Hong Kong dans la tumulte et en conflit avec elle-même. Un portrait chinois par Gérard Henry agrémenté de textes choisis et de dessins. A savourer!
Hong Kong est actuellement en pleine ébullition. La cité et particulièrement les jeunes Hongkongais se sont levés face à la menace totalitaire chinoise que laisse planer le gouvernement de Pékin. La fièvre brûlant encore dans les cœurs, attendons quelque temps pour en parler plus en profondeur et revenons vers un portrait de cette cité enfiévrée par quelques-unes de ses plumes sensibles.
Si l’économie, le politique, le social forment la trilogie qui règne sur nos vies, si l’on ne peut nier que cette trilogie nous affecte, elle s’éloigne pourtant dans notre perception du quotidien. On l’oublie et notre bonheur est plutôt tributaire d’autres notions qui régissent notre vie de tous les jours comme celles de "notre espace et de notre temps". Elles diffèrent pour chacun, mais aussi pour chaque cité, chaque région.
"Un coin de mer exclu de l’océan avec des îles pour le partage des saisons"
Dans une exposition qui eut lieu peu après la rétrocession à la Chine, quelques artistes résidant à Hong Kong, avaient essayé de capter le pouls de leur cité et par la-même celui de leur vie. Le résultat fut le portrait fascinant d’une ville et d’un peuple: "Une ville, disait le poète Bernard Pokojski, gagnée sur la mer et la terre dans le règne des passants, à coups de couteau. Un coin de mer exclu de l’océan avec des îles pour le partage des saisons, entre voitures et marchands de fruits."
Pour le vidéaste Lam Yiu Tong, dont les écrans vidéo bombardaient des images de nos pensées et de foules, le rythme est ici diabolique. "Nous avons l’habitude de clamer dans cette cité du capitalisme que “le temps, c’est de l’argent" un simple produit que l’on peut acheter. Pourtant le temps n’appartient à personne tout en appartenant à chacun. On coexiste seulement avec lui. Tout va si vite ici qu’on ne vous permet pas de savoir ce qui arrive réellement. Nous devons faire face aux difficultés dans un temps limité. L’appréciation de la vie semble un luxe. La répétition est le modèle de notre vie quotidienne. Le sens de la découverte ne semble plus faire partie de notre nature. Les gens viennent, les gens partent. Le temps vient, le temps part. Hong Kong est une cité pressée."
Mais peut-être était-ce une jeune poétesse, Sonia Au, qui avait le mieux saisi cet espace resserré et cette pression souvent douloureuse du temps qui pèse sur l’esprit et le corps des Hongkongais. Elle décrit dans un poème intitulé, "Hong Kong, à la césure des nuits" les rares lenteurs et les brusques accélérations de cette cité qui fascine, engloutit ou rejette ses habitants qui tentent de marcher à contre-courant.
"La fièvre des amoureux, la moiteur sur ses reins, la soie fine, volage, sensuelle… "
Images tout d’abord de la nuit hongkongaise illuminée, de ces nuages qui traînent entre les gratte-ciel, de cet air lourd qui colle aux poumons, de la recherche d’intimité des amoureux au-dessus de la ville: "Le regard à trois lieues, dans les brumes légères, la fièvre des amoureux, la moiteur sur ses reins, la soie fine, volage, sensuelle… comme au loin le clapotis léger des lumières dans les eaux profondes de Victoria." Mais à cet instant d’isolement répond une autre fièvre, celle de la ville en dessous: "Nous rions, nous crions, nous sommes fous, fous de ces pleines nuits d’insomnies, toutes enseignes allumées, fous de ces derniers soupers nocturnes, le ventre pleurant de faim, fous de ces télés allumées, relents et reliefs de repas délaissés."
"Le cœur insurgé, le sang enflammé"
Hong Kong est aussi une cité ou plus de la moitié de la population, vit en logements publics, gratte-ciel aux appartements minuscules et bondés, aux vitres scellées de grilles pour éviter que les enfants ne tombent: "Ces nuits, je suis enfermée dans ma cage, agrippée à ma petite fenêtre, contemplant de mes 28 étages les lumières étoilées. Ces nuits, tu es enfermé dans ta cage, les lèvres entrouvertes, effleurant une nuée ballottée au vent. Ces nuits, où nous vivons comme en plein jour."
Mais la ville a cependant ses moments de répit, des lenteurs que le touriste ne voit pas toujours, comme ce thé au lait de l’après-midi, pause des travailleurs où chacun s’assoit dans de petits cafés. Loin des boutiques chics et fast-foods de la cité: "Nous levons doucement la tête, saveur des fines volutes odorantes du thé de l’après-midi".
Une pause toutefois bien courte, et arrive le soir où la ville bout comme un énorme chaudron. La nuit tombe en moins d’une demi-heure, laissant l’impression que le temps vient de vous filer sous le nez. Il ne reste plus qu’à pénétrer à nouveau le flot compact vers les transports en commun bondés. Les corps précipités les uns contre les autres: "Crépuscule aussitôt évanoui, nous voilà si proches, soudainement pressés chair et peau l’un contre l’autre, jouissance furtive, plaisir d’un corps étranger. Et tout aussi soudainement à nouveau plongés dans cette foule fuyante, le cœur insurgé, le sang enflammé, roulant, roulant, coulant…"
Voilà un portrait rapide certes, mais un portrait à la mesure de cette cité, une cité créée dans l’urgence.
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