Très nombreux sont les ouvrages qui subliment les splendeurs d’Istanbul et notre propos n’est pas d’ajouter à la déjà longue liste, des textes supplémentaires qui ne pourraient être que redondants. Alors pourquoi ces articles, puisque tout semble avoir été dit, écrit et montré ?
En fait, ce que nous avons choisi de réaliser dans ce travail est la mise en parallèle des écrits de différents auteurs ayant séjourné ou visité Istanbul avec les photographies des lieux décrits par ces derniers.
Pour ce, nous avons puisé dans les nombreux ouvrages dont nous ont gratifié les "écrivains-voyageurs" du XIXème siècle, en nous efforçant d’en extraire les lignes répondant à notre objectif de mise en correspondance la plus précise entre texte et image.
Certes, nous aurions pu nous contenter d’un seul auteur par description, tout comme nous aurions pu ne sélectionner qu’un seul artiste par photographie, mais il nous a semblé plus honnête et surtout plus objectif de laisser le plus grand nombre s’exprimer afin de montrer l’éventail le plus vaste possible des différentes sensibilités tant littéraires qu’iconographiques. Et même si certains auteurs ne sont pas des maîtres de l’écriture, leur vision et la manière dont elle est exprimée n’en n’est pas moins intéressante, voire attendrissante.
Tous les textes et toutes les images n’y sont pas, loin de là, mais la sélection drastique à laquelle nous nous sommes attachés a été réalisée avec la volonté de retranscrire ce que chaque auteur ou photographe a voulu exprimer au plus près de sa sensibilité.
Eyoub ! Bien avant le bois des stèles et les cyprès, sur le versant de la colline, commencent les étranges rues blanches et dorées parmi les platanes verts.... Derrière les fenêtres longues, grillées d’or, des rideaux de soie claire, à bouquets, se croisent. Est-ce un salon de musique, une salle de collation, une chambre d’amour.....ni meubles, ni tentures, ni fleurs : des flambeaux d’argent, avec des cierge de cire jaune, posés sur un tapis couleur turquoise morte et de rose fanée; un pupitre de bois supportant un coran ouvert; et sur l’estrade que défend une balustrade d’ébène, un cercueil très haut, couvert d’une très ancienne soie rouge, élimée, usagée, mangée...C’est le cercueil d’une sultane morte depuis cent ans et plus. Marcelle Tinayre
Voyez, à travers les massifs d’arbres de blancs fantômes se dressent par rangées, et qu’un rayon de soleil dessine nettement ça et là; ce sont des cippes en marbre blanc de la hauteur d’un homme, ayant pour tête une boule surmontée d’un turban.... plusieurs de ces pierres figuratives ont la tête cassée, c’est qu’elles surmontaient des tombes de janissaires, et à l’époque où cette milice fut détruite, la colère du peuple ne s’arrêta pas aux vivants, on alla dans tous les cimetières décapiter aussi les monuments des morts.
Les tombes des femmes sont également surmontées de cippes, mais la tête y est remplacée par une rosace d’ornements représentant en relief des fleurs sculptées et dorées. Gérard de Nerval
Quelques femmes, assises au centre d’un petit tapis .... rêvaient mélancoliquement ou se reposaient, bercées par les mirages d’un tendre souvenir. Théophile Gautier
Quel étonnement de constater que les cimetières turcs sont des promenades, presque des squares. On vit au milieu des tombes, on y prend le café, on y donne même des rendez-vous d’amour. Et il n’y a pas la moindre idée de profanation ; on dirait même que cette vie avec les trépassés stimule celle des vivants. Gabriel de La Rochefoucauld
Près de Roumeli-Hissar s’étend un cimetière dont les hauts cyprès noirs et les cippes blancs se mirent gaiement dans l’azur de la mer, et qui donnerait envie de s’y faire enterrer, tant il est riant, fleuri, parfumé. Théophile Gautier
Les colonnes funèbres, presque toutes hors d’aplomb, penchaient à droite ou à gauche. Beaucoup s’étaient couchées comme lasses d’être restées si longtemps debout... Théophile Gautier
Tout un monde de stèles, penchées, tombées, brisées par leur chute, devenues informes, et puis recouvertes de lichen, ayant pris la couleur du sol, la couleur du tapis d’herbe sèche, la couleur des murailles de Byzance... Pierre Loti
C’est une de ces nombreuses coutumes, si adorablement touchantes, de la Turquie, celle qui consiste à creuser toujours, dans les dalles de marbre des tombes, ces tout petits bassins où se conserve l’eau du ciel, pour procurer aux pauvres morts la compagnie fréquente des oiseaux qui ont soif ou envie de se baigner. Pierre Loti
Je ne sais pourquoi les cimetières turcs ne m’inspirent pas la même tristesse que les cimetières chrétiens. Théophile Gautier
Heureux les Turcs ! Ils reposent toujours dans le site de leur prédilection, à l’ombre de l’arbuste qu’ils ont aimé, au bord du courant dont le murmure les a charmés, visités par les colombes qu’ils nourrissaient de leur vivant, embaumés par les fleurs qu’ils ont plantées : s’ils ne possèdent pas la terre pendant leur vie, ils la possède après leur mort... Alphonse de Lamartine
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