Édition internationale

« Karuara, la gente del río » : la lutte du peuple Kukama pour la défense de son fleu

Quand la culture et l’activisme se rencontrent pour défendre l’Amazonie.

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Écrit par Emma Darsonval
Publié le 1 mars 2025, mis à jour le 2 mars 2025

Grâce à un entretien exclusif avec Stéphanie Boyd, réalisatrice canadienne, et Mari Luz Canaquiri, leader indigène, plongez à la découverte d’un documentaire unique sur le peuple Kukama et sa relation spirituelle avec le fleuve Marañón. Fruit de dix ans de travail, il nous invite à repenser la façon de voir la nature, notamment face à une multiplication des menaces.

Le peuple Kukama et son lien profond avec le fleuve

« La rivière n’est pas seulement de l’eau. C’est un droit fondamental. C’est la vie ». Prononcée par Mari Luz Canaquiri, c’est le cœur de la philosophie Kukama.

Une façon unique de percevoir la nature comme des êtres vivants à part entière, où les esprits de leurs ancêtres y vivent et les protègent. En effet, selon les croyances, dans les profondeurs du fleuve se trouve un monde d’esprits, les Karuaras, qui signifie "le peuple du fleuve" dans la langue Kukama Kukamiria, et qui maintient l’équilibre de la nature.

Ainsi, dans le documentaire, on y retrouve un mélange de témoignages et d’animations réalisées par des enfants des communautés indigènes afin de raconter leur histoire. L’un des objectifs de ce court-métrage est donc de mettre en lumière ces récits, cette manière unique de percevoir son environnement. 

            «  Mais par-dessus tout, la mission est d’informer les populations et de les éduquer, face aux menaces qui menacent l’équilibre du fleuve et de la nature. »

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@Source : Le Monde

 

L’Amazonie compte parmi les victimes les plus marquantes de la crise climatique. Incendies, déforestation, exploitation minière illégale ou encore déversements de pétrole mettent en danger ce territoire. Quel est le rôle du documentaire face à ça ? Selon la chef du peuple Kukama, c’est informer la population, s’assurer qu’ils se sentent concernés, pas seulement au niveau local mais aussi national. Réunir les communautés indigènes autour de cette défense des territoires est la première étape primordiale selon elle. En utilisant le documentaire, les dessins, et l’art de manière générale, l’espoir est de faire passer le message plus facilement en faisant appel aux émotions.

Parallèlement à ce travail de réalisation cinématographique, des actions légales ont été entamées dès 2021, afin que ces territoires soient considérés comme êtres vivants aux yeux de la loi. Ainsi, cette bataille juridique menée par Huaynakana Kamatahuara Kana, une fédération de femmes kukama, a porté ses fruits en 2024, en permettant la reconnaissance des droits du fleuve. Pourtant, le gouvernement tarde à appliquer cette décision, ce qui pousse les Kukamas à poursuivre la mobilisation avec une pétition pour faire pression.

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@ tournage de Karuara, la gente del río

 

Un message universel

Karuara, la gente del río n’est pas seulement un film sur le peuple Kukama, c’est une invitation à repenser notre relation avec la nature. Là où la vision occidentale considère souvent la nature comme une ressource inépuisable, la cosmovision Kukama la perçoit comme un être vivant, doté d’une âme et de droits.

« Les Kukamas ne défendent pas seulement un fleuve, ils défendent un monde qui disparaît. »

Ce documentaire met en lumière un conflit fondamental : l’exploitation effrénée des ressources naturelles au nom du profit, au détriment des peuples qui en dépendent. En effet, derrières les images envoûtantes du fleuve Marañón, on peut y voir une critique implicite du capitalisme et de son impact dévastateur : la déforestation, la pollution des eaux par les marées noires, l’avidité des entreprises qui pillent sans considération pour les générations futures.

Mari Luz Canaquiri évoque justement cette critique lors de l’entretien, en accusant ceux qui pensent seulement à amasser de l’argent alors que le fleuve est avant tout une source vitale de nourriture pour son peuple. Selon elle, « si on n’y fait pas attention, de quoi allons-nous vivre ? »

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@Karuara, la gente del río

 

Ainsi, de par ces récits, l’ambition est non seulement de dénoncer, mais aussi d’ouvrir une réflexion sur l’avenir. Comment lutter efficacement contre ce sacrifice de l’environnement ? Selon la leader du peuple Kukama, l’éducation apparaît comme une arme essentielle pour former les futurs défenseurs de ces territoires. A ce titre, ses filles étudient l’anthropologie humaine au sein de l’Université de Iquitos au sein de la forêt amazonienne.

Mais le chemin qu’il reste à parcourir est encore long : selon une étude de l’UNESCO en 2024, plus de 60% des écoles du territoire amazonien n’ont pas d’eau potable ni d’électricité, avec une offre d’éducation supérieure quasi inexistante. De ce fait, des solutions sont proposées aux 51 communautés indigènes, comme soutenir les initiatives éducatives locales, et intégrer les savoirs autochtones dans les programmes scolaires. Sans accès à l’éducation, l’avenir des traditions mentionnées dans le documentaire est condamné à l’oubli.

«  Ainsi, ce film est donc bien plus qu’un témoignage : il est un appel à l’action, un rappel urgent que protéger la nature, c’est aussi protéger l’humanité elle-même. »

 

EMMA DA
Publié le 1 mars 2025, mis à jour le 2 mars 2025

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