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La Tulipe… une fleur en or et tout un symbole en Turquie !

Tulipe Acuminata, une des plus anciennes variétés, cultivée jadis en Turquie pour les sultans ottomansTulipe Acuminata, une des plus anciennes variétés, cultivée jadis en Turquie pour les sultans ottomans
Écrit par Chantal et Jacques Périn
Publié le 20 avril 2023, mis à jour le 16 février 2024

Il est encore temps de profiter du festival des tulipes d’Istanbul ! Cet évènement, très populaire, est l'occasion de nous pencher sur cette fleur à la symbolique si particulière en Turquie. Qui pourrait dire pourquoi, parmi les quelques 250.000 espèces d’angiospermes (plantes à fleurs), la tulipe fut la seule à devenir si populaire qu’elle fut l’objet, au milieu du XVIIème siècle, de spéculations boursières hors du commun ?

Plante à bulbe de la famille des Liliaceae, malgré son apparente fragilité, elle est solide et rustique. Originaire de la région du Pamir, elle s’est naturellement déplacée en fonction de ses capacités d’adaptation aux différents climats. De fait, elle supporte les hivers rudes et les étés chauds et secs.

Cheminant lentement, il semble qu’elle soit restée inconnue de l’Occident jusqu’au milieu du XVème siècle, pour preuve, son absence totale de toutes les peintures du Moyen-Âge.

Il faut attendre 1559 pour trouver la description d’une tulipe rouge par le naturaliste suisse Conrad Gessner, qui considérant que cette fleur était "une découverte primordiale".

 

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Conrad Gessner – gravure (circa 1565)

 

Si la tulipe est oubliée dans la représentation picturale, elle est, dès le XIIIème siècle, célébrée par les poètes persans qui la baptisent Lale. Mocharrif al-Din Sa’di, auteur du Gulistan "Jardin de roses" et du Boustan "Jardin des fruits", décrit un paysage imaginaire où le murmure d’un frais ruisseau, les chants d’oiseaux, les fruits mûrs en quantité, les roses odorantes et les tulipes aux vives couleurs créent un paradis sur terre. (Gulistan – Le jardin des roses)

 

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Mocharrif al-Din Sa’di - gravure du XVème siècle

 

La tulipe s’associera également à certains lieux comme la mosquée Laleli à Istanbul, Laleli geçidi (passage de la tulipe) entre Kayseri et Sivas ou la ville de Laleli près d’Erzurum.

C’est durant l’Empire ottoman que la fleur prit une importance spectaculaire décorant tissus, manuscrits, faïences, tapis, fresques et pierres tombales.

 

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Tapis avec motif de tulipes (circa 1850)

 

Un symbole fort du patrimoine culturel de l’Empire ottoman

La période qui suivit la prise de Constantinople par Mehmed II Fatih fut une époque relativement calme et c’est à ce moment que la tulipe commença à agrémenter les jardins de la ville et plus particulièrement ceux du Palais de Topkapı dessinés par le Sultan.

Lorsque les douze jardins généraient un surplus de fleurs et de bulbes, l’excédent était vendu dans les marchés aux fleurs de la ville.

Pour mémoire, plus de neuf cents jardiniers avaient pour mission d’entretenir non seulement les jardins d’agrément mais également les vergers et les potagers destinés à alimenter la cour et l’armée du Sultan.

L’intérêt porté à la tulipe par les sultans lui valut un statut privilégié. Sculptée sur les bâtiments ou les fontaines, elle était immédiatement reconnue comme emblème de la maison d’Osman. Dès lors, son avenir était assuré et on la vit décorer aussi bien les céramiques que les tissus précieux, et même, par la suite, les billets de banque.

 

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Faïence d’Iznik – Mosquée Rüstem Pașa

            

Tissu de soie – XVIIIème siècle
Tissu de soie – XVIIIème siècle

 

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Ancien billet de 1000 lira (circa 1970)

 

Lors de ses conquêtes, Süleyman 1er s’entoura d’hommes aux multiples facettes dont Mohammed Babur qui contrôlait l’Afghanistan. Passionné par les fleurs, Babur en faisait planter dans et autour de chacune des villes qu’il avait conquises. Parmi ses végétaux préférés, la tulipe avait une place de choix et c’est à Samarkand qu’il finit ses jours, entouré du plus grand champ de tulipes jamais planté.

 

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Mohammed Babur – miniature persane du XVIème siècle

 

Autre personnage particulier de l’entourage du Sultan, Matrakci Nasuh, janissaire mais néanmoins miniaturiste, qui, dans le recueil "Beyan-i Menazil-i Sefer-i Irakeyn" se fit un point d’honneur à représenter tous les pays traversés par les armées victorieuses. Sur l’une des miniatures, on peut voir des tulipes sauvages près de Konya.

 

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Miniature de Matrakci Nasuh de la ville de Konya où on peut voir la représentation de tulipes

 

Un foisonnement rapide et une sélection rigoureuse

Süleyman ne fut pas le seul à s’intéresser aux tulipes. En 1574, Selim II ordonna au Préfet d’Aziz en Syrie, de lui envoyer 50.000 bulbes de tulipe pour les jardins impériaux. Murat III exigea la livraison de 50.000 bulbes blancs et autant de bulbes bleu-ciel destinés à être mélangés avec autant de bulbes de jacinthe.

L’engouement pour cette fleur entraîna la quête de nouvelles espèces. Sous le sultanat de Murad IV (1623–1640), l’historien Hodja Hasan Efendi, qui accompagna le Sultan durant son expédition vers les terres du Levant, rapporta sept nouvelles sortes de tulipes pour son jardin et celui de Topkapı.

À partir du XVIème siècle la tulipe fait partie intégrante de la culture turque et devient de plus en plus visible, non seulement dans les parcs et jardins mais également dans la plupart des expressions décoratives.

Vers le milieu de ce siècle, les tulipes font en premier leur apparition sur les réalisations en céramique d’Iznik. Les Nakassan – décorateurs, peintres, enlumineurs – des ateliers impériaux ont une grande influence sur le travail des autres peintres et artistes de la capitale. Ils imposent un nouveau style différent de l’art inspiré par la Perse. Les fleurs minces et graciles d’origine prennent des rondeurs et, grâce à l’évolution des colorants, on voit apparaître de nouvelles nuances et de nouvelles couleurs.

 

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Vase et assiette à décor de tulipes et d’œillets - faïence d’Iznik (circa 1550), Musée de Péra

 

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Flacon à parfum - faïence d’Iznik (circa 1550), Musée de Péra

 

Vers 1630, un voyageur ayant visité Istanbul, rapporte qu’il y avait au moins trois cents fleuristes horticulteurs et pas moins de quatre-vingts boutiques de vente de fleurs en ville. Il nous décrit également les jardins qui bordent le Bosphore, en exaltant la beauté des parterres de tulipes si beaux qu’ils font l’objet de promenades en bateau pour en admirer l’harmonie.

Dès lors, si les tulipes suscitent l’admiration, elles se doivent d’être irréprochables et les critères de sélection deviennent de plus en plus drastiques. Les sélectionneurs choisissent les variétés à pétales étroits et pointus. Des dagues et des aiguilles, voilà ce qu’ils veulent. Plus tard, la tulipe offrant une large corole avec des pétales arrondis trouvera sa place parmi les sélectionnées mais le travail sera long et difficile avant qu’elle ne soit reconnue à sa juste valeur et soit gratifiée d’un nom de baptême évoquant ses qualités esthétiques.

 

la tulipe en turquie

                              

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Modèle de tulipes répondant aux critères de sélection au XVIème siècle 

 

Trouver de jolis noms pour de jolies fleurs ne fut pas difficile pour les poètes qui rivalisèrent d’imagination. Ainsi pouvait-on admirer des : Perle sans égale, Verre de vin, Celle qui enflamme le cœur, Lance couleur de grenade, Cristal rose, Grande écarlate, Délicate coquette et autres Étoile de la félicité, Joie grandissante, Lumière de l’esprit, Enviée du diamant ou encore, La plus mince du jardin et Visage de ma bien-aimée….

Comment la tulipe arriva-t-elle en Europe ?                                                                     

Certaines sources mentionnent que c’est à Ogier Ghiselin de Busbecq, Ambassadeur de l’Empereur du Saint-Empire germanique auprès du Sultan Süleyman le Magnifique, qu’on doit l’arrivée, en Europe au 16ème siècle, des premières tulipes, du lilas et du marronnier d’Inde.

 

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Ogier Ghiselin de Busbecq – gravure du XVIIème siècle

 

Dès son arrivée à Bruxelles, la tulipe prend immédiatement une place primordiale dans l’horticulture des Provinces-Unies du Nord de l’Europe. L’exaltation pour cette curieuse fleur venue d’Orient prend une telle ampleur que, lorsque les premiers bulbes arrivent sur le marché au début du 17ème siècle, certains y consacrent une fortune, voire leur fortune.

Signe ostentatoire de richesse et de bon goût, la tulipe perd son identité de fleur pour devenir objet de luxe. En posséder devient une obsession et nombreux furent les inconditionnels passionnés qui y perdirent tous leurs biens.

Tout comme en Turquie, les tulipes ont inspiré beaucoup de peintres. Le plus célèbre est sans nul doute, François de Geest (1638 -1699), peintre hollandais du XVIIème siècle qui reproduisit dans son ouvrage Hortus amoenissimus un très grand nombre de tulipes.

 

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François de Geest – huile sur toile (circa 1670)

 

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Planches extraites de l’ouvrage Hortus amoenissimus - François de Geest

 

Comme nous l’avons évoqué plus haut, posséder des tulipes devient indispensable à qui veut s’imposer dans la société néerlandaise. Ce désir devient très vite obsessionnel et addictif à tel point que certains collectionneurs y perdent l’entendement en plus de leur fortune.

Vers 1640, un bulbe peut se négocier 1200 gulden (florin néerlandais) soit trois fois le salaire annuel d’un ouvrier spécialisé…

Précédant de quelques décennies l’Ère des tulipes en Turquie, dont nous parlerons dans un prochain article, les Pays-Bas connaissent la Tulipomanie qui se termine par la réglementation du prix de vente du précieux bulbe afin que le "délire" cesse. Cette décision gouvernementale entraînera la faillite de nombreux spéculateurs.

Belle mais perfide, la tulipe, comme beaucoup de plantes ornementales, n’est pas comestible. Durant des périodes de famine, des tentatives de consommation du bulbe sont faites, se soldant par des troubles cardiaques, des nausées, des phases de délire et… la mort.  Aussi, restons-en au plaisir des yeux.

Pour conclure, rappelons-nous que la tulipe est parfois représentée de manière symbolique :

Une tulipe est représentée stylisée sur le drapeau de l’Iran.

Le Kirghizstan a été le cadre de la révolution des tulipes.

Dans le langage des fleurs, elle symbolise l’orgueil.

Elle figure dans le calendrier républicain le 4ème jour du mois de Germinal (24 mars)

Et enfin, elle est le symbole national de la Turquie qui emporte son image à travers le monde peinte sur le fuselage des avions de la compagnie aérienne nationale.

 

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Un airbus A330 de la Turkish Airlines

 

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Chantal et Jacques Périn
Publié le 20 avril 2023, mis à jour le 16 février 2024

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