Etienne Tertrais est âgé de 21 ans. Avant de démarrer sa 4e année d’école d’ingénieur à Lille (ISEN), il a décidé de réaliser son rêve : parcourir Paris-Beyrouth en monocycle ! L’objectif ? Financer des bourses scolaires d’une école un peu particulière. Au nord du Liban, cet établissement tenu par des sœurs, forme 60 jeunes handicapés âgés de 4 à 18 ans au métier de pâtissier. Rencontre à Istanbul.
Quand avez-vous pris la route ? Quel a été le point de départ de cette aventure ?
J’ai souhaité soutenir la fondation Raoul Follereau par une initiative originale et assez inattendue. Le nom de mon projet "MONOTCYCLE" est d’ailleurs un clin d’œil à la rue Monot, l’adresse de la fondation à Beyrouth !
Après m’être familiarisé avec ma grande roue quelques mois, je suis parti le 15 avril dernier de Paris pour le Liban. Au moment de mon départ, on a lancé une cagnotte pour soutenir l'école. La nourriture, le vol de retour, le matériel étant auto financés. L’aventure "Monotcycle" était née !
Quel est votre lien avec le Liban ?
J’y ai habité en famille de 2019 à 2020 ! Puis j’y ai fait une première mission humanitaire à l’été 2021. Et l’été 2022, j’y suis reparti, cette fois avec un groupe d’amis, toujours dans le cadre de la fondation Raoul Follereau. Pour ce dernier projet, j’ai voulu y retourner pour aider, mais cette fois à ma manière.
Avec ce 80 jours en monocycle, je réalise à la fois un exploit sportif, mais aussi culturel ! Il y a ce chemin que j’emprunte par la terre, à un rythme lent, et puis il y a tous ces récits que je traverse pour arriver jusqu’à Beyrouth. En parcourant ces différents pays, je ressens l’histoire, la route des croisés qui partaient en pèlerinages, en expéditions militaires vers Jérusalem… Le Liban ne se résume pas à un territoire enclavé entre la Syrie et Israël, avec une histoire géopolitique compliquée.
Quelles sont les étapes du parcours ?
J’ai construit mon voyage en 9 étapes. Paris-Strasbourg, Strasbourg-Munich, Munich-Vienne, Vienne-Bratislava, Bratislava-Budapest, Budapest-Belgrade, Belgrade-Sofia, Sofia- Istanbul et enfin la dernière Istanbul-Beyrouth.
J’ai prévu environ 10 jours entre chaque étape, avec ma tente que je plante à droite à gauche quand ça me chante. L’idée, c’est de voyager par tronçons, contrairement à l’avion avec lequel on avance vite et en ligne droite. C’est un moyen parfait pour découvrir de nouvelles cultures !
Avec le monocycle, vous expérimentez le temps long ? La lenteur ?
Oui ! Mais si je voulais vraiment vivre le voyage, il me faudrait le double de temps. 3 mois c’est trop peu ! L’avantage toutefois du monocycle, c’est que c’est un rythme plutôt naturel, à peine plus rapide qu’un bon joggeur. 13km/h en moyenne contre 25km/h pour le vélo. Cela nous laisse le temps de dire bonjour aux personnes croisées sur la route, de parler aussi.
Ei il ne faut pas oublier que le monocycle, c’est un instrument de cirque ! Les enfants rient beaucoup à mon passage, des liens se nouent, des sujets de conversation s’ouvrent. Le monocycle favorise l’échange. Je me suis fixé 50km par jour. C’est pas énorme, je pars vers 10h et j’arrive vers 16-17h. Cela me laisse l’opportunité de faire une belle rencontre et de trainer un peu plus longtemps le matin…
Avec l’amour, rien n’est impossible ?
Oui, c’est le slogan de mon projet. Car, sans les rencontres, je ne serais pas capable de faire tout ce périple. Les gens m’offrent un soutien mental, physique, me proposent le couvert, leur jardin pour planter la tente, me permettent de me reposer. Ils sont très accueillants. Sur 2 mois, j’ai passé une quinzaine de nuits chez des gens que je ne connaissais pas. Un apéro, une douche, et la discussion s’engage ! J’apprends tellement des lieux par lesquels je passe.
J’ai aussi eu la chance avec mes parents de vivre dans différents pays, notamment dans les Balkans, en Serbie. Ce projet m’a donc aussi permis, en passant, de retrouver quelques repères de mon enfance : l’école dans laquelle j’étais scolarisé à Belgrade, les professeurs...
Pourquoi le monocycle ? Quelle est sa particularité ?
C’est très sportif ! Il n’y a pas de roue libre, une seule vitesse, donc c’est plus compliqué que le vélo… Il ne peut pas passer partout ni s’adapter au terrain. Donc je fais plus de trajets directs. Je ne peux pas m’égarer comme les cyclistes ! Il y a une question d’équilibre aussi à maintenir avec des sacs lourds. Avec la tente, le tapis de sol, le sac de couchage et quelques effets personnels, je porte à peu près 10-15kg. J’ai pris l’essentiel, même ma trousse à pharmacie est minimaliste.
La roue est assez impressionnante. Il faut imaginer un diamètre de 36 pouces avec tout le système de portage des bagages. J’ai repris l’idée du porte bagages à un autre adepte du monocycle en voyage, et je l’ai fait construire par des travailleurs du métal.
Comment prendre soin de soi sur la route ?
Alors… ça dépend des pays… En moyenne, je prends une douche tous les 4 jours. En France, en Allemagne, en Autriche l’accueil a été particulièrement agréable, facile. En revanche, la Hongrie est un pays plus compliqué pour l’accueil. Les hongrois m’ont semblé conservateurs et ne pas nécessairement apprécier les étrangers. J’ai malheureusement eu du mal à établir le contact.
Vous est-il arrivé des mésaventures depuis le début du voyage ?
Surtout avec des animaux… Je n’ai pas de gros cadenas car ce serait trop lourd à porter. Alors, quand je dors dans la nature, j’accroche mon monocycle à ma jambe avec une corde. Il m’est arrivé d’avoir des frayeurs dans la nuit avec la corde qui se tend ou qui se tire, un sanglier qui se prend les pattes dedans, un chien qui a voulu dévorer un jambon à l’intérieur de ma tente et qui a détruit une bonne partie de la toile. J’ai rafistolé tant bien que mal, ça tiendra jusqu’à Beyrouth !
Les chiens errants aussi c’est un problème ?
En Turquie, il m’est arrivé de me faire courser deux-trois fois par des chiens et de finir au sol. Ils aboient, ils courent à côté. Je tente de les semer, j’accélère trop et je finis par tomber. Le plus difficile à ce moment là c’est de remonter rapidement sur le monocycle car j’ai besoin d’un appui. Je ne pense pas que les chiens aient l’habitude de voir ce genre de monture par ici...
Et comment gérer l’équilibre et le déséquilibre ?
J’ai fait quelques chutes mais rien de grave. Avec le monocycle il faut trouver l’équilibre. Je suis assis à plus d’1 mètre de hauteur et rien n’est adapté pour moi dans la ville ! En Serbie, je longeais le Danube et j’ai failli tomber par-dessus la rambarde... Comme il n’y a qu’une seule roue et pas de suspensions, je ressens toute la route, une toute petite bosse peut me faire chuter !
Quel est votre ressenti de la Turquie depuis votre arrivée dans le pays il y a quelques jours ?
Après la Bulgarie, j’ai fait un détour par la Grèce pour entrer dans le pays par Edirne. A la frontière, ils ont tous été étonnés en voyant mon engin et la pancarte Paris-Beyrouth à l’arrière. Ils ont vérifié les papiers puis ils ont tous voulu que je leur fasse une démonstration !
La Turquie, c’est une grande découverte pour moi ! Les premiers coups de pédale face à la grosse mosquée d’Edirne, le chant des muezzins, les femmes parfois voilées. On sent qu’on arrive en pays musulman. J’arrivais de régions orthodoxes, et c’est un changement total et soudain de culture. J’avais un a priori négatif car je suis passé par des pays qui n’appréciaient pas particulièrement les Turcs. Et finalement, depuis que je suis là, j’ai reçu un accueil incroyable ! J’ai joué au ping-pong avec un gardien de centre sportif dans lequel je dormais, j’ai fait une soirée avec des Turcs rencontrés dans un restaurant. Ils m’ont ensuite emmené sur un terrain vague, on a sorti les chaises de camping et on a mangé des graines de tournesol toujours avec les téléphones en guise d’interprètes. Les Turcs ont été hyper accueillants, très ouverts. Cela m’a permis de découvrir le pays en douceur.
L’arrivée dans une ville comme Istanbul de 18 millions d’habitants, avec ses multiples reliefs, n’a pas été trop délicate ?
Depuis Edirne, cela m’a pris 3 jours. J’ai dormi à Silivri la veille, sur la côte, à 50 km d’Istanbul. L’arrivée a été très difficile en monocycle avec la chaleur en plus. La ville est tellement énorme qu’il est impossible de la délimiter ! Un bazar monstre en rentrant ! J’ai finalement pris un transport pour arriver jusqu’à la place Taksim. Ouf !
Comment va se dérouler la suite du voyage ?
Les 2 prochaines semaines, c’est le plus gros challenge. Je vais prendre un bateau jusqu’à Bursa puis direction Eskisehir (NDLR : La Venise turque) puis Konya (la ville des derviches tourneurs). Je n’ai pas du tout regardé à quoi ressemblaient les villes, je prépare ma route la veille pour le lendemain, je m’abandonne à l’aventure. Après Konya, j’ai prévu de rouler vers un petit port à 100 km à l’ouest de Mersin. Je crains que cette partie du parcours soit plus compliquée avec la chaleur qui arrive et les longues distances. Mais je compte sur Bayram pour être accueilli cette semaine, manger du mouton et faire la fête avec les Turcs !
Est-ce que vous envisagez de passer par la Syrie ?
La frontière avec la Syrie est fermée, seuls deux points restent ouverts pour les aides humanitaires. Je vais prendre un bateau pour Tripoli, et de là, plus que deux jours de pédale jusqu’à Beyrouth !
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