

Le coin DVD par Gérard CAMY
La Collection film par film (2e partie)
Traquenard de Richard Fleischer (1949) avec Lloyd Bridges, Barbara Payton et John Hoyt.
Le département du Trésor américain propose à un faussaire purgeant une peine de sept ans de prison de les aider à démanteler un trafic de faux billets. Mais celui-ci échappe vite à sesgardiens et rejoint sa bande de faux-monnayeurs. Traquenard (ne pas confondre avec Traquenard réalisé par Nicholas Ray en 1958) est un de ces longs-métrages d'après guerre à la gloire des agents du trésor ou des policiers (comme La Brigade du suicide d'Anthony Mann en 1947 et La Cité sans voile de Jules Dassin en 1948) qui commence comme un documentaire et vire au noir. Touche à tout de talent, Richard Fleischer est particulièrement à l'aise dans un genre où le regard social et les scènes d'action se mêlent dans un montage au cordeau, nimbés de clairs-obscurs inquiétants et splendides. Le rythme est sec et nerveux, les temps morts bannis. Un casting volontairement à contre emploi provoque une ambiguïté soutenue qui maintient le spectateur en alerte : Lloyd Bridges, l'habituel bon garçon est ici le méchant et John Hoyt, habitué de rôles équivoques et souvent douteux, joue le héros positif. Une très belle découverte.
La volonté du mort de Paul Leni (1927) avec Laura La Plante, Creighton Hale et Forrest Stanley
Cyrus West, un milliardaire original a laissé un testament à lire 20 ans après sa mort. Dans son château hanté, ses héritiers se réunissent la date venue pour prendre connaissance des dernières volontés du mort. Mais un fou meurtrier évadé d'un asile s'est réfugié dans les lieux. Ce petit bijou d'humour et de poésie est le premier film américain du cinéaste allemand Paul Leni, auteur en 1924 d'une des ?uvres majeures du cinéma expressionniste, Le Cabinet des figures de cire. Un château hanté par des fantômes et des fous et façonné par de longues ombres inquiétantes, le déguisement monstrueux d'un assassin aux dents, aux griffes et aux yeux proéminents et les longs travellings dans les couloirs battus par les vents, donnent au film une atmosphère digne des grands chefs d'oeuvre du film fantastique. Suspense, fausses pistes et une résolution inattendue confirme par contre son statut de polar. Mais, derrière une dramaturgie de l'ombre et de la lumière impressionnante, le malicieux Paul Leni, jouant avec la politique des genres, nous offre finalement une comédie enlevée et drôle, aux dialogues percutants et savoureux, joués par des acteurs excellents. Un grand bonheur.
Le Voyage de la peur d'Ida Lupino (1953) avec Edmond O'Brien, Frank Lovejoy et William Talman
Premier film noir à avoir été réalisé par une femme, Le Voyage de la peur est une vraie réussite. Ida Lupino, plus connue comme actrice (elle accompagnait Humphrey Bogart dans La grande évasion de Raoul Walsh en 1941) que comme réalisatrice nous propose un road-movie d'une rare tension. Deux amis en goguette croisent la route d'un autostoppeur qui est en réalité un dangereux psychopathe. Ils sont pris en otages. La réalisatrice accepte tous les codes du genre et les pousse à leurs limites en restant constamment aux côtés du psychopathe, comme mûe par une fascination malsaine. William Talman, à l'instar de Rutger Hauer dans « The Hitcher » porte le film sur ses larges épaules. Sa performance est extraordinaire en prédateur démoniaque au faciès douloureux et dont l'?il droit est continuellement ouvert. D'une simplicité scénaristique remarquable, parfois proche du style documentariste en vogue à cette époque, ce polar possède une singulière noirceur de ton qui lui donne une véritable originalité . A ne manquer sous aucun prétexte.
Sables mouvants d'Irving Pichel (1950) avec Mickey Rooney, Peter Lorre, Barbara Bates et Jeanne Cagney
Mis en scène par l'un des co-réalisateurs des Chasses du Comte Zaroff (il s'occupait des scènes dialoguées), Sables mouvants était jusqu'à maintenant totalement inédit en France. Etonnant quand on regarde le générique ! De plus, c'est un film noir remarquable au scénario bien charpenté autour d'un homme honnête et sans histoire qui se trouve « impliqué » dans une affaire avec des gangsters. En quelques plans, Pichel installe une scène, un personnage, une situation. La sécheresse nette et tranchante, du montage et l'élégance glacée et un peu froide de la photo donnent au « cauchemar » du pauvre homme une dimension presque pathétique. Mickey Rooney est étonnant et forme avec Jeanne Cagney, femme fatale, un couple maudit entraîné dans une spirale infernale proche de celui du Démon des armes de Joseph H. Lewis (1950) Quant à Peter Lorre, il est tout simplement génial.
Le Mystère de la chambre close de Michael Curtiz (1933) avec William Powell, Mary Astor et Eugene Pallette.
Archer Coe est retrouvé mort dans sa chambre hermétiquement close de l'intérieur. Alors que la police conclut à un suicide, Philo Vance décide de mener sa propre enquête après avoir découvert que la victime a été battue avant de mourir. Réalisé par le grand cinéaste hollywoodien Michael Curtiz, deuxième épisode d'une longue série intitulée « whodunnit » relatant les enquêtes (16 films) du détective privé Philo Vance, Le Mystère de la chambre close est un film policier plutôt classique et plaisant;Les éléments de l'enquête sont dévoilés peu à peu par un montage fluide ponctué de quelques flashbacks explicatifs. Si la mise en scène reste très sage, l'originalité vient de l'opposition entre Vance, dandy sympathique issu de la bonne bourgeoisie, et l'inspecteur de police d'origine modeste aux méthodes parfois contestables. Les deux acteurs, William Powell, mince et distingué et Eugene Pallette, lourd et maladroit, investissent avec gourmandise ces rôles taillés sur mesure. Des dialogues efficaces, un suspense digne des romans d'Agatha, Le Mystère de la chambre close est un bon petit polar (pas un film noir) qui se déguste avec plaisir.
La pépite de la semaine :
L'Incroyable Monsieur X de Bernhard Vorhaus (1948) avec Turhan Bey, Lynn Bari et Cathy O'Donnell
Christine Farber tombe sous la coupe d'un séduisant mais inquiétant médium qui lui promet de la mettre en contact avec son époux décédé. Mais son nouveau compagnon soupçonne le médium de vouloir mettre la main sur la fortune de la jeune et jolie veuve. Entre fantastique et film noir, L'Incroyable Monsieur X déroule avec brio la sombre machination qui menace la raison, puis la vie de Christine. L'intrigue policière, tout en rebondissements jusqu'au dénouement final, baigne dans une ambiance inquiétante, entre expressionnisme et surréalisme, magnifiée par la sublime photographie du chef opérateur préféré d'Anthony Mann, John Alton. De surimpressions vaporeuses en somptueux contre-jours, dans l'ombre d'Alfred Hitchcock (La maison du Docteur Edwardes, 1945) ou de Edmund Goulding (Le Charlatan, 1947) Bernard Vorhaus oscille entre thriller psychanalytique et fantastique poétique. Ce dernier, cinéaste pratiquement inconnu, était un de ces réalisateurs à tout faire qu'Hollywood employait régulièrement et qui, au fil d'une filmographie souvent médiocre, distillait quelques pépites comme cet Incroyable Monsieur X. Cette démente plongée dans la folie orchestrée autour d'un véritable ménage à trois, est un des derniers films de Vorhaus aux Etats-Unis car, victime de la chasse au sorcières, il émigra en Grande Bretagne où il collaborera comme réalisateur de seconde équipe à des films de grands réalisateurs tels William Wyler, Joseph Mankiewicz ou King Vidor. Un film à découvrir toute affaire cessante.
Par contre on pourra éviter d'écouter Alfred Eibel qui dans le bonus multiplie les inexactitudes tant sur le réalisateur (né à new York et non en Autriche) que sur l'acteur principal Turhan Bey.
(Suite et fin de la collection « Serial Polar » la semaine prochaine)



































