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Jusqu'au 7 février Picture this Gallery consacre une exposition aux affiches de propagande chinoise des années 1950 aux années 1990. Christopher Bailey, le directeur de cette galerie hongkongaise, décrypte pour nous les grands principes de cette imagerie révolutionnaire qui continue d'influencer les artistes contemporains chinois.
Vous exposez une petite centaine d'affiches allant des années 1950 aux années 1990. Quelles grandes lignes peut-on retenir de l'évolution de la propagande chinoise pendant cette période?
Tous les gouvernements à travers le monde utilisent ce que nous n'aimons pas appeler la propagande. Ils ont tous des messages à communiquer et très souvent c'est aux affiches qu'ils ont recours pour les transmettre. Cela peut être "Arrêtez de fumer" ou "Pensez à la contraception" ou encore "Faites du sport". Si on regarde les affiches les plus anciennes de notre sélection, la plupart des messages sont de cet ordre. Des messages généraux qui traitent de l'éducation ou de l'hygiène, des consignes de sécurité dans les usines. "Soignez vos outils", "Veillez à ne pas vous blesser". Il n'y a pas de sous-entendus politiques.
Plus on avance dans les années 1960, plus on trouve des messages ultra-politisés. Le style artistique change également: on perçoit une influence des affiches soviétiques. Les posters russes ou ceux d'Europe de l'Est utilisent souvent des hommes aux corps puissants, musclés. On peut voir l'influence des Soviétiques rien qu'en regardant l'imagerie des affiches chinoises des années 1960. De nombreux personnages représentés n'ont pas les traits chinois mais le visage caucasien, alors qu'il s'agit bien de Chinois. C'est intéressant de voir que la Chine nationaliste, qui est à l'époque coupée du reste du monde et divulgue des messages anti-étranger pour fédérer et contrôler le peuple, a recours à une représentation qui donne à son peuple un air de ces mêmes étrangers qu'elle critique.
Les affiches les plus récentes de notre sélection mettent en scène Deng Xiaoping, artisan de la réouverture de la Chine et du retour de Hong Kong dans le giron chinois.
Que dire des slogans de ces affiches?
Les affiches avaient la plupart du temps des messages de courte durée, liés à des événements particuliers. Elles relayaient l'actualité politique. Elles n'étaient pas conçues pour durer. On retrouve par exemple des messages anti-russes lorsque la Chine et l'URSS se disputaient leur frontière. Quand Mao commença à purger le parti, on pouvait voir se succéder des affiches de Mao accompagné de l'un de ses acolytes puis, une fois celui-ci répudié, des affiches et des slogans visant directement à mettre en cause la crédibilité de cette même personne. Le meilleur exemple est Lin Biao. Après avoir joué un rôle majeur pendant la Révolution Culturelle, et avoir été un allié de Mao, il tombe en disgrâce. Les Chinois qui aimaient accrocher ces affiches chez eux ou sur leur lieu de travail avaient intérêt à suivre de près ces revirements. Il ne fallait pas se faire prendre avec une affiche vantant Lin Biao alors que celui-ci avait été radié. L'actualité politique était très dynamique à l'époque, les choses changeaient rapidement. Il fallait savoir suivre le vent.
Cependant, certains messages transcendant l'actualité politique reviennent aussi: entretenir un corps sain, défendre la nation, lutter contre les barbares impérialistes - qu'ils soient américains ou anglais - ou le modèle capitaliste, vanter le succès de la ferme collectiviste ou la puissance industrielle. On retrouve souvent les mêmes corps de métier représentés, ceux qui sont au c?ur de l'idéologie communiste: les paysans, les soldats, les ouvriers, les infirmières.
A qui toutes ces affiches étaient-elles destinées?
Les affiches étaient imprimées en très grande quantité. Parmi les détails inscrits en bas à droite de chaque poster on trouve souvent la date d'impression, le nom de l'imprimeur et le nombre d'exemplaires. Parfois il s'agit de dizaines de milliers, et parfois de centaines de milliers. Il n'y avait pas d'autre forme d'art à acheter à l'époque. C'était la seule imagerie populaire disponible. Les affiches étaient très bon marché, vendues quelques centimes de yuan seulement. 0,25 kwai. 0,50 kwai. Elles n'étaient pas distribuées gratuitement mais personne n'en tirait profit. L'argent couvrait probablement les frais d'impression, rien de plus.
Dans l'exposition, il y a deux posters qui soutiennent les émeutes de Hong Kong en 1967, pendant lesquelles une frange gauchiste de la population s'est soulevée contre le gouvernement colonial.
A ma connaissance il existe cinq ou six affiches traitant de ce sujet, pas plus. Nous en exposons deux. Elles ont été imprimées en Chine, à Canton. A cette époque les impressions des affiches de propagande étaient très localisées. Les posters imprimés à Canton étaient uniquement distribués dans la province du Guangdong, ils n'étaient pas envoyés à Pékin ou ailleurs. Il en était de même des affiches imprimées à Shanghai, produites pour la région de Shanghai.
Canton était évidemment le lieu où produire des affiches traitant de Hong Kong où elles ne pouvaient bien sûr pas être imprimées. On retrouve ces affiches dans toute la province du Guangdong, près de la frontière hongkongaise. Certaines sont arrivées jusqu'ici, probablement cachées sous le manteau. Nous savons cela car nous avons retrouvé une photographie des protestations qui se tenaient à l'extérieur de China Products, un grand magasin chinois de Hong Kong, en 1967. Sur la vitrine du magasin est collée une de ces affiches, preuve que ces posters ont passé la frontière.
Ces affiches visant à soutenir la rébellion contre les Britanniques existaient-elles avant le soulèvement de 1967 ?
Non, elles n'ont été publiées qu'à l'époque des émeutes. Les affiches de propagande étaient toujours liées à une situation politique spécifique. Le gouvernement chinois cherchait à profiter de la rébellion pour déséquilibrer les Anglais. Il soutenait les manifestations. On retrouve cela également dans les livres publiés en Chine à ce moment-là qui insistent sur ces «impérialistes barbares qui tirent à vue sur les innocents dans les rues». La violence n'avait rien à voir avec ce que Hong Kong a vécu en octobre dernier.
A partir des années 1960, apparaissent aussi des posters au style beaucoup plus rudimentaire.
Avec la mise en place de la Révolution Culturelle et l'arrivée des Gardes Rouges on voit apparaître des affiches non officielles, qui ne relèvent pas d'une campagne gouvernementale. Elles sont imprimées dans des universités, des écoles, des usines, partout où il y avait une planche à impression. La qualité du papier est souvent très mauvaise, les couleurs se limitent au rouge et noir. Le style de ces affiches est beaucoup plus sommaire, la ligne graphique trahissant la simplicité et l'expressivité de la gravure sur bois, se rapprochant des illustrations qu'on trouve dans les livres.
Existe-t-il tout de même un modèle officiel ?
A cette époque, de petits livres expliquant quoi représenter et comment représenter étaient distribués à travers le pays. Pékin produisait ces livres qui comportaient par exemple une dizaine d'images de Mao, des directives visuelles et une ligne politique à suivre. Tout y était expliqué, jusqu'à la typographie. Il n'y a ainsi pas une affiche sans rouge, la couleur du Parti et de l'idéologie communiste. Les images sont aussi standardisées. On retrouve souvent les mêmes types d'une affiche à l'autre, par exemple la représentation d'un groupe d'hommes et de femmes, avec le bras levé, similaire à ce qu'on voyait en URSS. Le stylo ou le pinceau remplacent fréquemment l'épée, pour signifier que la puissance vient avant tout du mot écrit, de l'idéologie. Le Petit Livre Rouge est ainsi partout, serré contre le c?ur ou brandi. On ne peut pas courir un marathon sans tenir son Petit Livre Rouge!
Au-delà de la standardisation, peut-on y trouver des spécificités artistiques ou stylistiques?
Pas vraiment puisque chacun devait suivre les consignes édictées par Pékin. Il n'y avait donc pas beaucoup de liberté pour le concepteur de l'affiche. Ceci-dit, à une époque où les artistes ne pouvaient pas exercer librement leur art, dessiner des affiches était une façon de contourner cela, de continuer à créer, bien que ce soit très encadré. Certaines affiches portent le nom du dessinateur mais c'est assez rare. Sur les publicités shanghaïennes des années 1920 par exemple, on retrouve quasi-systématiquement le nom de l'artiste. Mais avec la Révolution Culturelle c'est l'avènement de l'ère du groupe. Il n'y a plus de place pour l'individu, pour l'expression subjective, pour la signature. Les gens avaient trop peur des camps de rééducation.
Qu'en est-il des spécificités provinciales ou ethniques?
On trouve un certain nombre d'affiches représentant les minorités ethniques de la Chine: les Tibétains, les Ouïghours, les peuples du Yunnan. Mao était préoccupé par les peuplades des provinces frontalières, surtout par la façon de les contrôler. Il voulait s'assurer que la propagande soit diffusée jusqu'aux confins de l'empire. On trouve des affiches des années 1960 avec une rangée d'hommes et de femmes représentant les 56 groupes ethniques de la Chine. Ils se tiennent sur la Place du Peuple, portant chacun le costume traditionnel de leur région. L'affiche rappelle que le pouvoir est derrière chacun, que tous, Han et minorités, sont égaux aux yeux du Parti. En tant que dirigeant d'un pays d'une telle taille, Mao savait que sa propagande devait aller jusqu'aux limites du pays. Comme les empereurs avant lui, il avait peur des débordements, des initiatives dissidentes. La déstabilisation du pouvoir central vient souvent des contours. C'est encore vrai aujourd'hui avec Hong Kong, Taïwan, le Tibet. Certaines affiches étaient également traduites dans la langue locale, en tibétain, en mongolien ou en ouïghour par exemple. La propagande s'adaptait à sa cible, représentant les minorités brandissant le Petit Livre Rouge, participant à l'effort collectif, suivant les préceptes du Parti.
Où avez-vous trouvé les affiches que vous exposez?
Etonnamment, notre principale source est l'Occident: les Etats-Unis et l'Europe, notamment l'Allemagne, l'Angleterre, la France. A l'époque la Chine développait également une propagande destinée à l'étranger. Ces affiches étaient envoyées par paquets et vendues ou distribuées, dans les librairies par exemple. Cela faisait partie de la campagne d'endoctrinement. Les affiches conçues pour l'étranger avaient un message spécifique centré sur le nationalisme, la célébration de la mère-patrie, ou les différentes festivités chinoises comme le Nouvel An. Les affiches aux slogans anti-impérialistes ou mettant en scène le culte de Mao ne s'exportaient pas. Notre deuxième source est les collectionneurs, ici à Hong Kong. Nous avons organisé une première petite exposition l'été dernier et depuis les gens viennent à nous pour nous proposer des affiches qu'ils ont amassées au cours de leur vie. Nous en trouvons également en Chine.
Comment s'est opérée la sélection pour l'exposition?
L'exposition que nous avons organisée ne se veut pas exhaustive. Nous avons sélectionnés les affiches selon différents critères, le premier étant l'état de conservation. De nombreuses affiches sont faites avec du papier de très mauvaise qualité, certaines sont déchirées, tachées, abimées. Nous ne les avons pas retenues. Par ailleurs, nous avons porté une grande attention au style graphique. Le travail artistique n'est pas toujours très intéressant. Nous avons choisi des affiches dont l'esthétique était forte ou bien dont le message avait une portée historique.
Comment ces affiches sont-elles aujourd'hui perçues?
Cela dépend. Les gens s'intéressent soit à l'idéologie, soit au caractère historique de ces affiches. Ces posters tiennent une place particulière dans l'histoire culturelle de la Chine contemporaine. Elles ont longtemps été le seul moyen de s'exprimer artistiquement. Elles ont grandement influencé les artistes chinois contemporains, autant par leurs couleurs que par leur style: on retrouve dans l'art d'aujourd'hui la couleur rouge, les corps puissants des fermiers et des ouvriers, le drapeau. Si on regarde l'art chinois qui précède l'arrivée de Mao, il n'a rien à voir. L'art contemporain chinois est nourri de propagande révolutionnaire, même lorsqu'il s'élève contre celle-ci. Notre exposition attire toutes sortes de gens. Mao est devenu une personnalité Pop. C'est l'effet Warhol. Pourtant les affiches qui séduisent le plus ne sont pas celles consacrées au culte de la personnalité. Les gens semblent aimer le style propagande plutôt que le culte de Mao. Certains posters sont d'ailleurs très travaillés, avec une gamme riche de couleurs pastel, un style plus pictural, plus proches de l'ère pré-communiste, rappelant les publicités des années 1930 représentant de belles Shanghaïennes.
Propos recueillis par Laure Phelip (www.lepetitjournal.com/hongkong) mardi 3 février 2015
Infos pratiques: REVOLUTIONARY FERVOUR - An exhibition of vintage original Chinese propaganda posters |