Édition internationale
Radio les français dans le monde
--:--
--:--

Elmas Aksu Karayel nous parle de l’Ebru, l’art turc du papier marbré

Aujourd’hui, lepetitjournal.com d’Istanbul vous amène à la rencontre d’Elmas Aksu Karayel qui pratique l’Ebru, un art turc pluriséculaire inscrit en 2014 sur la liste du Patrimoine Culturel Immatériel de l’UNESCO. Pour les stambouliotes, vous aurez la chance de découvrir certaines de ses œuvres à l’occasion du Printemps des Artistes 2024. Franco-turque, Elmas a toujours été très impliquée dans la communauté francophone d’Istanbul faisant ainsi le pont entre ses deux cultures. C’est avec grande générosité qu’elle nous parle aujourd’hui de l’Ebru, un art méditatif à la symbolique toute particulière en Turquie.

Illustration Ebru_0Illustration Ebru_0
Elmas Aksu Karayel
Écrit par Pauline Sorain
Publié le 20 mai 2024, mis à jour le 1 septembre 2024

Qu’est-ce que l’Ebru ?

L’Ebru, qui signifie "nuage" en persan, est un art traditionnel turc venu d'Asie mineure sous l'Empire ottoman. Il consiste à créer des motifs colorés sur de l’eau épaissie avec de la gomme adragante ou des carraghénanes (extraits d'algues rouges). Le rendu sur le papier évoque souvent les rainures du marbre d’où la qualification "papier marbré". Le résultat obtenu est toujours inattendu ce qui confère à l’Ebru un caractère énigmatique et mystérieux qui appelle à la méditation.

 

Ebru

 

Pouvez–vous nous raconter, en quelques mots, l’histoire de cet art ? Quel est son lien avec la culture traditionnelle turque ?

Nous ne savons pas exactement où et quand l’art de l’Ebru a commencé. Certaines sources évoquent le Turkestan - Ouzbékistan, à Samarkand au XIIIe siècle et dans la région d'Herat, à l'est de l'Iran, au XIVe siècle. Tout comme le papier, l'Ebru s'est répandu d'Est en Ouest en empruntant la Route de la Soie et d'autres routes commerciales. Les plus anciennes œuvres connues datent de 1447 et se trouvent au palais de Topkapı à Istanbul.

Sous l’Empire ottoman, l’art de l’Ebru était également utilisé pour la correspondance officielle. Le plus ancien marbreur connu de l’Empire ottoman est Hatip Mehmet Efendi, qui a publié au début du XVIIIe siècle un ouvrage intitulé "Tertib-i Risale-i Ebri". Ce livre explique les connaissances chimiques nécessaires au marbrage, les propriétés des matériaux et les différentes techniques de marbrage.

 

Hatip Mehmet Efendi

 

Au fil du temps, des matériaux et motifs variés ont été développés par les grands maîtres de cet art.

Hikmet Barutçugil qui est reconnu comme un maître contemporain de l'Ebru, a grandement participé à sa démocratisation et lui a donné un aspect plus moderne en le fusionnant avec d’autre techniques artistiques (une fusion nommée "Barut Ebrusu").

 

Hikmet Barutçugil
Hikmet Barutçugil

 

Quelle est la particularité de cette technique ?

La plus grande spécificité de l’Ebru est le travail sur l’eau mais ce n’est pas sa seule spécificité ! La préparation des couleurs mais aussi leur réglage sont des étapes essentielles. Par ailleurs, il faut savoir que cette technique est très "sensible", la présence de poussière ou de parfum (qui est une substance acide) peut ainsi influer sur le résultat final.

Pour réaliser une œuvre, il faut tout d’abord préparer le "kitre" : un mélange d’eau avec une poudre d’algue (carraghénanes - deniz kayıfı) qu’il faut laisser reposer quelques jours dans une cuve rectangulaire.

Vient ensuite la préparation des couleurs issues de pigments naturels qu’il faut mélanger à de la bile de bœuf, ce qui leur permettra de s’étaler à la surface de l’eau sans tomber au fond de la cuve. C‘est là que résident le secret et la magie de l’Ebru !

 

Ebru

 

Une fois ces préparatifs terminés, le travail sur l’eau peut commencer. À l’aide d’un pinceau composé d’un manche en bois de rosier et de poils de crin de cheval, il faut déposer les pigments de couleur par tapotement. Ces tapotements sont très importants, car ils définissent la grandeur des goutes qui vont tomber du pinceau. On touche ici à l’aspect méditatif de l’Ebru : au-delà de la technique, c’est notre état d’esprit du moment qui conditionne la façon dont on réalise ces tapotements.

 

Ebru

 

La peinture de surface doit ensuite être travaillée avec un stylet ou au pinceau afin d’obtenir le motif désiré.

 

Ebru

 

Vient alors le délicat moment de la pause de la feuille de papier sur l’eau pour permettre le transfert du motif par capillarité. Celui-ci vient se coller à la feuille que l’on doit alors retirer avec beaucoup de délicatesse en évitant que de l’oxygène soit emprisonnée, ce qui altérerait la reproduction du motif que l’on a dessiné sur l’eau et générerait des blocs blancs non désirés.

 

 

La feuille peut être repositionnée plusieurs fois sur le motif avant d’être mise à sécher.

Plusieurs des modèles traditionnels d’Ebru dont on s’inspire, comme gelgit, tarakli, hatip, bülbül yuvasi, çiçekli, ont évolué au fil des siècles. Les couleurs les plus couramment employées sont le vert vif, le rouge et le jaune. Autrement dit, à chaque dessin ou motif correspond un modèle. Les dessins les plus courants sont les fleurs, le feuillage, les motifs ornementaux, les entrelacs. Cependant, chaque œuvre est unique !

Est-ce un art qui demande particulièrement de la patience ?

C’est un art qui nécessite effectivement beaucoup de patience et notamment de s’extraire de l’agitation et du chaos de la vie quotidienne.

La patience s'obtient lorsque l'on arrive à être relâché avec suffisamment de confiance en soi. L’Ebru, constitué de terre et d'eau, qui repositionne ainsi l’homme dans la nature, est un art dont la réalisation repose sur la patience. C'est une forme d'art humble et derviche qui enseigne la patience à chaque étape.

Ainsi, lorsque l’on mélange pendant 20 à 30 minutes l’eau à l'épaississant (de droite à gauche, puis de haut en bas) on se relaxe, on s’apaise. Et lorsque l’on passe au mélange des peintures de terre avec la bille de bœuf, cela a également un effet délassant, en dépit de l’odeur… !

 

Ebru

 

Lorsque l'on fait de l'Ebru, cherche-t-on une à obtenir une représentation ou plutôt à générer des sensations visuelles ? 

Le fait de ne jamais connaître à l’avance le rendu confère à cet art sa nature si particulière. Le résultat est toujours une surprise. Il m’arrive par exemple très souvent de vouloir réaliser une tulipe qui va finalement se transformer en œillet ou en rose …

Aussi, j’ai appris à me laisser porter et à vivre cette magie et ce mystère à chaque travail. Je vis et écoute le fond de mon âme et laisse faire les choses.

 

Ebru

 

Que vous apporte la pratique de l'Ebru?

L’Ebru m’a apporté un nouveau souffle dans la vie et continuera à m’apporter. Il est pour moi porteur de valeurs. J’ai l’impression d’avoir toujours pratiqué cet art, qui me rend heureuse et me nourrit à chaque fois que je le pratique.

J’ai appris et continue à apprendre l’Ebru auprès d’une personnalité importante de cet art, Eda Özbekkangay, elle-même petite fille d’un maître de l’Ebru, İbrahim Edhem Efendi. Ses ancêtres ont directement apporté d’Ouzbékistan cet art et l’ont répandu à İstanbul. Hikmet Barutçugil, que l’on a précédemment évoqué m’a aussi beaucoup apporté à travers ses conférences et ateliers.

 

Ebru
Elmas Aksu Karayel et Eda Özbekkangay / Elmas Aksu Karayel et Hikmet Barutçugil

 

L’Ebru est-il accessible à tous ?

Il n’y a pas d’âge pour pratiquer l’Ebru. Je conseille vivement à chacun de tenter l’expérience et vivre cette magie.

J’organise des ateliers d’Ebru en français et en turc pour les particuliers et les entreprises. N’hésitez pas me suivre sur Instagram et à me contacter !

Quelques mots pour conclure cette belle présentation ?

Oui, des remerciements. Au petit journal, qui m’a donné l'opportunité de mieux faire connaître cet art mystique et magique. À ma professeure, Eda Özbekkangay qui me motive, me soutient, et m’encourage. J’aimerais également remercier de tout mon cœur l’association Istanbul Accueil pour la réalisation du Printemps des Artistes mais surtout les membres de cette association dont je suis bénévole active, qui m'ont encouragée à participer à ce bel événement. Un grand merci à ceux qui m’entourent au quotidien, ma famille et surtout mon mari.

_________________________________

Retrouvez le travail d’Elmas Aksu Karayel dès ce vendredi 24 mai à la galerie Od’a-Ouvroir d'art au lycée Sainte Pulchérie dans le cadre du Printemps des Artistes. Plus d'informations ICI

 

Ebru

 

 

Pour recevoir gratuitement notre newsletter du lundi au vendredi, inscrivez-vous en cliquant ICI  

Suivez-nous sur FacebookTwitter et/ou Instagram

Sujets du moment

Flash infos

    Pensez aussi à découvrir nos autres éditions