L’avenir du pays se joue désormais sur smartphone à en juger le développement rapide d'Internet et des réseaux sociaux. Les leaders politiques et économiques l’ont bien compris. Mais ce pouvoir cache aussi de sombres conséquences. Comment les réglementer face à un demi-milliard d’utilisateurs ?
Les réseaux sociaux ont profondément changé l’Inde
Comme le reste du Monde, l’Inde a vu arriver de nouveaux médias qui ont bouleversé les relations amicales (retrouver de vieilles connaissances), ont rapproché des familles (s’appeler en vidéo en étant éloignés), ont donné la parole à des individus (pouvoir s’exprimer ou poster des photos), ont informé des régions reculées (donner l’accès à des actualités locales comme une route fermée…), ont aidé à éduquer (montrer une vidéo Youtube pour mieux comprendre). Tant de solutions qui ont changé la vie des indiens sans aucun doute. Le smartphone fait partie intégrante de leur vie.
Même du côté des leaders politiques, les médias sociaux ont transformé leur stratégie, leur relation avec les électeurs et leur communication. Il suffit de voir les chiffres aujourd’hui vertigineux : sur les 900 millions d’électeurs potentiels, 500 millions ont accès à Internet, 450 millions possèdent un smartphone, plus de 300 millions sont sur Facebook et 400 millions sur WhatsApp. Et ce n’est pas prêt de s’arrêter. Le meilleur exemple est le Premier Ministre, Modi, 3ème personnalité politique la plus suivie sur Twitter avec 48,2 millions de followers, derrière le Pape et Donald Trump! Il se met en scène, félicite, présente ses condoléances, partage ses rencontres et surtout, arrive ainsi à contourner les critiques sur son absence des médias traditionnels. Dernièrement, il recevait le Dirigeant Chinois à Mahabalipuram, l’occasion de poster une vidéo de lui nettoyant la plage.
Plogging at a beach in Mamallapuram this morning. It lasted for over 30 minutes.
— Narendra Modi (@narendramodi) October 12, 2019
Also handed over my ‘collection’ to Jeyaraj, who is a part of the hotel staff.
Let us ensure our public places are clean and tidy!
Let us also ensure we remain fit and healthy. pic.twitter.com/qBHLTxtM9y
Les réseaux sociaux ont aussi permis d’agir contre des discriminations ou des injustices. L’exemple le plus parlant est l’histoire terrible en 2012 d’une étudiante violée et agressée à New Delhi. Les voix se sont levées très rapidement, de nombreux rassemblements ont eu lieu partout dans le pays, incités par les médias sociaux. Les femmes se sont exprimées publiquement et ont réclamé des lois plus sévères. En 2018, le mouvement #metoo arrive jusqu’en Inde avec le hashtag #meetooindia. Grâce aux réseaux sociaux, des histoires de violences ou d'agressions sexuelles sont dévoilées, et des têtes tombent, au cœur de Bollywood. Enfin, Récemment, plus de 12 000 personnes ont participé à des rassemblements écologiques et ont répondu à un appel mondial pour le climat via les médias sociaux.
Le côté obscur du média social
Tout d’abord, selon l’UNICEF, il existe aujourd’hui une inégalité d’accès aux réseaux sociaux puisqu’en 2017, 71% des utilisateurs des réseaux sociaux indiens étaient des hommes. En cause, de nombreuses décisions misogynes dans des villages des Etats du Nord ; les femmes n’ont pas le droit d’utiliser un téléphone connecté, les coupant ainsi de toute information, mais surtout, d’une possibilité d’émancipation.
Comme le reste du monde, l’Inde a vu apparaître des internautes virulents s’exprimant anonymement et essayant de créer des polémiques. Une toxicité que de plus en plus de célébrités indiennes dénoncent. Cette semaine, l’acteur local Khushbu Sundar s’ajoute à une liste toujours plus longue de célébrités qui quittent les réseaux sociaux. En août dernier, le réalisateur de Bollywood Anurag Kashyap a quitté Twitter après des menaces auprès de sa famille pour ses opinions politiques. L’actrice Divya Spandana, connue pour des commentaires assez enflammés (notamment sur les relations sexuelles avant le mariage) a aussi récemment quitté Twitter. « Je dois dire que cette plate-forme est empreinte de méchanceté partout dans le monde. Il n'y a pas de règlement et ces gens anonymes s'en tirent comme ils veulent. » dénonce Khushbu. « La réglementation des médias sociaux fait défaut, car les trolls s'en tirent avec tout ce qu'ils peuvent. Il faut rectifier cela au plus tôt », dit Kasturi, une actrice indienne.
Par ailleurs l’euphorie créée par les nouvelles technologies entraine parfois des comportements dangereux. On ne peut que rappeler le triste record de l’Inde en nombre de décès par selfies (voir notre précédent article sur ce fléau) : le désir de partager la photo parfaite au plus grand nombre, la recherche de toujours plus de « likes » et de commentaires sur les réseaux sociaux, le tout au péril de sa vie... A ce sujet, selon des scientifiques du monde entier, il y aurait un certain manque d’éducation : « Des campagnes d’information et de sensibilisation sont également nécessaires, en particulier en direction des jeunes, pour pointer les risques de cette folle pratique et éviter que d’autres vies soient perdues dans la quête d’un moment de popularité dans l’univers infini des réseaux sociaux ».
Ce manque d’éducation ou de prévention amène aussi à d’autres problèmes comme la propagation de polémiques ou de « fake news » ; beaucoup de personnes prennent parfois pour argent comptant tout le contenu qui circule sur les réseaux sociaux et agissent en conséquence, jusqu’aux meurtres. Whastapp Inde s’en souvient encore… (voir notre article sur Whatsapp en Inde)
Où en est la réglementation du Gouvernement ?
Le média social est une réponse positive au développement du pays mais des abus non négligeables existent. Face à cela, difficile trouver une ligne de conduite claire de la part des autorités sans atteindre la liberté de connexion et d’expression.
- D’abord, face aux groupes violents et aux « trolls », le gouvernement se donne aujourd’hui le droit de supprimer des contenus, des comptes de personnes ou de couper tout simplement l’accès Internet (comme depuis l’an dernier dans la région du Cachemire. A ce propos, la coupure d’Internet semble être une arme de plus en plus utilisée dans cette région, dans le but d’éviter toute coordination des manifestants sur les réseaux sociaux) ; Des décisions souvent dénoncées comme une atteinte à la liberté d’expression…
- Par ailleurs, lors de grandes élections, des mesures sont prises aussi, à l’image de la campagne qui a eu lieu en avril et en mai dernier : la validation systématique de publicités politiques diffusées sur les réseaux sociaux par la Commission électorale, la surveillance des comptes des personnalités politiques, la vigilance accrue de toute fake news diffusée etc…
- En avril 2019, Tik Tok (réseau social fétiche des adolescents indiens où ils chantent et dansent en quelques secondes) était dans le viseur de l’Inde : Un tribunal de Madras a demandé au gouvernement d'ordonner la fermeture du réseau social car il encouragerait la pédophilie et la pornographie…Finalement, l’application n’a pas été supprimée à ce jour mais a dû retirer environ 6 millions de vidéos controversées.
- Et la protection des données personnelles sur les médias sociaux ? Vaste chantier ! Côté Whatsapp par exemple, le gouvernement tente de s’en détacher en créant sa propre messagerie pour permettre aux services gouvernementaux d’échanger entre eux (à l’image de « Tchap » en France). A fortiori, l’Etat Indien déclare travailler sur un cadre législatif plus solide et un projet de loi protégeant les données personnelles des utilisateurs sur son territoire. A suivre de très près…