Toutes les deux semaines, le mardi, lepetitjournal.com Istanbul vous propose un rendez-vous "Parlons Turquie..." à travers des courts textes de Samim Akgönül, auteur du "Dictionnaire insolite de la Turquie". Vous y êtes invités à découvrir des concepts, mots et expressions ou des faits peu connus mais aussi des personnages insolites de l'espace turc, inspirés du dictionnaire en question. Aujourd'hui, la lettre "V"...
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Le transport en commun reste un des plus gros problèmes des villes turques, surtout à Istanbul, malgré un développement récent des lignes de métro et de tramway.
En 2007, pour désengorger les bouchons d’Istanbul qui rendent fou, et en attendant la construction des lignes de métro, la municipalité d’Istanbul avait mis en place des lignes provisoires de metrobüs, des bus longs incapables de manœuvrer, qui circulent sur des voies réservées. Plus d’une décennie plus tard, ils sont toujours en place et sillonnent la ville en 8 lignes et sur plus de 50 km, transportant près de 1 000 000 de passagers par jour. Aux heures de pointe, le voyage en metrobüs constitue le calvaire principal des habitants de la ville et toutes les stratégies sont bonnes pour pouvoir y monter et, le graal, s’assoir pendant les trajets souvent très longs.
Évidemment, plus anciens et structurels que les metrobüs sont les diverses sortes de dolmuş. Il s’agit des taxis collectifs très prisés, apparus au départ en raison d’une insuffisance de l’offre de transport public dans les années 1960. Contrairement à d’autres pays comme la Grèce où les taxis chargent plusieurs voyageurs au cours de la course commandée par le premier client, les dolmuş en Turquie, comme leurs équivalents russes les marshrutka, suivent un itinéraire préétabli et font la navette entre deux points précis en chargeant et déchargeant des passagers aux endroits appropriés. Justement, si pour monter il suffit de héler, pour descendre il faut absolument prononcer la formule magique Müsait bir yerde (à un endroit approprié), afin que le chauffeur s’arrête rapidement au bord de la route. Jusqu’aux années 1980, les dolmuş, surtout à Istanbul, étaient des vieilles voitures américaines des années 1950, fabriquées en Belgique et octroyées à la Turquie dans le cadre du plan Marshall. Ainsi, les Buick, les Dodge ou les Chevrolet des années 1950 ont sillonné les rues de la ville jusqu’aux années 1990, remplacées par la suite par des minibüs, souvent de marque hongroise Ikarus ou Ford, immortalisés par le film comédie dramatique très populaire Çiçek Abbas de 1982. Si vous en prenez un, n’oubliez pas d’observer le ballet des paiements des passagers, qui tendent leur argent à celui qui est devant, l’argent passant de main en main jusqu’au chauffeur qui renvoie la monnaie par le même chemin, souvent sans se tromper, tout en conduisant, vociférant, guettant des clients potentiels au bord du chemin ("canards") et, bien entendu, écoutant une bien larmoyante arabesk.
Mais bien entendu, symbole du confort, le summum de la zénitude demeure les vapur déambulant dans les eaux du Bosphore et de la mer Marmara tels des cygnes fiers et tranquilles, qui sont des symboles de la ville d’Istanbul. C’est à partir de 1854 que le transport maritime sur les eaux d’Istanbul commence avec la fondation d’une société anonyme Şirket-i Hayriye qui commanda à l’Angleterre six bateaux du type Vaporetto de Venise (d’où leur nom). Ces bateaux dont les capitaines étaient exclusivement des Grecs, servirent durant la première guerre mondiale et la guerre d’indépendance. En 1944, la compagnie fut nationalisée. Actuellement, 28 vapur sillonnent les eaux d’Istanbul sur 21 lignes régulières desservant 48 quais. Non seulement c’est le moyen de transport préféré des habitants d’Istanbul mais de plus ces vapur offrent un moyen privilégié d’aborder la ville pour des touristes.
Installez-vous sur le pont avant du Barış Manço, nom d’un chanteur populaire décédé, donné à ce vieux bateau traversant le Bosphore de Kadıköy, sur la côte asiatique, à Karaköy, sur la côte européenne. Commandez votre çifte kaşarlı tost (sorte de croque-monsieur, où deux tranches de fromage fondant sont pressées entre deux tranches de pain dans un toasteur beurré) et votre büyük çay et contemplez Constantinople et Péra qui se dressent de plus en plus nettement en face, sous les cris stridents des mouettes mécontentes de ne pas avoir reçu leur part de simit.
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Dernières publications de l'auteur :
> Akgönül Samim (dir.), La modernité turque : adaptations et constructions dans le processus de modernisation ottoman et turc, Istanbul, Éditions Isis, 2022 ;
> Akgönül Samim, Dictionnaire insolite de la Turquie, Paris, Cosmopole, 2021 ;
> Akgönül Samim, La Turquie nouvelle" et les Franco-Turcs": une interdépendance complexe, Paris, L'Harmattan 2020.