De son port d’attache à Lorient à Hong Kong, la goélette Tara a traversé deux océans. Dans le cadre de l’expédition Tara Pacific de 2016 à 2018, une équipe de chercheurs a collecté des données pour sensibiliser et révolutionner la science.
La goélette de trente ans d’âge a posé l’ancre dans le port de Hong Kong du 5 au 15 mars. Et le bateau français de la Fondation Tara, détenu par le groupe Agnès B., en a vu de tous les horizons à travers ses expéditions scientifiques des dix dernières années. Tara aura sillonné au total 350.000 kilomètres dont près de 100.000 dans l’océan Pacifique depuis 2016 jusqu’à octobre prochain.
30 pays traversés, 70 escales, 11 fuseaux horaires parcourus, 200 sites d’échantillonnages… Les chiffres sont à la hauteur de cette 11e expédition, Tara Pacific. En deux ans, l’équipe scientifique internationale et interdisciplinaire, coordonnée par le CNRS et le Centre Scientifique de Monaco, aura collecté 40.000 échantillons issus des récifs coralliens.
L’objectif est de créer un comparatif inédit de la biodiversité des récifs coralliens et leur évolution face au changement climatique. "Ce que nous sommes en train d’étudier est magique pour la science, s’enthousiasme un membre de l’équipage. Nous sommes proche d’une découverte presque révolutionnaire". Car dans cette cartographie de données, outre l’état de santé et l’adaptation au changement des coraux, les scientifiques observent la vie des espèces qui s’y réfugient. "Il y a un vrai système collaboratif entre les espèces qui vivent en symbiose. Plusieurs d'entre elles sont même interdépendantes", continue la navigatrice. Près de 17 millions de nouveaux gênes ont aussi été recensés.
Mais le constat sur l’environnement n’en est pas plus joyeux. Alors que les récifs coralliens couvrent moins de 0,2% des fonds marins, officiant comme "habitat et garde-manger" de 30% de la biodiversité marine connue, ils dépérissent. Cet écosystème fragile est constamment menacé par les changements climatiques. Aujourd’hui, 20% d’entre eux ont disparus, et 35% sont menacés de disparition d’ici 2050.
"Le pire qu’on ait vu était aux environs de Samoa (ndlr. île proche de Wallis et Futuna), se souvient un membre de l’équipage. On a navigué des kilomètres sans trouver de récifs coralliens exploitables. Le moral à bord en a pris un coup devant se triste constat". Le réchauffement climatique est la cause principale de cette dégradation. Les Océans absorbent 90% de la chaleur produite par les gaz à effets de serre, ce qui engendre un réchauffement jusqu’à 800 mètres de profondeur. "L’océan régule ce phénomène malgré lui", déplore-t-il.
Autre problème: la pollution marine par le plastique. Sujet au cœur d’une précédente expédition de Tara, les micro particules de plastique s’entassent dans les mers et les océans si bien qu’on en retrouve dans tous les courants. "Cela résulte de 50 ans de mode de consommation. Lorsque l’on parle de septième continent ce n’est pas pour rien, s’alarme le matelot. Entre 8 et 10 millions de tonnes de plastiques tombent dans l’océan chaque année".
La sensibilisation, une priorité pour Tara
Sur la route à travers le Pacifique, au-delà de la recherche, Tara s’engage pour la gouvernance des océans. L’expédition cherche à interpeler les acteurs politiques et le monde économique sur ces problèmes. "La COP21 a été un grand rebondissement en la matière. Pour la première fois des scientifiques se sont engagés et se sont affirmés sur le plan politique pour défendre l’environnement", assure un porte-parole de Tara. Alors qu’il est depuis 2015 intégré comme Observateur aux Nation-Unies, Tara se bat pour la préservation des littoraux mais aussi pour la reconnaissance légale des hautes mers comme biens-communs.
Une telle action implique également la sensibilisation de la société aux enjeux écologiques les plus urgents. Pour cela Tara se concentre sur l’éducation des plus jeunes. Sur son site, toutes les données récoltées sont accessibles librement en "open-data" et des formations pour les enseignants sont fournies.
"Nous créons les outils pour partager et adapter notre travail. Tara fonctionne comme un laboratoire d’apprentissage", se réjouie l’équipe. Elle se félicite d’ailleurs d’avoir fait rentrer l’Océan dans les programmes de l’Éducation Nationale.
Tara conclue son escale dans le port hongkongais le 14 mars au Lycée Français International autour de la projection du documentaire Plastic Ocean. Elle sera suivie d’une table ronde avec les équipes du film, des membres de l’équipage de Tara, des professeurs d’université et une association pour expliquer comment agir.
Avant cela, tout au long de la semaine comme lors des autres escales, le pont du bateau a été foulé par de nombreux écoliers. Une expérience autant appréciée par les hôtes que les invités.
La vie à bord, une expérience qui rapproche
Et pour accueillir tout ce petit monde sur le voilier, il faut se serrer. L’habitacle exiguë regroupe une cuisine, des chambres partagées, et surtout de petits laboratoires dans lesquels sont examinés les échantillons ne pouvant être conservés. Pour les autres, d’énormes frigidaires accueillent les éprouvettes jusqu’à une escale où l’équipe procède à leur envoi. Une pratique appelée « shipping », faite environ tous les deux mois.
Composée de six marins et sept scientifiques en permanence à bord, l’équipe s’organise grâce à un roulement avec 70 autres tout au long des escales. À leurs côtés un cuisinier, un journaliste et un artiste soumis également au système d'intervertissement. Le dessinateur qui a immortalisé l’escale dans le port de Hong Kong est Christian Cailleaux.
Pas de médecins à bord mais des marins avec une formation pour les premiers soins. « Ils sont bien formés mais on doit tout de même signer une décharge avant d’embarquer », s’amuse la journaliste de l’expédition. En ce qui concerne l’eau potable, une machine s’occupe de désaler et purifier l’eau de l’océan.