Lorsqu’un diagnostic de cancer surgit, il frappe une personne… mais il bouleverse tout un système. Le couple, la famille, l’intimité, les projets : rien n’en sort indemne. En octobre, mois de sensibilisation au cancer du sein, on met en lumière la maladie, la résilience, la prévention, la féminité face au traitement. Mais il reste une silhouette discrète, essentielle et pourtant rarement nommée : celle de l’accompagnant·e. Celui ou celle qui soutient, réconforte, organise, porte. Et s’oublie, souvent.


Par Cyrielle Augier – Thérapeute de couple et sexothérapeute (@lateliersexo)
Le silence de celui/celle qui tient
Le 6 octobre a été célébrée la journée mondiale des aidants. Être accompagnant·e, c’est être à la fois présent·e de façon inconditionnelle et invisible socialement. On félicite le courage de la personne malade et c’est légitime, mais on ne voit pas toujours l’épreuve intime de celui/celle qui veille à ses côtés. Peur constante, tension émotionnelle, fatigue accumulée : l’accompagnant·e vit une expérience de choc prolongé.
Très souvent, il/elle s’interdit de dire ce qu’il/elle traverse. Pourquoi ? Parce que cette phrase revient, culpabilisante et ravageuse : « Ce n’est pas moi qui suis malade, donc je n’ai pas le droit de me plaindre » Alors, on ravale ses émotions. On met sa peur de côté. On soutient, sans relâche. On devient « fort·e » pour deux.

Less hommes accompagnants, profondément engagés, solides, présents, admirables dans leur loyauté
L’épreuve dans l’épreuve pour les femmes
En France, 58 à 62 % des proches aidants sont des femmes (DREES, 2024). Elles sont plus nombreuses à réorganiser leur vie, leur carrière, leur temps pour soutenir un conjoint malade. Mais du côté du cancer féminin, notamment du cancer du sein, un chiffre dérange : une étude publiée dans Cancer Journal a montré que les hommes sont jusqu’à 6 fois plus susceptibles de quitter leur compagne après un diagnostic grave, comparativement aux femmes.
Ces données ne doivent pas alimenter une guerre des genres. Elles éclairent plutôt une réalité sociétale : l’éducation émotionnelle et la responsabilité relationnelle pèsent encore davantage sur les épaules des femmes. Elles restent, elles tiennent, souvent au prix de leur propre santé mentale. Mais il existe aussi des hommes accompagnants, profondément engagés, solides, présents, admirables dans leur loyauté. Ceux-là aussi souffrent en silence, écrasés par l’injonction à la force. Dans leur tête : « Je dois tenir. Je n’ai pas le droit de flancher. »
Une charge émotionnelle rarement reconnue
Être accompagnant·e, c’est vivre une lutte intérieure permanente :
- peur de la perte ;
- hypervigilance quotidienne ;
- solitude émotionnelle ;
- culpabilité d’être encore vivant·e, de rire parfois, d’avoir envie d’une parenthèse ;
- absence totale de droit au répit émotionnel ;
- confusion identitaire : « suis-je encore partenaire… ou devenu soignant·e ? »
Par loyauté, l’accompagnant·e s’efface, par amour, il/elle se tait par peur de fragiliser l’autre, il/elle cache ses propres émotions. Et parfois, il/elle s’oublie complètement.
La tendresse se crispe, le corps devient médicalisé, surveillé, cicatrisé. Le désir se tait.
Le choc financier : un tabou supplémentaire
On parle peu du coût du cancer, pourtant, selon la Ligue contre le cancer, 1 famille sur 3 en France rencontre une fragilité financière après un diagnostic. Baisse de revenus, arrêts de travail, dépenses liées aux soins non remboursés, transports, garde d’enfants… Le stress économique s’invite dans l’équation, et il devient un facteur d’usure supplémentaire.
Et l’amour dans tout ça ? Et la sexualité ? Le cancer ne touche pas qu’un organe, il touche l’intime.
Beaucoup de couples basculent dans une relation « fonctionnelle », tournée vers la logistique et la survie. La tendresse se crispe, le corps devient médicalisé, surveillé, cicatrisé. Le désir se tait. L’accompagnant·e, alors, n’ose plus toucher par peur de blesser, n’ose plus exprimer son besoin d’intimité par peur d’être perçu·e comme égoïste. Et pourtant, le besoin d’amour physique et émotionnel reste un besoin vital, pour continuer à exister.

Beaucoup témoignent d’une complicité nouvelle après l’épreuve. Un amour devenu lucide, plus vrai, débarrassé du superflu.
Accompagner sans se sacrifier : une nécessité, pas une option
survivre à cette épreuve, l’accompagnant·e a besoin d’une chose fondamentale : qu’on lui reconnaisse le droit d’être humain aussi. Le droit d’être fragile, d’avoir peur, d’être épuisé·e, d’avoir besoin d’aide. Prendre soin de soi n’est pas trahir la personne malade, c’est au contraire la condition pour rester présent·e dans la durée.
Ressources utiles
En France :
- Ligue contre le Cancer
- Association Française des Aidants
- Cafés des Aidants – groupes de parole nationaux
- Fondation ARC – soutien recherche et patients
- Plateforme "J’aide" pour aidants
International :
Et pourtant… certains couples en ressortent plus forts
Beaucoup témoignent d’une complicité nouvelle après l’épreuve. Un amour devenu lucide, plus vrai, débarrassé du superflu. Une communication plus sobre, plus sincère, une intimité qui se reconstruit après l’épreuve. Une hiérarchie des priorités qui fait place à l’essentiel et une complicité solide. Parce que l’amour ne survit pas à la perfection. Il survit au courage partagé.
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