Elles ont suivi leur conjoint à l’étranger et, un jour, leur couple a perdu pied…Trois femmes racontent comment l’infidélité a rendu leur expatriation amère. Des récits intimes pour briser un tabou et prouver qu’il est possible de se reconstruire.


Emma, Nadia et Alice*, expatriées ou de retour en France, ont accepté de nous partager leur expérience douloureuse d’infidélité. Leur objectif n’est pas d’accuser, mais de sortir du déni et d’éclairer d’autres conjoints sur une réalité trop souvent tue. Chacune de leur histoire est unique et ne prétend pas généraliser l’infidélité en expatriation, mais offre un éclairage précieux sur ses tenants et aboutissants.
Il y a une forme de pouvoir qui s’installe. Celui qui ne gagne rien - ou moins - se met spontanément en retrait. C’est ce que j’ai vécu.
Suivre en expatriation, mettre sa carrière entre parenthèses
Emma* quitte la France peu après avoir rencontré son mari : “Il a toujours eu de grandes ambitions professionnelles. Nous avons très vite quitté la France pour l’Europe, et vécu dans trois continents différents.” Diplômée d’une grande école de commerce, elle met sa carrière entre parenthèses pour fonder une famille. Alice* et Jules partent au Nigéria où ce dernier a trouvé un emploi. Sur le papier, les conditions sont rassurantes. Alice vient de mettre au monde un petit garçon. Dès le début, la vie est compliquée. La famille vit dans une maison au cœur d’un « compound » ultra sécurisé. Alice subit l’isolement et sa maternité. Une distance s’installe doucement.
Suivre son conjoint à l’étranger, c’est marcher sur un fil : une vie de funambule entre adaptation et effacement de soi
Nadia*, quant à elle, a suivi son mari pendant 25 ans dans 10 pays, avec un changement tous les 2 à 3 ans. Rebondir professionnellement est difficile : “suivre son conjoint à l’étranger, c’est marcher sur un fil : une vie de funambule entre adaptation et effacement de soi”. Malgré son expérience, la maman ne construit pas de carrière mais un ensemble d'activités qui occupent sa tête. En expatriation, Emma travaille un peu mais n’est pas rémunérée. Peu à peu, la dépendance économique et sociale s’installe insidieusement “nous étions organisés de manière traditionnelle : moi avec les enfants, lui avec son travail. Il voyait les nounous des autres et me disait : ‘Heureusement que tu restes à la maison.’” Elle n’a pas conscience du déséquilibre professionnel qui naît : “Il y a une forme de pouvoir qui s’installe. Celui qui ne gagne rien - ou moins - se met spontanément en retrait. C’est ce que j’ai vécu.” Le fil rouge du parcours de Nadia est aussi la dépendance financière : “Ce n’est pas une caricature mais une réalité. Dans certains pays, notamment l'Indonésie et la Chine, nous n’avons pas de “vrai visa” et, donc pas de compte en banque. Aucune transaction financière ne se fait sans que le conjoint salarié soit au courant. Au début, cela peut faire sourire. Puis nous réalisons combien cette situation peut être dangereuse et génératrice de secrets.”
Nous sortions beaucoup, entourés de femmes très séduisantes. C’était une pression énorme, sur le couple et sur moi. Il fallait être à la hauteur
Choc, retour, enfants… Ce qu'on ne vous a jamais dit sur l’expatriation

…et le couple se fissure en expatriation ou au retour
C’est aussi ce que vit Alice dans son “compound” au Nigéria. Jules participe à des parties de tennis ou de cartes et s’intègre auprès de la communauté expatriée. Par son extrême fatigue, ses angoisses maternelles, son manque de repères et de soutien familial, Alice vit un burn out maternel. Elle demande à son mari de rentrer en France. Jules continue l’expatriation et fait des allers-retours entre les deux pays. Au Moyen-Orient, les tensions sont palpables entre Emma et son mari. “Dans la ville où nous vivions, la tentation était permanente, les sollicitations nombreuses. Nous sortions beaucoup, entourés de femmes très séduisantes. C’était une pression énorme, sur le couple et sur moi. Il fallait être à la hauteur” . C’est après la naissance de leur troisième enfant qu’Emma perçoit un changement : “J’ai senti un détachement progressif. Je mettais ça sur le compte du travail et de la fatigue. Et j’ai découvert un jour sur Instagram qu’il échangeait avec des femmes rencontrées dans les pays où nous avions vécu”. De retour à Paris, la relation entre Alice et son mari s’abîme. Jules en veut beaucoup à son épouse d’être rentrés. La jeune femme découvre que son mari la trompe. Ils se séparent. “Il y avait beaucoup de ressentiment de sa part par l’expérience au Nigeria, et il estimait avoir le droit d’avoir une aventure. Nous ne communiquions sans doute pas assez, nous n’avons pas vécu la même expérience d’expatriation…” tente de comprendre Alice quelques années plus tard.
Un jour, une rumeur circule…et une carte de visite d’avocat tombe du sac. “J’ai commencé à tirer le fil. Je me suis pris comme une batte de baseball en pleine figure”.
En expatriation en Indonésie, le mari de Nadia s’absente plus souvent, fait attention à son physique, change de style vestimentaire. Des changements imperceptibles auxquels elle repense aujourd’hui. Un jour, une rumeur circule, une intuition naît en elle…et une carte de visite d’avocat tombe du sac. “J’ai commencé à tirer le fil. Je me suis pris comme une batte de baseball en pleine figure”. Il ne s’agit pas d’une simple aventure : c’est une double vie avec des projets. La trahison est totale. Son corps s’effondre. “Quelque chose s’est définitivement brisé, Une double vie détruit la confiance. Certaines deviennent boulimiques, d’autres tombent dans l'alcool. Moi, j’ai arrêté de nourrir mon corps. Toute mon énergie devait aller à mon cerveau pour trouver une stratégie. J’étais toujours cette funambule qui, après une tempête, devait rester sur le fil coûte que coûte.” Il faut quitter le pays tous ensemble pour éviter de perdre mes enfants “. Ils partent finalement dans un autre pays asiatique.
Selon Nadia, coach certifiée en divorce, il existe plusieurs formes d’infidélité : la tromperie ou le coup d’un soir (souvent pardonné, dit-elle), sans relation émotionnelle et la relation régulière ou double vie, la plus destructrice. “celle là veut dire qu’il y a un lien récurrent avec la même personne, avec des projets, des secrets, des mensonges et beaucoup de manipulation.”
lI m’a dit qu’il y avait eu une fois, pendant une période où nous parlions de divorce. Je n’ai jamais su s’il y en avait eu d’autres. J’étais perdue, sans repères.
Les questions que vous vous posez sur le divorce en expatriation

Après l’infidélité, se réparer ensemble…ou pas
Plusieurs mois passent après la séparation de Jules et Alice. Ils décident de suivre une thérapie. Le couple arrive finalement à reconstruire leur relation et à sauver leur mariage. En 2022, dix ans après l’expérience du Nigéria, ils repartent en expatriation, espérant avoir solidifié leur couple et leur famille. Pour Emma, c’est une fracture silencieuse. Confronté, son mari évoque d’abord des relations uniquement virtuelles, puis admet un écart : “Il m’a dit qu’il y avait eu une fois, pendant une période où nous parlions de divorce. Je n’ai jamais su s’il y en avait eu d’autres. J’étais perdue, sans repères. Je n’avais plus confiance en moi, je ne savais pas comment rebondir” Mais elle tient bon. La situation glisse alors vers une cohabitation distante. Elle relance sa carrière mais se heurte à une dure réalité : “Mon diplôme effrayait les recruteurs, mon parcours n’était pas linéaire, je n’avais pas de réseau”. Elle entame alors une reconversion. “Je travaille aujourd’hui, mais ce n’est pas suffisant pour en vivre.”
Je voulais revenir en Europe pour ne plus jamais dépendre d’un visa
Nadia aussi tient bon, pendant plusieurs années en expatriation en Asie puis en Europe. “Je voulais revenir en Europe pour ne plus jamais dépendre d’un visa”. Elle cherche du soutien auprès d’amies “toutes issus de cultures différentes, qui m’ont tendu la main : une Indienne, une Algérienne, une Sri-Lankaise, une Indonésienne... chacune m’a donné son regard singulier sur la fidélité, la vie de couple. J’ai observé ma situation à travers plusieurs prismes. Cela m’a aidée à prendre des décisions.” Un jour, son mari part en éclaireur en Russie pour un projet d’expatriation. “J’ai ressenti les mêmes signaux qu’en Indonésie. Cette fois, j’ai écouté mon instinct. Et j’ai dit stop.” confie-t-elle. Ils divorcent peu après, en 2022. Aujourd’hui, Emma - qui s’est longtemps sentie piégée et trahie -, vit sa vie de son côté. “C’est une forme d’équilibre, détaché mais respectueux. Je ne veux plus être invisible.” Si elle conçoit que cet équilibre est un trompe-l'oeil, l’ancienne expatriée s’accroche à l’objectif de rétablir une considération mutuelle pour préserver une co-parentalité solide : “Nous ne sommes peut-être plus un couple complet, mais nous pouvons essayer de retrouver un peu d’humanité dans le quotidien."
Beaucoup d’amies avaient peur que leur mari les trompe, surtout pendant les congés d’été. Certains expatriés appellent cette période “le mois de l’homme blanc”.
Séparation, divorce en expatriation : partir ou rester dans son pays d’accueil ?

L’expatriation, un terrain glissant pour la solidité du couple ?
Pendant leur expatriation, le thème de l’infidélité masculine est souvent revenu en filigrane. Emma se souvient que “beaucoup d’amies avaient peur que leur mari les trompe, surtout pendant les congés d’été, lorsqu’ils sont seuls, entre eux.” Certains expatriés appellent cette période “le mois de l’homme blanc”.
Certains cadres participent à une culture toxique : “les managers organisent des soirées avec toutes sortes de tentations. Et ça, c'est normal !”
L’expatriation est-elle un facteur déclencheur d’infidélité selon elles ? Pour Nadia il n’y a aucun doute, la réponse est oui. “En caricaturant un peu, le chef de famille obtient un gros poste, avec un gros salaire. Il se sent puissant, voire sur un piédestal. Cela peut faire tourner la tête. Et puis il y a cette “bulle d’exotisme”, dans des régions comme en Asie du Sud-Est où les codes sociaux et les cultures sont si différents. Tout semble possible, tout semble permis”. Selon la coach en divorce, il y a aussi l’environnement des affaires qui peut fertiliser l’infidélité : “les conjoints se retrouvent dans des quartiers et des repas business où la tentation est omniprésente et la solidarité est de mise”. Nadia dénonce un système de non-dits, où certains cadres participent à une culture toxique : “les managers organisent des soirées avec toutes sortes de tentations. Et ça, c'est normal !” Ses propos ont un écho sur les groupes en ligne d’expatriés aux quatre coins du monde, témoignant d’une réputation française “ Aujourd’hui une de mes camarades de classe à l’université américaine me demande si c’est vrai qu’en France les épouses acceptent sans problème que leur mari ait des maîtresses…” lit-on, ou encore “Je vis en Angleterre et tout le monde pense qu'en France on accepte sans problème, dans les 2 sens. Avoir des aventures extra conjugales fait partie de la vie française !”
Existe-t-il des statistiques sur le sujet ? Selon Isabelle Tiné, fondatrice du groupe Expats Nanas : séparées, divorcées qui aide les femmes de retour en France suite à un divorce survenu en expatriation, “il n’y a et n’aura jamais de chiffres sur l'infidélité en expatriation. Nous constatons que, même dans un groupe qui ose en parler librement depuis des années, lorsqu’il s'agit de récolter des données, c'est très compliqué… “ ajoutant que “l'infidélité prend plusieurs facettes et c'est en cela qu'il n'y aura jamais de chiffres.”
Je me suis sentie piégée par un modèle, pas seulement par un homme

Se refaire l’histoire pour n’être ni dans le déni, ni le tabou
L’infidélité en expatriation met les conjointes sous silence…ou pas. Si Emma a accepté de confier son histoire, c’est avant tout pour alerter : “On m’a souvent dit que j’étais trop émotive, trop possessive. Mais en fait, j’avais raison. Il faut écouter son intuition. Si on sent que quelque chose ne va pas, ce n’est pas juste de la jalousie. Ce témoignage est une façon de voir les choses en face, d’arrêter de faire semblant.” Aujourd’hui, elle a un conseil clair et répété : “Il faut toujours maintenir une autonomie financière ainsi qu’une stabilité identitaire.” Le récit d’Emma réhabilite une parole souvent dévalorisée : “Je me suis sentie piégée par un modèle, pas seulement par un homme”.
Un sentiment largement partagé par Nadia. Au-delà de la blessure intime, ce qui la révolte aujourd’hui, c’est le système en lui-même qui fragilise ; celui des grandes entreprises qui envoient des familles à l’étranger, sans protection pour les conjoints suiveurs, souvent des femmes. “Nous avons des assurances pour les maisons, les voitures. Mais pour les conjoints ? Rien. Pourtant, on nous place dans une dépendance totale.” Pour Nadia, il faudrait penser - par exemple - à une assurance d'expatriation spécifique pour les conjoints dépendants du contrat salarié, elle qui s’est cassée les dents auprès des Ressources Humaines du groupe de son ex-mari “pour que l’on puisse rentrer si cela devient invivable. Ce serait le minimum”.
Conservez vos racines, vos ambitions, et vos ressources. Ne vous laissez pas effacer.
Aujourd’hui, Nadia est toujours en contact avec son ex-mari, mais uniquement pour les enfants. Elle a longtemps oscillé entre colère, haine, et finalement mépris. Elle a reconstruit une vie professionnelle - coach certifiée en divorce et agent immobilier - Mais la blessure est là : “Il ne s’agit pas que de se relever, mais de se redéfinir. Il faut recréer une nouvelle version de soi et souvent retrouver une activité professionnelle qui permettra de vivre car sans retraite. Après 50 ans, c’est double peine." Emma, quant à elle, veut transmettre absolument un message à ses filles et à celles qui liront son histoire : "Conservez vos racines, vos ambitions, et vos ressources. Ne vous laissez pas effacer."
*les prénoms ont été changés
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