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INTERVIEW - "Borges a inventé une nouvelle langue"

Écrivain montpelliérain et professeur de littérature argentine à Grenoble, Michel Lafon présentait à la Feria del Libro son premier roman, Une vie de Pierre Ménard (Gallimard, 2008), en écho à une nouvelle de Fictions, de Jorge Luis Borges. Ayant découvert par hasard, à 17 ans, l'auteur qui orientera son destin d'argentiniste, Michel Lafon nous livre des clés pour entrer dans l'univers du « plus grand écrivain de langue espagnole du XXe siècle ».

Comprendre Borges. « L'écriture pour lui était une pratique solitaire. Devenu aveugle, il préparait ses textes mentalement, les mémorisait et les dictait. Avec Adolfo Bioy Casares, ils avaient une immense amitié et dînaient tous les soirs ensemble. Ils riaient beaucoup. Après le repas, quand ils étaient inspirés, ils écrivaient à quatre mains. C'était une façon de prolonger leur amitié, de lui donner une nouvelle dimension.
Son intérêt pour les romans policiers et d'espionnage, sa passion de la trame, de l'intrigue, de l'argument, faisaient qu'il n'aimait pas les récits absurdes et incohérents. Il ne faut pas se laisser effrayer par les notes de bas de page, citations, mots étrangers, l'intellectualisme de Borges, car il y a toujours une histoire. Trouvez le fil, suivez-le et vous découvrirez de petites histoires policières, avec du suspense, des surprises, des coups de théâtre. Quand on le lit en espagnol, on se rend compte qu'il a inventé une nouvelle langue, par sa syntaxe et sa façon d'utiliser les mots ».

Les Français et la littérature argentine. « Au plan universitaire, l'intérêt pour cette littérature est lié à la passion de quelques individus. Je suis, par exemple, le seul professeur de littérature argentine en France. Pour ce qui est du public, il y a eu, dans les années 60 et 70, un boom latino-américain qui a depuis laissé la place à la littérature nord-américaine. Mais, heureusement, si un Français a envie de se tenir au courant et de lire des classiques, certains éditeurs font un très bon travail, comme Christian Bourgois.
Il me reste d'ailleurs à réfléchir sur l'état de l'?uvre, depuis les manuscrits ? ceux de Borges sont passionnants mais peu édités ? jusqu'aux éditions critiques de référence. C'est une question capitale, plus que d'aller étudier le thème du tigre ou du poignard dans son ?uvre ».

La Feria del Libro. « Je suis admiratif qu'on puisse faire la queue pendant deux heures pour échanger quelques mots avec un auteur ou l'embrasser. Je suis allé à des conférences à chaque fois il y avait du monde, et j'ai été touché qu'il y en ait pour la mienne. Il y a toujours une passion des Argentins pour la culture, la littérature. C'est pour ça que je suis amoureux de ce pays.
J'ai participé à la Feria pour la première fois en 1995. Je disais déjà que j'étais en train d'écrire la vie de Pierre Ménard, un de mes meilleurs amis, que je vivais avec lui. J'ai des obsessions assez durables puisque 14 ans après, ce roman est publié. J'y ai jeté les bases des autres romans en inventant un mythe : celui de ma ville, mon jardin, ma jeunesse. »
Louise Durette (www.lepetitjournal.com - Buenos Aires) le mercredi 30 mai 2009

(1)   Dans « Pierre Ménard, auteur du Quichotte », nouvelle du recueil Fictions, Jorge Luis Borges relate l'existence de ce personnage de manière si ambigüe que le lecteur pense que le héros est fictif. Dans son livre, Michel Lafon s'emploie à démontrer que ce poète symboliste nîmois est réel, et qu'il a contribué au succès de nombreux écrivains. Signalons un blog tout entier consacré à Pierre Ménard :
http://pierremenard-lamideborges.midiblogs.com/


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