“Je suis venu au Vietnam il y a 27 ans, pour une mission de 4 mois, et j’y suis depuis 27 ans!”. Deuxième épisode de la série d'interviews d'entrepreneurs français installés au Vietnam. Le Petit Journal est parti à la rencontre de Jean-Marc Brutus, fondateur de Bellany, une entreprise française au Vietnam.
Le moins que l’on puisse dire du parcours de Jean-Marc Brutus est qu’il n’est pas banal. Il l’est d’autant moins que cette fameuse mission de 4 mois consistait à explorer le marché de la cigarette et qu’aujourd’hui, Jean-Marc Brutus est à la tête d’une marque de glaces et de sorbets, lesquels ont la particularité d’être fabriquées avec des ingrédients naturels.
Une reconversion réussie, donc, qui à première vue, ressemblerait presque à un acte de repentance.
Mais comment Jean-Marc Brutus en est-il arrivé là? Comment peut-on passer du tabac aux fruits frais et faire ainsi irruption sur le marché vietnamien?
C’est toute une histoire, que Jean-Marc Brutus a bien voulu raconter au Petit journal.
Si vous avez manqué le premier épisode de la série d'interviews d'entrepreneurs, retrouvez l'interview de Jean-Luc Voisin des Vergers du Mékong et la genèse d'une aventure éco-responsable au Vietnam.
Une mission qui en appelle une autre
Cette histoire commence en 1994, pour Jean-Marc Brutus, qui à l’époque, travaille dans le domaine du marketing. Un beau jour, son patron le contacte pour lui proposer une mission aussi alléchante qu’inattendue.
« La société Seita a besoin de faire une mission au Vietnam. Ils ont des partenariats là-bas. Ils investissent des millions de dollars mais ils ne comprennent pas le marché », lui dit-il alors.
Et c’est comme ça que Jean-Marc Brutus se retrouve au Vietnam, pour une mission de 4 mois qui consiste à débrouiller les arcanes du marché… de la cigarette, puisque Seita est une société qui produit des marques de cigarettes et de tabac.
Ces 4 mois étant écoulés, il rend un rapport d’activité à Seita, dont la réaction se résume à :
« Jean-Marc, tu connais le marché mieux que nous, maintenant. On a envie de continuer avec toi. Fais-nous une proposition ... »
« Là, la porte s’ouvre pour que je reste au Vietnam », se souvient Jean-Marc Brutus, qui ne se fera pas prier.
Un premier pied au Vietnam
Pour comprendre la suite, il faut bien avoir à l’esprit ce qu’est le Vietnam de 1994. Le Doi Moi a certes été lancé en 1986, mais on ne passe du collectivisme au libéralisme en un tour de main, et les mentalités restent encore très marquées par la période de l’après-guerre. Dans ce contexte, un partenaire, étranger de surcroît, suscite plus de défiance que de confiance.
Cette défiance, Jean-Marc Brutus va en faire les frais et au bout de quatre ans, le partenariat qu’il a vaillamment tenté de mettre en place est mis en suspens…
La société Altadis (entre-temps, Seita a fusionné avec le groupe espagnol Tabacalera…) le rappelle alors pour lui demander de rester sur place, en Asie…
« Jean-Marc, tu restes. L’étude de marché que tu as faite au préalable, on a besoin de la faire dans plein d’autres pays d’Asie »
Chine, Philippines, Inde, Bangladesh, Népal, Cambodge… Le champ d’action de Jean-Marc Brutus commence alors à s’étendre considérablement. La mission, elle, reste globalement la même puisqu’elle consiste à évaluer la faisabilité de projets.
En Chine et au Cambodge, Jean-Marc Brutus va contribuer au lancement de la marque Alain Delon et enregistrer ainsi l’un de ses premiers grands succès commerciaux sur le continent asiatique.
Mais pendant tout ce temps, il reste basé au Vietnam et il n’aura pas à regretter ce choix car au bout de deux ans, l’usine avec laquelle il a travaillé entre 1994 et 1998 le rappelle.
Jean Marc Brutus, devenu entrepreneur malgré lui
Par contre, si Jean-Marc Brutus veut pouvoir rester au Vietnam, son statut doit impérativement évoluer, et très vite il comprend qu’il doit monter sa propre société et devenir sous-traitant, ce qu’il s’empresse de faire. Le voilà donc devenu entrepreneur…
L’essentiel de son travail consiste alors à assurer la promotion des produits dans des points de vente potentiels. Mais il doit aussi s’occuper de la vente en duty-free, dans les aéroports, des produits du groupe Altadis, et ce pour la région Asie-Pacifique.
On arrive ainsi en 2005, date à laquelle le groupe Altadis est racheté par son principal concurrent.
Jean-Marc Brutus se retrouve alors dans une situation délicate. Cet ancien concurrent, il le connaît bien car justement, il lui a mené une concurrence, certes loyale, mais âpre… Autant dire que les relations ne sont pas forcément au beau fixe !
Il décide alors de faire un pas de côté et de mettre à profit, à son profit, le réseau qu’il s’est constitué en plus de 10 ans de présence au Vietnam.
Une mésaventure au goût acidulé au Vietnam
« Trouve un produit et distribue-le dans ton réseau », se dit alors Jean-Marc Brutus.
Ce produit, il va rapidement le trouver en misant sur le fait qu’un paquet de cigarettes coûte alors environ 7.500 dôngs, qu’on le paie en général avec un billet de 10.000, et qu’il y a donc une différence de 2.500 à exploiter. Et c’est comme ça qu’il décide de se mettre à vendre des sachets de bonbons…
Il s’aperçoit par contre, et assez vite, qu’il lui sera plus facile de d’acheter ses bonbons en Chine et de les mettre en sachets au Vietnam. Il crée donc une société qui s’appelle Can Do.
On est alors en 2006. Le Vietnam s’apprête à rejoindre l’Organisation internationale du commerce (OMC) et à se retrouver du coup en compétition avec… la Chine.
Dès lors, les produits d’origine chinoise sont presque « mis au pilori » et Jean-Marc Brutus subit de plein fouet le contrecoup d’un patriotisme économique qui protège les produits vietnamiens au détriment de produits importés depuis la Chine.
Rapidement, ses bonbons lui restent sur les bras, et surtout en travers de la gorge…
Il doit alors rebondir une nouvelle fois et c’est une coïncidence tout à fait fortuite et franchement anecdotique qui va le mettre sur la voie.
Glacier, presque par hasard
« Quand je faisais des réunions, j’avais un de mes employés qui était constamment dérangé au téléphone », se souvient Jean-Marc Brutus.
Rappelé à l’ordre, cet employé finit par lui expliquer que l’un de ses oncles a acheté des machines pour faire des glaces, a essayé d’en fabriquer au Vietnam et a fait faillite... Il lui explique aussi qu’il y a toujours des gens intéressés, d’où ces fameux appels incessants…
« Ça pourrait être un plan d’après-bonbons », se dit alors Jean-Marc Brutus…
Aussitôt dit, aussitôt fait… Il se lance alors dans une étude de marché, étude qui va se révéler peu concluante… Le marché de la glace est alors (2007) quasiment inexistant, au Vietnam.
Néanmoins, Jean-Marc Brutus ne lâche pas l’affaire. Il contacte l’un de ses anciens associés qui travaille en Thaïlande et s’aperçoit alors qu’on y vend 18 fois plus de glaces qu’au Vietnam.
Pourquoi Jean-Marc Brutus a-t-il voulu se référer à la Thaïlande ? Parce que pour lui, c’est un pays qui a dix ans d’avance sur le Vietnam, et qui permet donc de faire des prévisions fiables, notamment en termes de tendances sur les marchés asiatiques.
Il décide alors de se lancer à l’aventure et rachète les machines de l’oncle de son employé si souvent sollicité au téléphone.
Le début de l'aventure Bellany au Vietnam
Il fait aussi de la promotion auprès des cafés, des restaurants, des hôtels et crée finalement la marque Bellany : « Bella » pour donner une petite touche italienne, plus une terminaison en « y », ce qui est alors la caractéristique commune à tous les glaciers ayant en tant soit peu pignon sur rue au Vietnam.
Pour ce qui est de l’apprentissage du métier, il va pouvoir compter sur l’aide de son épouse, vietnamienne, qui, non contente de se reconvertir et de lui prêter main forte, va judicieusement lui faire observer que ses compatriotes n’aiment pas ce qui est trop sucré ou trop gras, mais qu’ils aiment au contraire sentir le goût du fruit…
De fait les glaces estampillées Bellany sont des sortes de gelati « à la vietnamienne », ce qui leur confère une originalité certaine.
« Moins de sucre, moins de gras, plus de fruit : voilà l’identité de Bellany », résume Jean-Marc Brutus.
Retrouvez la deuxième partie de notre interview intitulée Bellany: des fruits aux saveurs, la recette du succès?.