne se fait pas trop de plans sur le moyen et long terme. Avant le confinement, on voulait développer beaucoup plus l’international avec une participation dans des salons, en travaillant avec des agents commerciaux en Europe et aux États-Unis, mais le Covid a remis la situation à zéro. Donc cette année, on va voir, pour l’instant au Pérou, on vend super bien, donc on va voir dans la deuxième partie de l'année ce qu'on peut faire, si on peut reprendre les ventes à l'international ».
Pour l’instant, on n’a pas vraiment de vision à moyen terme