Si vous ne connaissez pas encore la merveilleuse Edirne, qui est aujourd’hui une cité au mode de vie très moderne, sachez qu’un week-end dans cette ville qui joua un si grand rôle dans l’Histoire, vous offrira un dépaysement total et vous donnera l’impression d’avoir voyagé dans les siècles passés…
Edirne ne figure pas dans les priorités touristiques de la Turquie, et pourtant, après avoir traversé des champs de tournesols à perte de vue, lorsque vous atteindrez cette ville riche de tant d’endroits à visiter - une cinquantaine de monuments historiques- vous ne saurez plus où donner de la tête… Sans oublier qu’Edirne, dont le nom fut longtemps associé à un pigment destiné à la teinture des tissus, le fameux "rouge d’Andrinople", dont on gardait jalousement le secret, est aussi très célèbre pour ses tournois de lutte à l’huile se déroulant dans le stade de Kırkpınar et pour sa fête des Gitans, Erdelezzi ou Hidrellez, dans la nuit du 5 au 6 mai…
Petit rappel historique
Située à la confluence du fleuve Maritza et de la rivière Toundja, la ville fut baptisée "Hadrianopolis" par l’empereur Hadrien, en 125 ap. J-C., ce qui explique son ancien nom français d’Andrinople. Théâtre, en 378, de la plus grande défaite des Romains contre les Goths, elle fut ensuite la première ville de la Thrace byzantine, jusqu’à sa conquête, en 1361, par Murat 1er, qui en fit, sous le nom d’Edirne, la deuxième capitale des Ottomans après Bursa et y édifia de nombreux monuments ; jusqu’à ce que Constantinople ne la supplante en 1453, après la conquête de la ville par Mehmet Le Conquérant.
À partir du XIXe siècle, la ville, par sa position stratégique limitrophe de la Grèce et de la Bulgarie, connut des épisodes tragiques entraînant la souffrance et l’exil des civils de toutes ethnies. Donnée à la Bulgarie par le traité de San Stefano suite à la défaite ottomane dans la guerre russo-turque de 1877-1878, rendue à l’Empire ottoman par le Traité de Berlin, conquise par la Bulgarie lors de la Première Guerre balkanique et reprise par les Ottomans lors de la Deuxième, attribuée ensuite à la Grèce en 1920 par le traité de Sèvres, elle redevint turque à la fin de la guerre gréco-turque de 1919-1922, retour entériné par le traité de Lausanne, en 1923…
Que faire à Edirne ?
Loin de dresser la liste exhaustive de toutes les richesses d’Edirne, d’autant plus que nous n’avons pas eu le temps de tout voir, je vous indiquerai plutôt ce que j’ai particulièrement aimé et que l’on peut visiter en marchant. À vous de découvrir les autres trésors de la cité…
Déambuler dans l’avenue piétonne Saraçlar et traverser les vieux bazars
L’avenue piétonne Saraçlar constitue l’un des cœurs de la cité. C’est là que vous pourrez découvrir les produits originaux de la ville, comme des boîtes de sablés aux amandes de Kavala et du massepain. Ou goûter la spécialité culinaire du lieu, le foie pané en lamelles, un plat savoureux bien que très nourrissant…
Si vous aimez l’or, cette rue vous donnera le tournis, par sa multitude de bijouteries aux vitrines arborant des enfilades de bracelets joncs à 22 carats… Et vous pourrez aussi entrer dans deux des bazars couverts historiques, comme celui d’Ali Pacha, ne serait-ce que pour y acheter des torchons de cuisine ornés de motifs des monuments locaux ou y effectuer d’autres emplettes à des prix imbattables !
Visiter trois exceptionnelles mosquées
La monumentale mosquée du sultan Selim, la "Selimiye", édifiée sur un tertre, ce qui la rend visible de loin, est la plus connue, avec ses minarets culminant à 70.90 mètres, les plus hauts de la Turquie. L’architecte Sinan avait déjà soixante-dix ans quand il la construisit entre 1569 et 1575, pour le sultan Selim II, et il la considérait comme son chef-d’œuvre absolu, encore plus achevé que la mosquée de Soliman à Istanbul, car elle comporte une immense coupole soutenue par huit contreforts et n’a aucun pilier intérieur ! Son "mirhab" indiquant la direction de la Mecque est recouvert de merveilleuses faïences d’Iznik. Précisions que la mosquée, à laquelle on accède par un marché couvert appelé "Arasta", est encore en restauration et qu’on ne peut donc visiter qu’une partie de l’édifice.
Mais finalement, même s’il s’agit d’un chef-d’œuvre unique, ce n’est pas celle que j’ai le plus aimée. Ma préférée a été la mosquée impériale dite "au minaret des trois balcons" (Uç Serefeli), édifiée en 1437, et que le langage populaire nomme parfois aussi "la torsadée" (burmali), en fonction de la forme d’un autre de ses minarets. Elle fut la première mosquée ottomane à comporter un si vaste dôme posé sur d’énormes piliers et comporte une décoration intérieure exceptionnelle, avec ses peintures et ses décors en "stalactites" émaillées.
La troisième est la "mosquée ancienne", (Ulu cami ou Eski cami), en plein centre de la ville, construite par les fils de Bajazet la Foudre, après sa défaite face à Tamerlan. Son originalité est d’être ornée de calligraphies géantes du Coran, d’une beauté sans pareille.
Visiter la synagogue et flâner à pied dans le quartier de Mithat Pacha
Inaugurée en 2015 après cinq ans de restauration, la grande synagogue d’Edirne est la deuxième d’Europe par sa taille. Elle rappelle qu’une importante communauté juive vivait jadis dans la cité. En effet, lorsque le 2 août 1492, les premiers bateaux dirigés par le capitaine Kemal Reis embarquèrent les Juifs d’Espagne à destination de l’Empire ottoman, où le sultan Bayezid II les avait invités à venir s’installer, de nombreuses familles sépharades s’établirent à Edirne. Et même si aujourd’hui, la plupart des membres de la communauté ont émigré en Israël, la synagogue est encore en activité et peut aussi se visiter.
Autour de la synagogue s’étend l’ancien quartier de Mithat Pacha, où je vous conseille de vous promener au hasard, car il abrite encore de nombreuses maisons ottomanes en bois à l’élégante architecture mais dont peu sont restaurées. Une de leurs caractéristiques est de comporter la date de construction en hébreu, par exemple, 5572, ce qui correspond à 1812…
Découvrir les vestiges du palais des Ottomans
Sur une île de la Toundja, près du stade de Kırkpınar, se dressait autrefois le célèbre palais impérial d’Edirne, édifié à partir de 1450, où les sultans vivaient avant que la capitale ne soit déplacée à Istanbul. Mehmet le Conquérant y naquit. Détruit par un incendie en 1878, lors de la guerre russo-turque, le palais n’a conservé que des vestiges, actuellement fouillés par des archéologues et en cours de reconstruction. Il subsiste cependant une tour nommée "la Tour de Justice", qui se dresse près du pont Fatih.
Prendre un pot au coucher du soleil près du pont de la Maritza
Le pont sur la Maritza, auquel l’on peut se rendre en calèche, a été édifié par le sultan Mahmut II entre 1842 et 1847. Long de 263 mètres, il est très élégant avec sa multitude d’arches. Et si vous le dépassez, vous découvrirez un quartier très animé, constitué d’un tel nombre de terrasses et restaurants au bord du fleuve que l’on avait autrefois surnommé l’endroit, "le petit Paris". S’asseoir sur une terrasse dominant la Maritza et contempler le pont se reflétant dans l’eau dans la lumière du couchant constitue une expérience inoubliable !
Mais avant de vous installer au bord du fleuve, n’oubliez pas de vous rendre à l’extrémité de la Rue de Lausanne, pour admirer l’Université des Beaux-Arts de Thrace, qui a été installée dans l’ancienne gare de Karaağaç, ancienne étape de l’Orient-Express. Deux colossales locomotives à vapeur sont exposées dans le jardin, les touristes y réalisent des photos-souvenirs.
A une centaine de mètres, se dresse le monument de commémoration du Traité de Lausanne, dont les passionnés d’Histoire pourront visiter le musée.
Le retour vers Istanbul
Sur la route du retour, à une quarantaine de kms d’Edirne, se trouve le Pont d’Ergene (Uzunkopru), une merveille architecturale de 1392 mètres, le plus long pont de pierre du monde, commencé en 1427 et terminé en seize ans. Il est d’une beauté sans pareille avec ses 174 arches mais je dois avouer que nous n’avons pas trouvé l’endroit idéal pour le voir en entier et le contempler en majesté, tel qu’il apparaît sur les photos touristiques…
Ensuite, sur l’autoroute, vous pourrez faire halte à Tekirdag pour le repas du soir, afin d’y déguster les célèbres "köfte" de Tekirdag et si vous êtes gourmand(e), le non moins célèbre "helva" sucré au fromage…
Pour finir, rappelons que cette année, en juin, un voyage de luxe du train Venise-Simplon-Orient-Express conduisant cinquante-sept voyageurs très privilégiés de Paris à Istanbul, pour fêter le cent-quarantième anniversaire de la ligne, a été accueilli à Edirne, à la gare frontière de Kapikule, par des fanfares et des danses folkloriques…
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