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Hommage à Albert Uderzo par Ibu Tati traductrice de la célèbre BD

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Écrit par Lepetitjournal Jakarta
Publié le 26 mars 2020, mis à jour le 27 mars 2020

Ibu A. Rahartati Bambang Haryo est la traductrice de la célèbre BD  "Astérix et Obélix" en indonésien, elle rend ici hommage au célèbre dessinateur et nous raconte leur entrevue en mai 1995.

 

                                             Hommage à Albert Uderzo

 

Si je n’avais pas lu, en mai 1995, tout-à-fait par hasard dans un magazine dont j'ai oublié le titre, que la bande dessinée Astérix allait fêter son 50ème anniversaire, je n'aurais pas contacté la rédactrice en chef du magazine Femina pour lui faire part de mon désir d’assister à la célébration de cet anniversaire. 

Bien m’en a pris, car quelques temps après, ce magazine a accepté de financer mon voyage et j’ai obtenu mon visa sans encombre. Grâce à Astérix, je suis donc arrivée à Paris et comme bien souvent j’ai bénéficié de la gentillesse de beaucoup d’amis et d’anciens élèves de l’école du Ministère des Affaires Etrangères (KEMLU) auprès de qui j’avais été formatrice.

Sitôt posée ma valise dans l’appartement d’un diplomate, le 16 juin 1995, j’ai filé directement au bureau d’Albert Uderzo, avenue Victor Hugo. J'avais trouvé l'adresse de l'éditeur d'Albert Uderzo, mais je ne pouvais pas accéder à son bureau parce que la porte d'entrée était fermée. Il y avait simplement un digicode avec des lettres et des chiffres mais évidemment j'ignorais le code. Le seul moyen était de téléphoner à sa secrétaire mais à l’époque on n’avait pas un smartphone dans chaque poche. Il m’a donc fallu me rendre à une cabine téléphonique toute proche. Malheureusement, trois personnes étaient devant moi, en plus de celui qui était en train de téléphoner et prenait tout son temps. Impatient, l’une des personnes qui attendaient a frappé à la porte de la cabine, mais a reçu un cinglant « Hé, tu ne vois pas que je téléphone ! » à quoi il a rétorqué « tu ne téléphones pas, tu bavardes ! » Indigné, le téléphoniste a raccroché brutalement et s’est extrait de la cabine téléphonique et claquant la porte. Nous, les quatre personnes qui attendions, avons rigolé comme des Gaulois !

Enfin, ce fut mon tour. Évidemment, ça sonnait occupé. J’ai recomposé le numéro tandis qu’une file d’attente se reconstituait devant la cabine téléphonique, et commençait à s’impatienter. De guerre lasse, je suis retournée devant la porte de l’immeuble, lourde et obstinément close. Mais le ciel, au lieu de me tomber sur la tête, m’a aidée. Un Monsieur a prestement composé le digicode et a ouvert la porte. J’ai fait signe que je souhaitais aussi entrer. Très gentiment il m’a tenu la porte, m’a invitée à entrer, et il m’a demandé qui je voulais rencontrer. « Monsieur Uderzo » ; la question suivante m’a surprise, « et pourquoi voulez-vous rencontrer Monsieur Uderzo ? » J’ai été obligée de répondre « je suis la traductrice de la bande dessinée Astérix». Sa réaction étonnée n’a pas été moins étonnante « C’est pas vrai !? Ah ça alors ! Venez, je vous accompagne… »

Monsieur Uderzo m’a accueillie chaleureusement. Il s’est étonné que son œuvre puisse être traduite en indonésien.  « Comment donc faites-vous pour traduire Astérix ?

- À mon avis, Astérix est intraduisible, ai-je répondu.

- Ah bon, pourquoi ça ?

- Trop de jeux de mots, de proverbes, des extraits de chansons, et des métathèses [mots dont certains phonèmes sont intervertis]. Par exemple, farpaitement au lieu de parfaitement. On devrait dire parfaitement, et vous faites dire à un personnage farpaitement… »

Monsieur Uderzo et sa secrétaire ont éclaté de rire. « Et alors, comment avez-vous traduit cela ? » Je leur ai expliqué comment je faisais. La traduction littérale de parfaitement en indonésien c’est dengan sempurna. Comme c’est une expression en deux mots, si on les inverse ça n’est pas drôle du tout. Alors j’ai traduit par tebul-tebul behat, l’inversion de betul-betul bebat qui signifie vraiment parfait. Monsieur Uderzo a hoché la tête, m’a fait répéter l’expression tebul-tebul behat et a tenté de m’imiter. Ce fut mon tour de rire en voyant ses mimiques.

Ensuite, il m’a demandé comment j’avais traduit les extraits de chansons, les proverbes en latin et les jeux de mots. Alors j’ai pris l’exemple de la bande dessinée Astérix chez les Belges. Dans l’une des vignettes, un légionnaire fait sa lessive en chantonnant, et cela m’a rappelé une chanson de Titik Puspa, Marilah kemari. J’ai donc été obligée de chanter le refrain en indonésien « Marilah kemari, ye ye ye ye… Dan kini menari, ye ye ye ye… », de lui traduire les paroles [Viens donc ici, yé yé yé yé… Et maintenant on danse, yé yé yé yé…], et puis de lui chanter le pastiche de ce refrain que j’avais écrit dans la bulle : « Marilah mencuci, ye ye ye ye… Nyuci sambil nyanyi, ye ye ye ye » [Viens donc laver, yé yé yé yé… Laver en chantant, yé yé yé yé…]

Malheureusement, je n’aime pas être prise en photo ni prendre des photos, et si nous avons fait une photo à cette occasion, je l’ai perdue. Cette rencontre tellement stimulante, j’ai proposé de la terminer quand j’ai remarqué que Monsieur Uderzo regardait sa montre. « Je ne vais pas vous laisser rentrer en Indonésie les mains vides ». Je n’ai pas saisi sur le coup ce qu’il voulait dire. Je pensais qu’il allait me donner des bibelots, produits dérivés des aventures d’Astérix, qui égayaient son bureau. Sa secrétaire a compris sans un mot, elle est sortie un instant et est revenue avec une grande feuille de papier épais. 

« Suivez-moi » m’a dit Uderzo. Avec courtoisie il m’a fait entrer dans une autre pièce et sous mes yeux, a dessiné le fameux personnage Astérix. Autant qu’il m’en souvienne, ce fut fait en moins de temps qu’il ne faut pour le dire, et il ajouta une dédicace : « Pour A. Rahartati Bambang Haryo, avec toutes mes félicitations et amitiés. Uderzo. »

Astérix m’a accompagnée et protégée encore une fois lorsque je me suis retrouvée à l’aéroport Charles De Gaulle, prête à embarquer sur un vol de Cathay Pacific. Je n’aime pas être bousculée au moment de l’embarquement. J’attendais le dernier appel pour monter à bord. Mais au contrôle, mon ticket a déclenché une alarme.

« Que se passe-t-il ?

- Madame, êtes-vous de la famille d’un membre de l’équipage ?

- Non… »

J’étais au bord des larmes. J’avais promis à mon petit dernier de l’emmener à Yogyakarta dès mon retour en Indonésie. Mes sanglots ont éclaté lorsque j’ai vu que l’on débarquait mon bagage de l’appareil. Tenant toujours à la main le précieux portrait d’Astérix roulé, j’ai été amenée devant le chef d’escale de Cathay Pacific. J’ai expliqué que je n’étais certes pas membre de l’équipage, mais que je devais écrire un article pour le magazine Femina, qui m’avait envoyée en France pour rencontrer Monsieur Albert Uderzo, en lien avec l’anniversaire des aventures d’Astérix.

« Albert Uderzo, d’Astérix ? - Oui, voici la preuve ». Agacée, j’ai montré les albums signés par Uderzo, et le magnifique dessin qu’il m’avait dédicacé.

Sans plus attendre, le chef d’escale m’a fait accompagner à un hôtel proche de l’aéroport Charles De Gaulle. À la réception, ils ont dit que j’étais la traductrice d’Astérix en Indonésie. Les personnes qui semblaient méfiantes au début changeaient du tout au tout en s’exclamant « C’est pas vrai !? Astérix ? »

Le lendemain, le chef d’escale est venu me chercher lui-même en voiture. À l’arrivée à l’aéroport, il m’a dispensée de l’enregistrement, a fait emmailloter ma valise dans du plastique, et tout en demandant pardon pour l’incident que j’avais subi, m’a indiqué de monter en classe affaire.

Cher Monsieur Uderzo, je viens d’apprendre de Gabriel Laufer, un lecteur fanatique d’Astérix, que vous êtes décédé dans votre sommeil, et pas à cause du Coronavirus. Reposez en paix, Monsieur. Je suis tellement heureuse de vous avoir rencontré et d’avoir eu le privilège de traduire vos BD, si appréciées des lecteurs indonésiens. Entre 1985 et 1999, j’ai traduit 19 albums d’Astérix. Et c’est encore grâce à Astérix que le 22 septembre 2018, le gouvernement français m’a décerné la médaille de Chevalier de l’Ordre des Arts et des Lettres. Sans vous, personne ne m’aurait surnommée Madame Astérix. Merci Monsieur Uderzo. Au revoir !

Merci à Phillipe Grangé pour l'aide apportée dans la rédaction de cet article.