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DECOUVERTE – La tradition des combats de chameaux

Écrit par Lepetitjournal Istanbul
Publié le 1 janvier 1970, mis à jour le 14 novembre 2012

 

En Turquie, c'est la saison des combats de chameaux. Cette tradition ancienne reste très appréciée dans certaines provinces du pays. Les combats remplissent des stades de plusieurs milliers de personnes et sont l'occasion de joyeuses fêtes populaires. LePetitJournal.com d'Istanbul s'est rendu dans la ville égéenne de Çine, 35 km au sud d'Ayd?n.

Un combat haut en couleur (photo AA)

Dans quelques minutes, Egemen 2 entrera dans l'arène. À sa droite, un peu en retrait, Egemen 1 se repose. Il revient du combat, la bouche encore écumante. Egemen 3 attend son tour, plus tard dans l'après-midi.
Kâmil, leur propriétaire, s'affaire autour d'Egemen 2. Il tapote son encolure et lui parle en disant "o?lum" ("mon fils"). Un adolescent observe la scène et sourit. Lui aussi s'appelle Egemen, fils de Kâmil, le boucher de Çine. Les trois chameaux de son père sont un peu ses petits frères. "Que voulez-vous, c'est une affaire de famille !", s'amuse le garçon.
Son arrière-grand-père était un yörük, un nomade d'Anatolie, qui voyageait avec ses chameaux. Son grand-père puis son père ont délaissé la vie nomade mais ont gardé les chameaux. "Par amour de l'animal", explique Kâmil. "Je ne sais pas si c'est une maladie mais il faut avoir ça dans le sang ! Je m'en occupe comme de mes propres enfants."

Une fête populaire
Le stade municipal de Çine se remplit depuis l'aurore. Le ciel est couvert. Le vent, froid. Mais il ne pleut pas et c'est l'essentiel, car il faudrait tout annuler si le sol devenait boueux et glissant pour les animaux. Des hommes, des femmes et leurs enfants attendent debout le premier combat, vers 11 heures. On se réchauffe avec un thé, une bière ou un rak?, des boulettes de viande grillée (köfte) ou du deve sucu?u (saucisson de chameau !) Le davul (grosse caisse) et le zurna (clarinette) rythment les pas de danse.

La fête a commencé la veille. Les bêtes aux bâts multicolores, décorés de pompons et de clochettes, ont paradé dans la ville avec leurs propriétaires, habillés pour l'occasion, une casquette sur la tête, un turban autour du cou, un pantalon bouffant et des bottes.
Comme pour Kâmil et ses trois Egemen, le combat de chameaux est souvent une histoire de famille. Une tradition ancestrale dont les descendants actuels vivent principalement sur les bords de la mer Égée (Izmir, Ayd?n, Mu?la) et de la Méditerranée (Antalya).


Derrière le combat, la convivialité d'une fête populaire (photo AA)

"Les animaux ne souffrent pas"
"On ignore quand et où précisément les combats de chameaux ont commencé en Turquie",
explique Vedat Çal??kan, auteur d'un livre* sur le sujet. "Mais on sait que leur développement autour des villes égéennes d'Izmir et de Ayd?n remonte à la première moitié du 19ème siècle."
Une centaine de festivals se déroulent chaque année dans le pays, durant les mois d'hiver. Selçuk, 80 kilomètres au sud d'Izmir, accueille le plus important. Les chameaux vendus en Turquie, contre plusieurs dizaines de milliers de lires, arrivent d'Iran ou d'Afghanistan à l'âge de quatre ou cinq ans. Ils seraient plus d'un millier actuellement.

"Les combats de chameaux chez nous sont très différents de ceux auxquels vous pouvez assister au Pakistan ou en Afghanistan. Ici, les combats durent une dizaine de minutes maximum de sorte que les animaux ne souffrent pas, alors qu'en Afghanistan, ils peuvent durer jusqu'à trois heures. Évidemment, l'animal souffre et se fatigue beaucoup", commente Vedat Çal??kan.

"Je vois mon chameau plus que mon fils"
Pour cette raison, peut-être, les combats de chameaux ne sont pas vraiment polémiques en Turquie. "Ils ne doivent surtout pas être comparés avec d'autres combats d'animaux, beaucoup plus cruels", poursuit le chercheur à l'université de Çanakkale. Selon lui, "les combats de chameaux ont une dimension sociale et culturelle en Turquie. Ils ne sont pas organisés seulement pour le plaisir de voir les animaux se battre. Je vous assure que la dernière chose que souhaite un propriétaire de chameaux, c'est qu'il arrive du mal à son animal?"

Bülent, venu d'Ayd?n, approuve d'un hochement énergique. "J'ai un chameau de treize ans et un fils de sept ans. Je vois mon chameau seize heures par jour et mon fils cinq heures par jour. Et quand mon fils est à la maison, il veut tout le temps s'occuper du chameau", explique-t-il.
Dans la belle-famille de Bülent, on élève des chameaux de père en fils? et fille. D'ailleurs, c'est son épouse qui eu l'idée d'un chameau pour la circoncision du premier garçon. Bülent sera bientôt père pour la deuxième fois et il n'est pas impossible que la famille s'agrandisse encore d'ici quelques années, si le petit frère réclamait lui aussi "son" chameau?

Un fier combattant ! (photo AA)

Les associations locales, gardiennes de la tradition
À Çine ce jour-là, une centaine de combats s'enchaînent, sans interruption. Il y a toujours du monde dans l'arène : les deux chameaux qui s'affrontent, leurs propriétaires, leurs éleveurs, des arbitres, des membres du comité d'organisation, les deux adversaires suivants, qui patientent à l'écart avec leurs propriétaires, leurs éleveurs etc. etc.

Difficile de suivre l'action, à moins d'être un habitué. Heureusement, il y a le cazg?r, l'équivalent d'un commentateur sportif. Sa voix résonne dans les haut-parleurs : "Les deux adversaires se rapprochent et forment un ciseau? Ils croisent et décroisent leurs encolures de droite à gauche? Ceylan a attrapé la patte avant gauche de Dilber? Dilber enlace et bloque Ceylan? Mais Ceylan esquive? Et maintenant c'est Ceylan qui enlace Dilber? Ceylan vient de passer sa tête entre les pattes de son adversaire! Il le soulève ! Il le fait tomber !"

Dilber est à terre. Ceylan salue la foule en serrant les quatre pattes. Son propriétaire remporte un tapis et tout le monde évacue le terrain. Place au combat suivant, celui d'Egemen 2. Ce jour-là, Egemen 2 ne gagne pas. Il ne perd pas non plus. Les deux chameaux se séparent ex-æquo après dix minutes de combat, comme c'est souvent le cas.
 

"Ce patrimoine perdure grâce au travail des volontaires de nos associations locales", explique Mustafa Köprülü, de l'Association des amateurs de combats de chameaux de Çine. Ce dernier n'est pas inquiet pour l'avenir de sa passion : "Même si la Turquie arrête d'importer des chameaux, nous en avons assez pour faire vivre cette tradition pendant vingt ans !"

Anne Andlauer (www.lepetitjournal.com Istanbul) mardi 15 mars 2011

lepetitjournal.com istanbul
Publié le 15 mars 2011, mis à jour le 14 novembre 2012

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