Le petitjournal.com d’Istanbul est allé à la rencontre d'Alain Quella-Villéger, spécialiste de l'écrivain Pierre Loti, mort il y a cent ans en 1923 et grand admirateur de la Turquie. Seconde partie d'un entretien d'une grande richesse autour d'un personnage dont on n'a pas encore fait le tour...
Pierre Loti est un phénomène dont on n'a pas encore fait le tour et un écrivain toujours actuel. Alain Quella-Villéger explore de nouvelles facettes de l'écrivain pour le faire connaître au grand public.
Alain Quella-Villéger nous parle de Pierre Loti, grand admirateur de la Turquie 1/2
Lepetitjournal.com d’Istanbul : Alain Quella-Villéger, vous avez grandement contribué à réévaluer l’image de Pierre Loti ?
Alain Quella-Villéger : Oui, enfin, nous sommes quelques-uns. J'ai fait ma part et je continue. Il existe toute une chaîne avec des auteurs comme Roland Barthes qui, en 1972, a écrit une préface pour Aziyadé.
Me concernant, je travaille beaucoup avec Bruno Vercier. Nous avons publié le journal intime intégral de Loti (aux éditions des Indes Savantes). Une vraie chaîne de recherches s'est alors mise en place. Mon originalité tient peut-être au fait que je suis historien alors que presque tous les autres sont des littéraires. Nous avons ainsi des approches très complémentaires.
Et, à ce propos, avez-vous d'autres travaux en parallèle de ce travail sur Loti ?
J’en ai toujours eu beaucoup, mais ils sont moins visibles parce que Loti, c'est très grand public. J'ai beaucoup travaillé justement sur des biographies de femmes, notamment sur une femme résistante qui a été guillotinée par les nazis (France Bloch-Sérazin) ou sur la romancière Marcelle Tinayre dont j’ai réédité le voyage en Turquie. J'ai également travaillé sur Claude Farrère, ami de Loti, qui aimait beaucoup les Turcs. Enfin, j'ai publié deux biographies de l'explorateur René Caillié, premier occidental à être revenu de Tombouctou en 1828. De manière générale, j'ai beaucoup travaillé sur le thème du voyage et de l'exotisme. Loti, c'est la partie visible de l'iceberg.
Revenons à Loti, celui-ci reste votre grande passion ?
Oui, et je l'assume totalement. C'est un peu la colonne vertébrale d'une bonne partie de mon travail. A partir de lui, je vais vers d'autres écrivains, vers d'autres sujets. Ainsi, travailler sur Loti amène à s'intéresser à l'île de Pâques ou encore à la Patagonie. Loti n'est pas un sujet qui enferme. Au contraire, il ouvre à bien d'autres horizons. Parfois des gens me disent : "mais tu n’en n’as pas marre de Loti ?" et je leur réponds "c'est peut-être lui qui peut en avoir marre de moi" !
Mais le sujet est loin d'être épuisé. De nouvelles pistes émergent. Nous commençons à travailler sur la publication de sa correspondance et il reste encore beaucoup de choses à faire. Nous n'avons pas encore fait le tour du personnage !
Alain Quella-Villéger, venons-en à vos prochaines publications où il est encore grandement question de Pierre Loti. Tout d'abord, votre ouvrage "Chez Loti." (aux éditions Bleu autour). Vous avez encore beaucoup d'éléments à porter à la connaissance du grand public…
Oui, parce que c'est un livre avec beaucoup de choses inédites qui devraient surprendre. Il s'agit d'une véritable biographie domestique de Loti permettant de raconter la vie d’un écrivain chez lui. Cela peut-être aussi anecdotique car on me pose souvent des questions au sujet des grands temps forts de fêtes. Ce sera aussi l'histoire de la construction des différentes salles de la maison (chinoise, turque, renaissance, moyen-âge...). Mais c'est plus qu'un livre d'histoire, c'est pour cela que le sous-titre sera "Le roman d'une maison", parce qu'elle est romanesque ; cette maison, c’est un livre de lui. Loti y prolonge ses histoires. C’est une maison qui été pensée de façon muséale.
Mais ce n'est pas tout, le sujet est inépuisable, de nouvelles facettes de Loti vont-elles apparaître ?
J’ai effectivement deux autres ouvrages qui vont paraître. Ce sont des récits, et non des romans. Parce que le roman suppose la fiction. Moi, je suis un historien et il n'y a pas un mot qui ne soit pas validé par une vérification. On peut cependant faire de l'histoire avec une écriture accessible.
"Pierre Loti qui ne lit jamais", c'est l’histoire de son élection à l’Académie française (Éditions Bleu autour, octobre 2023). J'étais parti de l'idée de rééditer son discours de réception à l'Académie française. Donc, plutôt sur une édition critique de ce discours qui n'est jamais lu et qui n'a jamais été réédité. Et puis, finalement, l'idée s'est imposée d'en écrire l'histoire, parce qu'on n'est pas élu par hasard à l'Académie française. Ce n’est pas juste grâce à son génie propre. Il y a beaucoup d'enjeux. Le livre se termine sur le discours contenant le fameux : "Je ne lis jamais" qui a fait couler beaucoup d'encre à l’époque d’autant plus que Loti a été élu, entre autres, contre Zola. On imagine qu'il s'est fait à la fois des amis et des ennemis. L'histoire de son élection est passionnante ! Loti est alors célèbre et attendu par tout le monde et sa déclaration a nécessairement un sens. C’est ce que j'analyse dans cet ouvrage. Parce que ce n'était pas 100% faux. Loti ne lisait pas la presse, ne lisait pas les choses à la mode. Mais ça ne veut pas dire qu'il était ignorant ! Bon, en effet, ce n’était pas un rat de bibliothèque… C'était d'abord quelqu'un qui passait beaucoup plus de temps à vivre et à écrire, mais il lisait toutefois les écrits de ses amis.
Et quand, justement, il a été accueilli à l'Académie, comment était-il perçu ?
À ce moment-là, il a à la fois un succès populaire, d'abord, et c'est, à la fin du 19e, un des auteurs français qui perçoit le plus de droits d'auteur. Donc, même sans être élu à l'Académie, il est déjà un auteur extrêmement lu, extrêmement populaire. Il y a un phénomène "people" autour de lui. On suit ses escales, ce qu'il fait et les fêtes chez lui dans la presse nationale. L’académie est une mondanité qui vient cautionner, mais qui ne bouleverse pas les choses finalement. Ce n'est pas parce qu'il est académicien qu'on va le lire plus. Au niveau international, peut-être, ça impressionne un peu. Lorsqu'il est en Turquie et qu'il est académicien, forcément, quelque part, il porte la France sur ses épaules.
Comment expliquez-vous qu’il y ait pu y avoir une réception plus positive de ses travaux et de ses écrits au cours de ces dernières années ?
Alors, indépendamment de toute cette chaîne de gens dont je fais partie, il y a aussi, justement, le lectorat qui change. Pour moi, il y a un moment marquant, c'est le phénomène éditorial avec le Festival "Étonnants voyageurs" à Saint-Malo qui s'intéresse aux écrits de voyages, aux grands auteurs de récits de voyages. Et là, il y a un énorme phénomène éditorial autour de la littérature de voyage dans les années 80, 90.
Vous avez donc contribué à mettre en avant les multiples facettes du personnage Loti. Le titre du troisième ouvrage que vous publiez en cette rentrée exprime bien cette complexité puisque vous l'avez intitulé "Planète Loti" (aux éditions Magellan & cie).
C’est un ouvrage d'un genre un peu différent. Je suis commissaire d'une exposition qui a démarré à Rochefort le 16 septembre 2023. Donc, le livre "Planète Loti" vient en accompagnement, en résonance, mais ce n'est pas un catalogue d'exposition. Et notamment, nous y avons fait un abécédaire avec des entrées que l'on espère un peu inattendues.
L'idée est de mettre en avant Pierre Loti comme écrivain planétaire qui a parlé du monde entier. C'est donc l'occasion d'évoquer le phénomène Pierre Loti. Je parlais tout à l'heure de "peopolisation" autour de Loti, de sa célébrité. Il y a un phénomène médiatique, un phénomène littéraire. Aussi, nous avons essayé d'interroger la manière qu'il a de se faire photographier partout, d'être peint, d'être caricaturé à l'égal de Zola. Loti a ses admirateurs et a également des ennemis farouches, dans tous les cas, il n'y a pas grand monde qui soit indifférent. Il a des funérailles nationales, quand il meurt en 1923. Les dernières funérailles nationales (d’un écrivain avant lui), c'était Victor Hugo !
En conclusion, Loti peut être un personnage clivant, mais l'est-il en ce qui concerne la Turquie ?
C’est un grand ami de la Turquie et de l'Islam. Il a une fascination pour l'esthétique orientale. Pour moi, il est plus proche de l'Islam comme civilisation, comme élément de culture dans l'idée qu'il s'en fait, que de l'Islam en tant que pratique religieuse. Il ne faut pas oublier que c'est quelqu'un qui vient d'un monde chrétien, protestant, qui a perdu la foi, athée et désespéré de l'être, mais qui est toujours fasciné par les autres religions, en se disant, tiens, ils ont même de la chance, ces gens, d'être aussi croyants et d'accepter la fatalité. Cela lui semble être une forme de bonheur auquel, lui, n'accède pas.
Centenaire de la mort de Pierre Loti
Ouvrages publiés par Alain Quella-Villéger (2023)
Gustave à la mer, le frère chéri de Pierre Loti (1836-1865). Bleu autour, octobre 2022.
Pierre Loti. Une vie de voyageur. Roman graphique, scénario en collaboration avec Didier Quella-Guyot, dessins de Pascal Regnauld, Calmann-Lévy, janvier 2023.
P. Loti, Le Monde, en passant, anthologie de reportages réunis en collaboration avec Bruno Vercier, Calmann-Lévy, janvier 2023.
P. Loti, Mon mal, j’enchante. Lettres d’ici et d’ailleurs (1866-1906), réunies et présentées en collaboration avec Bruno Vercier, La Table Ronde, février 2023.
P. Loti, Cette éternelle nostalgie – Journal intime, extraits (1878-1911), en collaboration avec Bruno Vercier et Guy Dugas, nouvelle édition revue, La Table Ronde, coll. Petite Vermillon, février 2023.
P. Loti, Soldats bleus, coll. Petite Vermillon, février 2023, réédition sous nouvelle couverture.
Préface à P. Loti, Aziyadé suivi de Fantôme d'Orient, Litos/éditions du Rocher, mai 2023
Planète Loti, Magellan & Cie, septembre 2023
Chez Loti. Le roman d'une maison d’écrivain, Bleu autour, octobre 2023
Pierre Loti qui ne lit jamais… L’histoire de son élection à l’Académie française, Bleu autour, octobre 2023
> Exposition Planète Loti, du 16 au 30 décembre à Rochefort.
> Pour en savoir plus sur la maison de Pierre Loti, rendez-vous ICI.