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HEYBELIADA – Les trésors méconnus d’une bibliothèque

Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 19 décembre 2016, mis à jour le 16 décembre 2016

C'est un endroit hors du commun, hors du temps, hors de la mégapole à laquelle il appartient. Sur l'île de Heybeliada au large d'Istanbul, dans le sous-sol d'un monastère, une bibliothèque conserve précieusement l'héritage de siècles d'érudition. Le monastère orthodoxe de Halki abritait autrefois une importante école théologique, dont les autorités ont ordonné la fermeture il y a 45 ans. Privés de leurs élèves et de leurs salles de classe, une poignée de moines et de prêtres s'efforcent de préserver les lieux, notamment la bibliothèque et ses trésors inestimables. Et ils ont décidé de les ouvrir au public.

La bibliothèque s'étire en une enfilade de pièces de taille moyenne (photo AA) ; de vieilles étagères en bois dont certaines ne sont plus très droites ; d'armoires aux portes en verre qui grincent ; et de livres, bien sûr. Des livres du sol au plafond. Plus de 50.000 livres, de belles reliures en cuir, très peu d'ouvrages récents. Des livres de théologie ? nous sommes dans un monastère ? mais aussi de toutes les sciences et disciplines, des philosophes grecs à l'architecture, du droit à la poésie, de l'astronomie à la musique.

?Ce qui frappe également ici, ce sont les langues, observe Gilles Texier, un étudiant français qui effectue des recherches dans la bibliothèque. On trouve des livres dans toutes les langues que parlait autrefois l'humanité : grec ancien, grec moderne, latin, persan, turc ottoman, turc moderne, arabe, arménien, bulgare? Mais aussi toutes les langues des anciennes puissances coloniales : français, anglais, russe, allemand?? Emerveillé de ses découvertes, le jeune homme tente une comparaison : ?Cette bibliothèque, c'est un peu le mythe de Babel à l'envers. Car essayer de rassembler toutes les connaissances dans toutes les langues de l'humanité, c'est un peu réparer le mythe de Babel.?

Des trésors inestimables

Les lieux sentent le vieux bois, le papier poussiéreux, le cuir des reliures et l'essence de térébenthine, ?comme chez les grands-mères?, observe en souriant Gilles Texier. ?Les livres sont globalement très bien entretenus, mais il y a tout de même un gros travail de restauration à faire? sachant que les ouvrages les plus anciens ne sont pas conservés ici, mais au Patriarcat. Ces ouvrages, dont certains datent de l'Empire romain, sont un véritable trésor, pour les Grecs orthodoxes et pour l'humanité?, s'enthousiasme l'étudiant français.

Au détour d'une étagère, la bibliothèque du monastère de Halki livre néanmoins quelques volumes exceptionnels. Comme ce Codex daté de 1722, portant les armoiries des rois de France, signé de la main de Louis XV de Bourbon, envoyé au patriarche grec-orthodoxe de Jérusalem. Ou cet ouvrage de rhétorique, en grec, daté de 1496, que le patriarcat a fait restaurer et que manie précieusement le frère Gregorios. ?C'est l'un de nos plus anciens livres? Sur la première page, vous pouvez lire une malédiction, qui dit que celui qui vole ou détruit ce livre ira en enfer?, explique le frère, responsable de la bibliothèque.

Ici, bien sûr, on ne détruit pas les livres, on les protège. Un jeune moine est chargé de scanner une à une les ?uvres de la bibliothèque. Un jour, les secrets de ces murs seront consultables par tous et partout, grâce à internet. Y compris des dizaines de thèses en papier jauni, écrites dans les années 1940 par les élèves du séminaire?

Le temps semble s'être arrêté

En 1971, en pleine crise avec la Grèce autour de l'île de Chypre, Ankara a fermé cette école centenaire, fondée en 1844, qui avait formé des générations de prêtres et de patriarches. Depuis, les dortoirs et les salles de classe sont restés vides mais ils sont maintenus en l'état, prêts à accueillir dès demain de nouveaux étudiants. C'est le v?u le plus cher du Métropolite de Bursa, Monseigneur Elpidoforos Lambriniadis, responsable du monastère.

?Autrefois, les autorités expliquaient que la réouverture de notre école était illégale. A l'inverse, le président actuel a dit officiellement et publiquement qu'il n'y avait aucun obstacle légal à la réouverture de l'école théologique. Mais cette attitude positive aboutit au même résultat que le discours négatif des autorités précédentes?, constate Elpidoforos Lambriniadis. Avant d'ajouter, haussant la voix : ?Nous ne renoncerons jamais à notre mission : persuader les autorités que notre école n'est pas un danger, qu'aucune école ne peut être un danger pour personne? Il est bon pour notre pays qu'une école chrétienne soit rouverte.?

Dans l'espoir de le prouver, Monseigneur Lambriniadis a décidé d'ouvrir le monastère et sa bibliothèque à tous les visiteurs. ?Nous devons nous montrer créatifs. Certes, notre école est fermée, mais nous ne pouvons pas porter le deuil pour toujours, explique-t-il. Nous ne pouvons pas attendre sans rien faire. Nous devons faire avec les moyens que nous avons, et avec ce que la loi nous autorise de faire. Cela passe par la promotion de cette bibliothèque. Cette richesse n'appartient pas seulement à la communauté grecque d'Istanbul. Elle appartient à notre pays, à la Turquie, dont nous sommes des citoyens.?

Les portes de la bibliothèque ne sont pas uniquement ouvertes aux promeneurs de passage. Elles accueillent également des élèves Erasmus, le programme d'échange européen. Cette année, 25 étudiants ont pu en profiter.


 
 
Anne Andlauer (www.lepetitjournal.com/istanbul) mardi 20 décembre 2016

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Publié le 19 décembre 2016, mis à jour le 16 décembre 2016

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