Depuis une vingtaine d'années, en France et ailleurs en Europe, on peut découvrir l’art tribal indien au travers d’expositions consacrées à un ou plusieurs artistes. Cet art peut prendre plusieurs formes, mais c’est surtout sous sa forme picturale qu’il est parvenu en Occident. Chaque ethnie ou tribu (adivasi en hindi) possède ses propres techniques et styles de représentation liés à ses traditions et à sa culture.
La rédaction a rencontré Christian Journet, fondateur de l’association Duppata (*), qui oeuvre depuis 12 ans pour faire découvrir l’art des différentes ethnies indiennes et ainsi aider à sa pérennité. “Il y a depuis quelques années un certain engouement pour la peinture tribale indienne”, affirme Christian Journet. Il nous en présente les origines et spécificités.
L’Inde, des centaines de tribus ou communautés avec des traditions orales et picturales spécifiques.
Plus de 700 ethnies sont classées sous le nom de Scheduled Tribes dans la constitution indienne et bénéficient d’un régime particulier. L’article 342 définit les critères : état primitif, isolement géographique, retard dans l'éducation et le développement social et économique. Lors du dernier recensement de 2011, elles représentaient un peu plus de 8% de la population indienne et étaient surtout présentes dans les zones rurales.
L’art tribal, le moyen de transmission de l'héritage culturel
La plupart des communautés tribales n’ont pas d'écriture et la peinture, la danse et le chant sont les seuls moyens de transmission de la culture et des traditions aux générations suivantes. Christian Journet explique : “Dans l’art tribal, l’oeuvre picturale permet d’illustrer la partie narrative qui peut être parlée ou chantée. C’est là que réside l’intérêt de ces oeuvres.”
L’art tribal est issu de l’univers rural et chaque communauté a un style particulier. Elles ont essentiellement des traditions animistes.
A l’origine, dans la plupart des ethnies, les peintures rituelles décorent les murs des maisons et ce sont la plupart du temps des décorations éphémères qui sont réalisées avec des couleurs naturelles. L’objectif est d’illustrer le présent, mais pas de résister à l'épreuve du temps. Par exemple, chez les Warlis, les fresques extérieures sont liées aux saisons et aux croyances concernant la moisson et les récoltes alors qu’à l'intérieur, les fresques représentent le cycle de la famille (mariage, naissances) et ont un caractère plus permanent.
Une activité originellement réservée aux femmes
Traditionnellement, la peinture rituelle est une activité féminine qui se fait sur support mural. Mais, au début du 20ème siècle, les fresques murales de certaines communautés sont repérées par des galeristes qui décident d’inviter les artistes à présenter leurs oeuvres à Bombay. Le choc culturel est immense pour ces femmes et elles éprouvent de grandes difficultés à s’adapter à la vie urbaine même pour quelques semaines. Plusieurs décennies plus tard, dans les années 60-70, une nouvelle tentative est faite, mais cette fois, ce sont les hommes des communautés qui se rendent en ville avec les peintures de leurs femmes. Ceux-ci se sont mieux adaptés à la vie urbaine.
C’est ainsi que les hommes, qui ont compris le profit que peut générer l’art de leur communauté prennent le relais. Ils sont “autorisés” par les femmes à peindre et à utiliser d’autres supports plus facilement transportables et commercialisables comme le papier ou la toile. Alors que les oeuvres réalisées par les femmes ont uniquement un caractère rituel, l'entrée des hommes dans le monde de la peinture vernaculaire se fait principalement dans un but mercantile. L’art rituel traditionnel de la fresque murale a ainsi évolué en devenant un art contemporain sur papier ou toile monnayable.
Ce changement marque aussi le début de la disparition des fresques murales et surtout de celles si éphémères réalisées sur les murs extérieurs des maisons. Les artistes se tournent vers de nouveaux matériaux plus résistants dans la durée pour peindre leurs oeuvres et ainsi pouvoir les vendre.
Aujourd’hui, dans de nombreuses communautés, les murs extérieurs des maisons ne sont ainsi plus décorés car les peintres préfèrent se concentrer sur des oeuvres transportables et commercialisables. “Lorsqu’on interroge les Warlis, ils nous disent qu’ils n’ont plus le temps” explique Christian Journet. “La civilisation moderne leur a apporté la notion de temps ainsi que la contrainte du temps”, ajoute-t-il.
En occident, les communautés tribales indiennes, dont l’art pictural est le plus connu, sont :
- les Gonds, qui vivent dans les forêts du Madhya Pradesh au centre de l’Inde,
- les Bhils, qui vivent dans le centre-est de l’Inde, entre le Gujarat et le Madhya Pradesh,
- les Warlis, un peuple établi principalement dans le Maharashtra dans l’ouest de l’Inde,
- les Kurumbas, dans l’Inde du sud, essentiellement le Tamil Nadu,
- les Saoras, dans l’est de l’Inde, dans l’Orissa,
- les Santals, dans le Bengale Occidental à l’est du pays.
Duppata, pour la préservation de l’art tribal indien
L’association Duppata(*) a été créée il y a 12 ans par des personnes passionnées par la mosaïque des cultures en Inde. Duppata oeuvre pour que les expressions artistiques et les productions artisanales des ethnies indiennes soient soutenues, développées et pérennisées.
Les peintures révèlent des cultures mais en même temps des mythes fondateurs de ces cultures minoritaires.
Basée en France et en Inde, l’association organise des expositions/ventes, des événements, des ateliers peinture ainsi que la venue de peintres traditionnels en Europe. L'idée est de créer un contact entre les ethnies représentées par les peintres et les personnes intéressées par les micro-cultures de l’Inde.
Duppata s’attache à toujours présenter l’oeuvre picturale et l’aspect narratif qu’elle illustre (par exemple, un événement que la communauté veut éviter ou qu’elle voudrait voir se produire). Dans ce but, l’association travaille avec une conteuse qui s’est imprégnée des cultures tribales. Lors de certains événements, cette dernière narre les histoires liées aux oeuvres.
Ecouter La malédiction du crabe, une légende des Warlis.
Lors de leur recherche d’artistes, les membres de l’association se sont concentrés sur les peintures faites par les femmes : “On essaie de retourner aux sources puisque les peintures rituelles étaient traditionnellement faites par les femmes. C’est aussi un moyen pour ces dernières de s'émanciper et d’avoir un revenu personnel”, explique Christian Journet.
Dans le même objectif, Duppata en qualité d’association à but non lucratif reverse l’ensemble des excédents réalisés lors de la vente de peintures traditionnelles à des ONG indiennes qui contribuent à la réinsertion professionnelle des femmes.
Duppata a lancé un projet en vue de préserver l’aspect narratif de ces peintures, l’illustration du conte de Peau d'Âne par des communautés indiennes. Une exposition avec la participation d’une conteuse est prévue pour clôturer l'expérience et la présenter en Europe.
Pour plus de détails sur l'art de chacune des tribus :
Et aussi :
Les maisons peintes de Hazaribagh, Jharkhand
Les peintures de Madhubani, originaires du Bihar, qui ne sont pas des peintures tribales
(*) Pour les puristes, le nom de l’association comporte 2 P contrairement au mot dupatta qui représente l'étole/foulard que les Indiennes portent avec leur tunique. Les fondateurs de l’association ont choisi cet orthographe pour éviter la confusion avec le verbe duper dans l’esprit des personnes intéressées par leur travail !
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