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L'archipel des ombres, récit de voyages dans l'Indonésie contemporaine

"J’étais arrivé à Sumatra sous un ciel couleur chiffon. La mousson. Dans les rues flottaient des odeurs d’épices, de pots d’échappement et de durian... Un pays-continent chaleureux et disparate qui danse sur un volcan et  tremble souvent de toute sa terre. (…)". L’archipel des ombres, un voyage en Indonésie de Bruno Philip.

Couverture du livre L'Archipel des ombresCouverture du livre L'Archipel des ombres
Écrit par Cécile Collineau
Publié le 2 janvier 2024, mis à jour le 31 janvier 2024

 

L'Indonésie à travers une galerie de portraits

Depuis sa publication en 2014, "Indonesia Etc : Exploring the Improbable Nation" d'Elizabeth Pisani restait pour moi le livre de référence sur l'Indonésie contemporaine, mi-récit de voyages, mi-essai journalistique. Je me désolais qu’il n’ait pas été traduit en français. Fort heureusement, Bruno Philip, correspondant Asie du sud-est pour le quotidien Le Monde, vient de publier un livre un peu similaire (mais un peu différent aussi…. same same but different) qui m’a totalement séduite. On voyage d’ouest en est à travers tout l’archipel, depuis Sumatra jusqu’aux Moluques, en passant par Bornéo, le Sulawesi, le Timor occidental. Java est passé en coup de vent, Bali est éclipsé : on s'éloigne des sentiers battus. Bruno Philip peint une galerie de portraits plus hauts en couleurs les uns que les autres, ceux que les grands journaux délaissent d’habitude : un artiste batak, un gangster fasciste, un marin clochard perdu à Sunda Kelapa, un urbaniste branché de Jakarta, un vieux Chinois opposant de Suharto, un anthropologue Dayak qui cite du Baudrillard, un exorciste évangéliste au fin fond de la jungle, un activiste écologique, une princesse de 92 ans, un buffle qui coûte 50 000 euros, un sultan putatif et philosophe à Ternate, un roi mâcheur de bétel… Et même un exhibitionniste qui déboule sans prévenir dans une citadelle en ruine à Tidore. On croise également des fantômes littéraires: Joseph Conrad et Arthur Rimbaud. Le capitaine Haddock aussi, avec qui l’auteur partage un certain penchant pour la bouteille.

Bruno Philip nous annonce dès le début qu’il est nostalgique et mélancolique. Je trouve au contraire qu’il porte sur les gens un regard malicieux et pétillant. Il m’a même fait éclater de rire page 135 en évoquant un reportage de Radio Alger par un journaliste qui visiblement ne maîtrisait pas trop son sujet. J’aime aussi son sens de l'autodérision, un brin britannique.

 

Les affrontements ethniques et religieux, bain de sang dans cet archipel

Mais il sait être sérieux aussi et les morts ne sont jamais loin. La fibre du journaliste prend alors le dessus : affrontements ethniques et/ou religieux à Bornéo en 1996, Morotai il y a 20 ans, à Banda en 1999, les différentes guerres avec les Japonais en 1942-45, avec l'armée indonésienne pendant l'indépendance du Timor-Leste, les massacres à Banda Neira par le Hollandais Coen en 1621. Combien les pages d’histoire de ce pays baignent dans le sang !

 

Bruno Philip un grand écrivain voyageur

Contrairement à certains écrivains voyageurs nombrilistes, je trouve qu’il se met peu en avant en fin de compte, et préfère parler des gens qu’il rencontre. A la fin du livre cependant, il aperçoit au fond d’une salle de bal abandonnée, à travers les ombres du passé, un type qui le salue. Aurait-il enfin trouvé son âme ? Lui seul saura y répondre. En attendant, ce récit hisse Bruno Philip parmi les grands écrivains voyageurs, comme Patrick Deville, qui savent s'éloigner des clichés, doser la petite et la grande histoire et nous faire comprendre un pays grâce à leur regard lucide et plein d’empathie.

 

L'Archipel des ombres, un voyage en Indonésie de Bruno Philip.

Editions des Equateurs

 

Pour aller plus loin :

Un entretien de l’auteur du 21 juin 2021 sur France Culture est disponible ici :

L'Indonésie d'aujourd'hui au-delà des cartes postales (franceculture.fr)