Depuis le 7 décembre dernier, le nouveau directeur délégué de l'Institut Français d'Ankara s'appelle Sébastien de Courtois, journaliste et écrivain réputé dans le milieu culturel d'Istanbul et dans l'hexagone notamment. Rencontre avec cet intellectuel touche-à-tout.
Lepetitjournal.com d’Istanbul: Comment devient-on directeur de l'Institut Français d'Ankara après avoir été juriste, journaliste, chroniqueur, écrivain ?
Sébastien de Courtois : Le parcours est intéressant. Je passe du temps long de l’écriture à celui plus court de l’action. Le ministère des Affaires étrangères propose à des personnes issues de la société civile comme moi de rejoindre l’Institut Français. J’ai été candidat et j’ai été pris ! Une passerelle que je trouve riche dans les deux sens. J’apporte mon expérience et la direction d’un tel établissement me permet d’agir plus concrètement comme “passeur culturel”, selon l’expression consacrée. Je n’ai pas hésité, j’aime mon nouveau métier. Je vibre chaque jour au bureau, entre les défis internes et la reconquête d’un terrain culturel. Il ne s’agit pas de maintenir la seule présence héritée de l’histoire, mais au contraire de montrer en quoi la francophonie est porteuse d’avenir. Il est bien de changer de vie, de ne pas se reposer sur des lauriers éphémères, et surtout de prendre des risques. Au fond, je suis heureux de pouvoir continuer à œuvrer en Turquie, de découvrir Ankara et ses nombreux talents. Il y en a beaucoup ! Ankara se révèle avec le temps. Une véritable aventure, loin des clichés et des préjugés.
Comment fonctionne l'Institut Français ?
L’action de la France au travers de ses Instituts est importante – 96 dans le monde entier. Pour la seule Turquie, chaque année, ce sont des milliers d’élèves – on dit des “apprenants” – qui suivent des cours de français dans l’une de nos trois antennes : Istanbul, Ankara ou Izmir, sans oublier nos deux Alliances françaises, à Bursa et Adana. Ce sont donc autant de personnes qui viendront voyager un jour chez nous, qui auront été sensibilisées à notre action culturelle, ou bien même pourront travailler pour nos entreprises. A Ankara, ce sont par exemple plus de 30 professeurs qui sont associés à nos deux sites. Nous offrons aussi des cours à diverses administrations turques dans le cadre de partenariats institutionnels, à des associations ou même diverses fondations. Notre angle est très simple : dans le cadre de la mondialisation, le français est un facteur de singularisme tout en étant une langue internationale qui permet de travailler et de s’ouvrir à de nombreux pays, une culture, sinon une civilisation. En Turquie, ce sont les accords culturels signés le 17 juin 1952 qui encadrent nos activités.
Quels sont vos objectifs personnels dans vos nouvelles fonctions ?
Mes objectifs sont à la fois modestes et ambitieux. Modestes, car j’ai conscience de la fragilité de nos émotions en ce qui concerne la notion même de culture, et ambitieux, car je sais que nous pouvons changer la vie des gens. Il suffit qu’une personne soit bouleversée par une conférence, un concert, une exposition – comme celle du photographe Ali Borovalı qui se déroule en ce moment – une pièce de théâtre ou encore un film – nous allons présenter une rétrospective “Jean Rouch” par exemple –, pour que notre mission soit accomplie. Plus que jamais, je crois à la culture et à l’éducation comme vecteurs d’adaptation sinon de survie à l’époque difficile que nous traversons. Les bouleversements sont tels que nous avons besoin de repères intemporels, solides. La culture au sens large en fait partie intégrante. Si nous ne pouvons être amoureux d’un taux de croissance, nous pouvons l’être d’une langue, d’un roman ou d’une pièce musicale. Je crois profondément à la voix portée par la francophonie comme vecteur de différence et d’espoir. C’est notre spécificité collective, notre mission, celle d’une altérité nécessaire.
Quelle touche personnelle comptez-vous apporter dans le cadre de votre poste ?
Ma seule richesse est celle de nos équipes. Sinon, je compte utiliser mon expérience journalistique et littéraire pour alimenter le débat d’idées auprès de ceux qui le désirent en Turquie. Nous devons sans cesse nous ouvrir au dialogue et ne pas avoir peur de la contradiction. Je dis aussi à mes amis universitaires et intellectuels de France qu’il ne sert à rien de lancer des boycotts vis-à-vis d’un pays dans son ensemble. A rien. C’est du contraire dont il s’agit ! C’est dans la tourmente et le désarroi qu’il faut manifester une solidarité, une amitié, une présence, sinon nous ne servons à rien. Le temps des postures appartient au passé.
Après avoir publié, entre autres, le livre intitulé Un thé à Istanbul, Un thé à Ankara est-il au programme ?
Je suis tenté en effet, car Ankara est un continent en soi, une sorte de “terre du milieu” égarée au cœur de la Turquie contemporaine, une ville plus internationale qu’on ne le croit – même qu’Istanbul parfois –, plus ouverte et sensible aussi. Je suis agréablement surpris. La tradition culinaire y est élevée à un haut degré par exemple, les universités publiques et privées fournissent de brillants universitaires, des acteurs de théâtre, des musiciens, des chefs d’orchestre… Je suis étonné encore du nombre de festivals qui vont commencer avec le printemps et auxquels l’Institut français va participer. J’ai l’impression d’un véritable bouillonnement de culture doublé d’une élégance, qui déteint sur l’ensemble de la société. Les gens sont fiers d’être d’Ankara, à juste titre.
Propos recueillis par Nathalie Ritzmann (http://lepetitjournal.com/istanbul) lundi 12 février 2018