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HAHAHA 2ième partie - Grandeur et misère du rire polonais

(article publié le 2 mars 2011)

L'humour polonais ne se résume pas à des blagues potaches sur les Allemands et les Russes. Au cinéma, dans les journaux, à la radio, dans les cabarets, sur les murs, les Polonais ont aussi produit des ?uvres comiques majeures, même pendant les heures les plus sombres de leur histoire.

- Si j'avais des ?ufs, je me ferais une omelette au jambon... mais comme j'ai pas de jambon...

Pour cette deuxième et dernière partie de notre tour d'horizon sur l'humour polonais, nous verrons que l'absurdité y est souvent le véhicule d'une satire politique à la portée existentielle ou artistique.

(Famille ashkénaze, frontière germano-polonaise, XIXième siècle, wiki)

Rire pour ne pas pleurer
-Après l'assassinat du tsar Nicolas II en Russie, un représentant du gouvernement en Ukraine menace un rabbin : « Je suppose que tu sais qui est derrière ça. » « Ach, répond le rabbin, je n'en sais rien, mais de toute façon ce sera
comme d'habitude la faute des Juifs et des ramoneurs. » Étonné, le politicien demande : « Pourquoi les ramoneurs ? » Le rabbin lui répond : « Pourquoi les Juifs ? »

Le comique juif, comme l'humour anglais, s'est très bien exporté. Aujourd'hui très présent sur la scène contemporaine américaine, il est né notamment en Pologne, où vivait avant la Shoah la plus grande communauté juive au monde. L'humour juif y connaît un grand succès dans les cabarets polonais grâce aux Szmonces. Ce terme yiddish signifiant « sourire » désigne un sketch mêlant l'auto-dérision et le dialecte particulier de la communauté Ashkénaze.

Cet humour aigre-doux est un mécanisme de défense, un réflexe immunitaire face aux persécutions. Il transcende les difficultés de l'existence par une pirouette. Il permet de résister à la tentation du découragement née de l'existence précaire du peuple que Dieu avait pourtant choisi d'entre les peuples. Mais c'est aussi une fuite sur le mode de l'imaginaire. Ce fatalisme apparent, qui permet de tout relativiser par le rire, est en fait un optimisme irraisonné.

-Dans un petit village, on vient de retrouver le corps d'une jeune fille. Inquiets, les juifs du village se reunissent dans la sinagogue, Si la victime est catholique, ils craignent un pogrom. Arrive alors le rabin qui leur crie : ?Excellentes nouvelles mes amis : la morte n'est qu'une juive !?

Une fonction cathartique
Les catholiques du pays ont aussi utilisé l'humour comme une échappatoire. La Pologne a vécu sous domination étrangère la majeure partie des XIXième et XXième siècles. Rire des Allemands ou des Russes est d'abord une (maigre) consolation. L'humour permet d'évacuer la frustration et la souffrance. La moquerie est l'arme des désarmés, elle conforte l'égo des perdants en leur offrant une chance de revanche même symbolique.

- Camarade Staline, nous avons trouvé un homme dans un village qui vous ressemble beaucoup : la même coiffure, la même taille, la même moustache. - Arrêtez-le et tuez-le. - On pourrait peut-être juste le raser ? - Entendu ! On le rase et on le tue.

(dessins politiques Eryk Lipinski - Musée de la caricature)

Le communisme, un âge d'or ?
C'est paradoxalement sous un régime politique autoritaire que le comique polonais a gagné ses lettres de noblesse. La lutte légitime contre la dictature a donné un sens à l'engagement des humoristes. L'absurdité du système soviétique leur a fourni une matière infinie. Enfin la censure, omniprésente, ne les a pas arrêtés. Elle les a au contraire forcés à plus de subtilité et de créativité, à explorer une abstraction quasi-artistique. Avant Solidarno??, les Polonais, grâce à leur humour, étaient déjà au sein du bloc de l'Est aux avant-postes de la critique anti-communiste.

Cette période a particulièrement influencé les dessinateurs de presse, l'un des nombreux domaines des arts graphiques où s'illustre mondialement la Pologne. Le journal illustré Szpilki était le fer de lance de cette satire politique, il était d'ailleurs aussi collectionné dans les autres pays communistes.

Malgré son contenu très critique

, il a survécu à la censure. Beaucoup de ses membres, notamment son éditeur Eryk Lipinski, étaient des compagnons de route du Parti et excellaient à jouer avec les limites de la censure. La culture des illustrations satiriques était aussi ancienne et bien tolérée en Pologne. Le journal critiquait également les démocraties occidentales et n'était donc pas perçu comme anti-communiste. Enfin, sa grande popularité (il s'en vendait jusqu'à 200.000 exemplaires) le rendait relativement intouchable. Le PC n'avait pas besoin d'en faire un martyre.

C'est aussi pendant le communisme que les comédies les plus cultes du cinéma Polonais ont été réalisées : Seksmisja (Mission Sexe), une satire de la mascarade politique polonaise qui s'est d'ailleurs extrêmement bien exportée en Russie, et le plus explicite Kingsajz (King Size) de Juliusz Machulski. Ou encore Mi? (le nounours, 1980), un film de Stanis?aw Bareja truffé d'allusions à l'absurdité et la corruption ambiantes.

 

 

A l'époque, les histoires drôles entourées d'un parfum d'interdit, sont également très populaires. On plaisante entre amis sur l'arbitraire du Parti, la bêtise de la propagande officielle, ou les files d'attente.

- Une femme entre dans une boucherie. "Bonjour monsieur le boucher, vous auriez du filet ?? ; - Non madame, pas de filet ;? - De la bavette, peut-être ? - Non, pas de bavette non plus ; ?- Alors de la macreuse ? du faux-filet ? ; ?- Non, rien de tout ça". La cliente s'en va. Et le boucher dit à son épouse : "cette femme, quelle mémoire elle a ..."

Et aujourd'hui ?
Gageons que dans 100 ans ce ne seront pas les ?uvres comiques des année 2000 que l'on étudiera. Le libéralisme n'inspire pas vraiment le rire polonais. La fin du communisme, en le privant de cible, a même laissé ce dernier un peu orphelin. Le mythique journal satirique Szpilki, après de nombreuses tentatives de sauvetage, a finalement jeté l'éponge en 1994.

Si la transition des années 90 a encore été une période riche, la dernière décen

nie n'a pas produit beaucoup de monuments d'humour. Et s'il y a pourtant matière, vous ne verrez pas de film moquant les conservateurs ou les libéraux polonais. Selon Marek Wojciech Chmurzy?ski, le directeur du musée des caricatures, il y a un consensus mou autour des « valeurs » polonaises (patriotisme, religion, famille...) et beaucoup d'humoristes s'auto-censurent pour rester dans le politiquement correct.

Au cinéma, la mode est à la grosse comédie romantique. Elles s'enchaînent au sommet du box-office polonais mais apportent peu au genre. Et lorsque une comédie d'auteur comme Rewers (Tribulations d'une amoureuse sous Staline) connaît un certain succès critique et public, c'est justement en surfant sur l'humour noir des années communistes.

Les histoires drôles forment aussi une culture en déclin. Plus grand monde ne les collectionne. Les spectacles comiques à la radio ou dans les cabarets jadis extrêmement populaires ont connu de meilleurs jours. L'humour continue bien sur d'être un besoin, mais celui-ci est d'abord satisfait devant la télé ou sur internet. De Los Angeles à Varsovie, les jeunes occidentaux rigolent devant les même séries américaines. Cette normalisation de leurs références culturelles et le rapprochement de leurs vécus gomment les particularités historiques de l'humour polonais. L'époque veut qu'on se moque beaucoup plus volontiers des blondes que de Boles?aw Bierut.

RN et CQ (www.lepetitjournal.com/varsovie.html) jeudi 3 février 2011

Pour en savoir plus : HAHAHA 1ère partie - Un humour Polonais ?

Ne manquez pas aussi les expositions du Musée de la caricature et du dessin humoristique de Varsovie. Il se trouve dans la vieille ville, Ul. Kozia 11. Son site : www.muzeumkarykatury.pl

Et pour les nostalgiques : Le chef du gouvernement polonais en exil défie à la course le vieux Boles?aw Bierut, premier secrétaire du Parti polonais. Le communiste perd largement, mais le lendemain, à la Une de Trybuna Ludu (la voix du PC) : le camarade Bierut manque de peu la première place ! Le dissident réactionnaire lui ne finit qu'avant dernier !