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"Big Data": une chercheuse tunisienne dialogue avec les élèves du LFI

Amel Ghouila Institut Pasteur Hong Kong VisiteAmel Ghouila Institut Pasteur Hong Kong Visite
Écrit par Gabriel Benet
Publié le 22 novembre 2017, mis à jour le 22 novembre 2017

Amel Ghouila, chercheuse en bio-informatique à l’Institut Pasteur de Tunis, est venue rencontrer des élèves du lycée Victor Segalen de Hong Kong lors de la Semaine LFM pour parler d’un vaste sujet : les « Big Data ».

Sa visite a suscité un réel intérêt et des discussions très pertinentes avec les lycéens, membres de la "génération Z" parfois trop hâtivement décrite comme consommatrice passive et silencieuse des nouvelles technologies. Retour avec Amel Ghouila sur le message qu’elle a adressé aux élèves du LFI, son parcours et ses recherches.

Le Big Data expliqué aux élèves du LFI

Amel Ghouila était de passage à Hong Kong car elle a fait partie de l’équipe enseignante d’un atelier de formation à l’analyse des données issues de la recherche génomique organisé à l’Université de Hong Kong par le réseau international des Instituts Pasteur.

Entre deux journées de cours chargées, la chercheuse s’est rendue au lycée Victor Segalen pour donner une conférence auprès de quelques 300 élèves de première et terminale.

L’idée de sa venue était de sensibiliser les jeunes aux quantités de données générées aujourd’hui, notamment via l’utilisation d’Internet, du moteur de recherche de Google, des différentes plateformes de réseaux sociaux.

Ces données sont en fait très hétéroclites et proviennent de quasiment partout, pas seulement d’Internet: signaux GPS de nos téléphones, données scientifiques et médicales, données démographiques, données climatiques, données de consommation énergétique, données de l’industrie, données économiques, données issues de l’utilisation des réseaux de transports, de la fréquentation des lieux publics, des achats et retraits par cartes bancaires, etc… Les chiffres sont vertigineux!

Chaque jour nous générons environ 2,5 trillions d’octets, soit l’équivalent de 2,5 millions de disques durs d’un téraoctet… Et cela va en s’accélérant, plus de 90% de l’ensemble des données existantes aujourd’hui ont été créées depuis 2010.

Amel Ghouila a présenté aux lycéens les cinq « V » qui décrivent le concept de Big Data. Des V pour Volume : la quantité énorme des données générées et collectées, Vélocité : la haute fréquence d’actualisation des données, Variété : l’hétérogénéité de la nature des données, Véracité : la faible fiabilité d’un grand nombre de ces données, et Valeur : comment donner un intérêt à toutes ces données que ce soit en économie, ou en médecine par exemple. Car le Big Data, ce n’est pas simplement l’énormité des quantités de données, c’est un objet en perpétuelle évolution au fil de la technologie et des pratiques développées par ceux qui s’en servent.

 

"Il y a aujourd’hui une grande nécessité d’analyse de ces données, pour en faire émerger une information utile. Les métiers liés aux data sciences sont attendus dans tous les domaines. Mais que ce soit professionnellement ou simplement à titre personnel, il faut savoir rester attentif à la qualité des données et de leur traitement. Beaucoup de données ne signifie pas forcément qu’on se rapproche de la réalité selon la façon dont on les exploite et les présente : un grand nombre de biais peuvent apparaître et déformer nos représentations. La place de l’humain est très importante. C’est l’humain qui conçoit les algorithmes d’analyse utilisés par les ordinateurs…" explique le Dr. Ghouila.

"Dans le secteur de la santé par exemple, les métiers vont changer. Les Big Data vont apporter de l’aide aux soignants et aux chercheurs. L’analyse des données biomédicales peut faciliter l’identification de facteurs de risque de maladie, aider à définir le diagnostic, à sélectionner les traitements adéquats et suivre leur efficacité." 

 

Les élèves retiennent que ce que l’on appelle Big Data n’en est en fait qu’à ses débuts, qu’il s’agit d’un mouvement qui continuera d’appeler toujours plus de besoins technologiques. "La difficulté aujourd’hui c’est qu’on ne possède pas les outils nécessaires pour exploiter le Big Data au maximum. Pour cela il faut que l’intelligence artificielle se développe. Dans 50 ans ? Peut-être moins" analyse Julien (classe de 1ère). 

Ce mouvement s’accompagne de la grande question éthique des données personnelles. Le débat n’est pas manichéen, bien sûr les Big Data ne sont pas Big Brother, mais la protection des données personnelles qui peuvent être très convoitées pour leur valeur marchande ou stratégique constitue un enjeu majeur en termes de libertés. Cette question ne laisse pas les lycéens indifférents.

"Internet retient tout et permet tout si on sait comment l’utiliser. Mais est-ce que l’on doit avoir peur que tant de nos données soient collectées pour tout savoir de nous ? Oui si on ne sait pas qui sont les personnes qui y auront accès, et pour quoi ils les utiliseront…" jugent les lycéens.

 

Rencontre Amel Ghouila LFI Hong Kong
Amel Ghouila (badge rouge) et les lycéens du LFI le 7 novembre 2017 (photo G. Benet)

 

Coder, oui, mais pour quoi faire ?

Amel est informaticienne de formation. Elle a progressivement cherché sa voie avant d’arriver à la biologie et au domaine de la santé. 
 

"Au départ, je suis arrivé à l’informatique un peu par élimination. Je voyais ça comme un métier d’avenir. Après 4 ans d’informatique appliquée à la gestion, j’ai fait un stage dans une banque en Tunisie, et je travaillais sur la gestion de stocks, la gestion de parcs automobiles… Je me suis ennuyée car je trouvais qu’il n’y avait pas beaucoup de sens derrière les lignes de codes que j’écrivais" raconte-t-elle. 

 

"J’ai toujours été très intéressée par la médecine, mais gérer des patients, affronter le sang et les émotions, non…  Alors, l’idée de gérer des informations biomédicales par ordinateur, c’est beaucoup plus facile pour moi ! Et ça peut être très utile. Après avoir lu un dossier sur l’analyse des données biomédicales dans Science & Vie et rencontré une biologiste qui m’a parlé de l’informatique dans le domaine de la santé, j’ai commencé à m’orienter vers la bio-informatique pour me rapprocher de la médecine."

"J’ai donc fait un premier stage appliqué à l’analyse de données issues de données biologiques de patients : j’ai appliqué des algorithmes à ces données pour regrouper des gènes en fonction de leur similarité et faire de la prédiction sur leur fonctionnement, c’est ce qu’on appelle le « machine learning ». Au début je n’étais pas vraiment sensible, je considérais simplement les données comme une matrice. Au fur et à mesure de mes interactions avec mes collègues, des réunions de labo où ils échangeaient leurs idées, je me suis passionnée, et alors je me suis décidée : je suis parti faire un doctorat en bio-informatique à Montpellier. Là-bas, j’ai continué à travailler sur des données issues de l’analyse de génomes et je me suis spécialisée sur le parasite qui cause le paludisme. Aujourd’hui à Tunis, j’étudie un autre pathogène qui transmet une autre maladie infectieuse, la leishmaniose."

Les filles et la technologie

Si le rôle de la technologie au service de la santé passionne Amel Ghouila, il est également un autre engagement qui l’anime, celui de l’écart entre les hommes et les femmes dans les domaines des sciences et des technologies.

"Les filles sont rarement poussées à aller au bout d’un projet professionnel ambitieux. D’autre part, comme elles entendent plus souvent "ce n’est pas pour toi ", les femmes en général ont plus peur du domaine de la technologie » juge la chercheuse.

"Quand j’ai entendu parler du programme Technovation, un programme fondé à la base dans la Silicon Valley et qui vise à développer des compétences en entrepreneuriat social et en technologie chez des jeunes filles de 10 à 18 ans à travers formations et compétitions, je me suis attachée à impliquer de jeunes tunisiennes pendant mon temps libre. Au début je pensais que ce ne serait juste qu’une petite expérience, mais en fait le programme a eu beaucoup de succès. Au bout de quatre mois de formation, on voit une grande différence, pas seulement en termes de compétences, mais aussi en termes de confiance, d’esprit d’équipe… Le résultat est très bon. Chaque année je me dis que je vais passer le relai, mais je continue car c’est très stimulant. Nous avons formé 650 filles jusque là, même dans des zones rurales de la Tunisie. C’est impressionnant de voir ce dont quoi ces filles sont capables, il faut juste un petit coup de pouce. En prenant la technologie comme point de rencontre. Chaque année, des équipes sont sélectionnés pour aller présenter leurs projets à la Silicon Valley, chez les pionniers de Google et compagnie… Cela attire les jeunes. Par exemple lors de la dernière édition, c’est une équipe de Hong Kong qui a gagné le prix avec une application pour venir en aide aux personnes atteintes de démences comme Alzheimer."

 

Amel continuera donc de regarder avec confiance l’émergence des nouvelles technologies dédiées à l’analyse des données. "Pour réellement servir la société, il faut une volonté politique sur le Big Data et former les nouvelles générations : réforme des systèmes scolaires, mise en place un écosystème pour incuber et accélérer des startups par exemple…"

 

Pour en savoir plus : 

 

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