L'oeuvre de l'Allemand Schimmelpfennig est la première pièce de théâtre montée au Pérou depuis le début de la pandémie. Une production de l’ENSAD présentée gratuitement en ligne du 3 au 20 décembre.
Gilbert, comment êtes-vous arrivé à ce projet ?
« Depuis 2003, j’ai mis en scène une dizaine de spectacles à Lima, de théâtre essentiellement, mais aussi deux opéras. J'ai monté beaucoup d'auteurs contemporains français, à l'Alliance française, à l’Université Catholique (PUCP) et mais aussi pour le très beau théâtre de l’Université du Pacifique. En moyenne tous les ans et trois mois, je monte un spectacle à Lima ».
« Ce projet, c'est comme une consécration pour moi parce que c'est l'École Nationale Supérieure d’Art Dramatique (ENSAD) qui m'appelle pour monter un spectacle avec ses anciens élèves qui sont devenus professionnels ».
« En novembre l'année dernière, j’ai rencontré la nouvelle directrice de l'école et je lui ai proposé huit textes différents, du classique avec Shakespeare, Molière… et du contemporain. Elle a tout de suite choisi le texte de Schimmelpfennig, le texte le plus contemporain. Moi, je n'avais jamais travaillé sur cet auteur, donc ça m’a plu parce que j’ai plutôt envie de monter des projets qui me font peur et pas des choses que je sais déjà faire ».
« En janvier, j’ai fait un casting et puis est arrivée la pandémie. On m'appelle en avril me disant que tout est annulé. Fin août, on me rappelle et on me dit que finalement ça va se faire aux mêmes dates que ce qui était prévu, donc je me retrouve à devoir faire ce spectacle en un mois avant de partir pour le Pérou. Normalement, il me faut trois ou quatre mois pour penser une scénographie ».
On est les premiers à monter un spectacle depuis le début de la pandémie
« Il y a eu des œuvres en appartement mais un spectacle répété, une pièce de théâtre avec six semaines de répétition, douze acteurs, un gros spectacle, c’est le premier depuis la pandémie ».
« Mais les conditions n’ont pas été très simples. D’abord, des répétitions avec les masques et après, il y a eu les manifestations et la crise politique, donc des répétitions annulées plusieurs fois, moins d'heures de répétition, tout était chamboulé en permanence et malgré tout, nous y sommes arrivés ! Au final, on a un spectacle qui a été filmé pour être proposé en ligne gratuitement ».
Un plan séquence d’une heure seize avec douze personnes sur scène !
« Dès le départ, j'ai précisé que je ne voulais pas faire une captation de spectacle traditionnelle avec plusieurs caméras, ça ne m’intéressait pas du tout. Moi, je voulais faire un plan-séquence ».
« Avec le plan séquence, je voulais qu'on voie une représentation et non le montage de plusieurs représentations. On fait du théâtre, on est dans une continuité, ce n'est pas du cinéma ou de la télévision. Il faut projeter l'énergie du jeu ! »
« L'espace est un grand espace avec six zones différentes qui sont délimitées au sol, un peu comme dans le film “Dogville” où on rentre dans un village qui est entièrement recomposé au sol, il n’y a pas de murs, il n'y a que les marques des murs sur le sol. C'est un peu ce principe-là sauf que dans “Avant/Après”, il y a quatre chambres d'hôtel et deux autres espaces qui ne sont pas vraiment définis ».
« L’idée, c’est donc que la caméra commence sur la première scène et qu'elle aille toujours en mouvement chercher les espaces différents où ça se joue. Le fait d'assumer pleinement les mouvements de caméra marche très bien, le cameraman était super ! Mais cela implique tout de même une sophistication technique avec l’utilisation d’une “Steadicam”. On avait aussi une caméra témoin qui nous a permis d'avoir des plans de coupe. Dans le spectacle, il y a les deux mouvements de caméra qui ne me plaisait pas, alors là, on a collé des plans larges ».
« Pour moi, c'était assez excitant à imaginer et à faire. Je me suis un peu inspiré du film “L'Arche russe” qui est un plan séquence d'une heure et demie avec 2.000 personnes au musée de Saint-Pétersbourg… Inconsciemment, j'ai composé un peu la mise en scène en fonction du plan séquence, même si la même mise en scène peut se faire sans la caméra devant du public ».
“Avant/Après”, c'est beaucoup d'histoires de couples qui basculent entre l’avant et l’après d’une prise de décision
« “Avant/Après”, c'est avant-après la pandémie, avant-après qu’arrive le virus parce qu’il y a un personnage qui s'appelle l'organisme et qui vient attaquer l'homme. Donc, c'est exactement le Covid. Alors que la pièce a été écrite il y a dix ans, il y a quand même l’idée de la pandémie qui colle complètement à l'actualité ».
« C'est aussi avant-après une prise de décision, tu prends une décision et après qu'est-ce qui se passe ? L’avant et l’après dans nos décisions de vie, c'est-à-dire une fois que j'ai fait un choix, comment suis-je transformé ? Dans ce texte, il y a 32 personnages et 51 scènes. La scène la plus courte fait 10 secondes et la plus longue doit faire 3 minutes. Il y a toujours des choix dans toutes les scènes de la pièce et en fonction de ces choix, l’histoire bascule ».
« Ce qui est aussi très particulier, c'est que ce sont des points de vue, par exemple le personnage qui s'appelle “la fille qui a plus de 30 ans” et qui a une aventure avec un type qui bosse dans sa boîte, il y a son récit “à elle” mais il y a aussi le récit “à lui”, donc différents points de vue ! »
« Moi je m'amuse, c’est fondamental dans mon métier. Si je ne m'amuse pas, je ne peux pas le faire. [Avec ce projet], c'était super, on s'est beaucoup amusé en répétition… Le théâtre, c'est comme la cuisine, c'est-à-dire que tu as des ingrédients que tu maîtrises, d’autres que tu maîtrises moins, que tu as plus ou moins choisis et puis, il faut faire monter la sauce entre tout ça ».
La première de la pièce "Avant/Après" a lieu ce jeudi 3 décembre à 20h. à travers la page Facebook de l’ENSAD. Puis plusieurs retransmissions sont prévues jusqu'au 20 décembre, du jeudi au dimanche, à 20h.
« Antes/Después » est une pièce de Roland Schimmelpfennig, mise en scène par Gilbert Rouvière, produite par l'École Nationale Supérieure d’Art Dramatique (ENSAD) du Pérou.
Pour suivre Gilbert Rouvière, consultez le site de sa compagnie : https://zinctheatre.com