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J. Deberre (MLF) : "L'enseignement à distance est là pour rester"

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Écrit par Déborah Collet
Publié le 3 juin 2020, mis à jour le 4 juin 2020

La crise sanitaire mondiale a fragilisé financièrement de nombreuses familles scolarisant leur(s) enfant(s) dans un des établissements français à l’étranger de la Mission laïque française (MLF). Jean-Christophe Deberre, directeur général de la Mission laïque française, revient sur les aides proposées aux familles, les conséquences de la crise sur l'enseignement et sur les enjeux de la rentrée de septembre.

 

Nous préparons la prochaine rentrée scolaire car nous sommes déjà tournés vers l’avenir.

Comment les établissements français de la Mission laïque française ont vécu la crise sanitaire ? 

Les établissements français de la Mission laïque française ont vécu cette crise à la fois comme une contrainte et comme un apprentissage. La continuité pédagogique s’est organisée dans chaque pays, de manière exemplaire. Tous les professeurs quels que soient leur niveau de pratique numérique et leur proximité avec l’établissement français y ont participé. Je ne dis pas qu’il n’y a pas eu de différences entre les professeurs, mais elles ont été corrigées par un gros effort collectif. Il n’y a pas eu d’interruption dans le programme scolaire, si bien que l'intégration des enfants dans la classe supérieure à leur niveau actuel sera tenue.

Nous avons observé une montée en puissance de la contestation des parents des élèves. Ils sont très inquiets par rapport à leur situation économique personnelle, l’échéance du second et du troisième trimestre. La majorité des parents d’élèves ont constaté qu’à partir du moment où les enfants étaient à la maison, leur participation dans l’enseignement à distance était nécessaire. Ils l’ont surtout souligné pour l’enseignement de l’école maternelle. Les tout-petits ont besoin de bien plus d’attention et de présence humaine que des enfants d’âges supérieurs. Cette présence humaine passe par leurs parents, leurs professeurs, leurs maîtresses ou encore les assistantes maternelles… Nous avons réussi à scénariser entièrement l’enseignement de l’école maternelle. Il faut tout de même un accompagnant à la maison, mais lorsqu’il y a un investissement fait par les parents, même par Internet, l’enseignement de l'école maternelle est praticable. Souvent, des parents d’élèves nous confient qu’ils sont satisfaits par ce que les établissements français de la Mission laïque française ont fait pendant cette crise sanitaire.

Nous préparons la prochaine rentrée scolaire car nous sommes déjà tournés vers l’avenir. Tout le monde s’interroge sur la suite des événements qu’il s’agisse des établissements français de l’étranger du Moyen Orient, des États-Unis, du Golf, du Maghreb ou encore de l’Afrique subsaharienne. Tout le monde aimerait savoir sous quelle forme l’École se tiendra à la rentrée : sera-t-elle tenue en présentiel ou sous forme hybride ? Sera-t-elle sous forme d’un enseignement entre le présentiel et le distanciel ? Certains pays prévoient d’ores et déjà de ne pas rouvrir les écoles. Nous devons nous préparer à toute éventualité. Les professeurs vont fournir un énorme travail dans les mois à venir pour permettre la reconstruction, dès début septembre, d’une scolarité quelle qu’en soit la forme.

 

Certains élèves ont témoigné qu'ils avaient découvert une nouvelle forme de relation avec les professeurs, peut-être plus personnelle.

Pensez-vous que l'enseignement à distance a permis d’assurer la continuité pédagogique ?

L’investissement du corps enseignant et le travail de mobilisation des équipes de direction de la Mission laïque française ont permis qu'il n'y ait pas de décrochage des élèves scolarisés dans les établissements de la Mlf. Les élèves de tous les niveaux se sont prêtés au jeu et ils ont été extrêmement actifs. Certains élèves ont témoigné qu'ils avaient découvert une nouvelle forme de relation avec les professeurs, peut-être plus personnelle. Ils nous ont confié que néanmoins l’enseignement à distance ne remplaçait pas l’école traditionnelle avec les copains et les copines. Nous avions une grande incertitude sur le concept de l’accompagnement personnalisé (AP), issu de la réforme du collègue. Quand l’école n’est plus obligatoire, il faut aller chercher les élèves à la maison. Dans ce cas précis, les professeurs sont obligés de déployer des trésors de conviction, de recherche de proximité et de dialogue avec les élèves.

Nous savons que l'enseignement à distance est là pour rester. Les élèves garderont en mémoire cette séquence et ils seront plus exigeants sur le modèle relationnel avec leurs enseignants. Les parents, quant à eux, exigeront une plus grande proximité avec l'école. Ils souhaitent savoir ce qui s’y passe et y être associé. Dans ces trois dimensions-là, le métier d’enseignant doit être renforcé et redéfini.

 

L'État français a annoncé des aides publiques pour soutenir les établissements français à l’étranger. Ces mesures seront-elles suffisantes pour prêter main-forte à l'enseignement français à l’étranger ?

L’État français s’est toujours préoccupé de l’avenir du réseau scolaire français à l’étranger, mais c’est la première fois qu’il prévoit des moyens financiers exceptionnels pour l'accompagner. De par ces mesures, l’État joue son rôle de redistributeur de moyens d’urgences afin d’aider les établissements français l’étranger, payer les professeurs et faire un geste en direction des familles des élèves.

Pour le moment, l’État français procure une avance budgétaire à l’Agence pour l'enseignement français à l’étranger (AEFE) ce qui induit des remboursements. Mais à quel moment et par qui ce prêt sera remboursé ? La précision de cette aide entraînera ou non son utilisation. En tant que Mission Laïque nous sommes partenaires avec l’État et nous avons participé  à toutes les discussions. Si les aides de l’État n’aboutissent pas sur un remboursement rapide des familles alors nous les prendrons. Elles ne doivent pas faire "peser un risque" sur les établissements français à l’étranger. Nous comptons en tirer un bénéfice pour les établissements et pour les familles.

 

Nous n’augmenterons pas les droits de scolarité pour 2020-2021, partout où cela est réalisable.

Quelles sont les mesures annoncées par la MLF pour aider les familles des élèves ? 

Nous étions les premiers à prendre des mesures avant même que la puissance publique ne décide d’agir. Il nous a semblé que dans des circonstances aussi exceptionnelles, il y aurait un effet retard dans l’apparition de la réalité. Pour nous, la réalité va apparaître au mois de septembre.

Nous proposons trois mesures qui visent à soulager les familles, à éviter la déscolarisation d'élèves et à faciliter les réinscriptions. Nous donnons la possibilité aux parents d’élèves d'étaler leurs paiements du troisième trimestre. Naturellement, nous réinscrivons les enfants scolarisés cette année pour l’année suivante lorsque les parents ont validé cette somme ou lorsque tous les engagements ont été pris. Certains parents ont dit que nous étions menaçants mais c’est faux. Je tiens à dire que toutes les situations sont accueillies. L’intérêt de la Mission Laïque française est d'avoir des élèves dans ses établissements. Nous ne sommes pas là pour menacer les parents, mais pour leur dire "vous êtes des partenaires de l’école, faisons en sorte qu’elle puisse s’ouvrir dans les meilleures conditions." 

Nous avons fait fonctionner les bourses de solidarité internes aux établissements. Par exemple, en Espagne, de nombreuses familles dont les revenus relèvent de professions touristiques sont affectées. Elles font face à de grandes pertes de chiffre d’affaires. Nous devions absolument les aider pour que leurs enfants puissent être rescolarisés dans un des établissements français à l’étranger. Nous avons délivré des centaines de bourses en Espagne et désormais au Maroc en faveur des familles.

Nous avons indiqué que nous n’augmenterons pas les droits de scolarité pour 2020-2021, partout où cela est réalisable. Ils resteront donc à leur niveau antérieur. Chaque année, les coûts scolaires ont tendance à augmenter et c’est beaucoup de frais pour les familles. Au Liban, par exemple, nous n’augmentons plus les frais de scolarité depuis plusieurs années à cause de la situation extrêmement grave du pays.

 

Nous devons préserver la confiance entre les établissements et les familles, qui peut être parfois abîmée en temps de crise.

Craignez-vous des désinscriptions d’élèves pour la rentrée scolaire ?

Nous pensons qu’au Liban, de nombreux élèves vont se désinscrire avant la prochaine rentrée scolaire. Les écoles privées constituent 70 % du système scolaire libanais et elles vont être durement affectées, qu'elles soient confessionnelles ou laïques. Nous savons d’ores et déjà que nous allons assister à un des événements les plus marquants que l’enseignement français à l’étranger ait connu. La francophonie au Liban est pourtant un fait très ancien. 

Nous sommes également inquiets pour nos établissements français présents aux États-Unis. Les conséquences de la pandémie de Covid-19 font qu’ils perdent des élèves, même dans une nation présumée être la plus stable économiquement.

Nous devons préserver la confiance entre les établissements et les familles, qui peut être parfois abîmée en temps de crise. Ce n’est pas un manque de confiance pédagogique c’est une défiance qui vient du propre désarroi des familles. Tout doit être fait pour recoudre cette confiance et faire en sorte que chaque famille, avec des accompagnements, des facilités et des moyens supplémentaires, puisse garder leurs enfants dans ces établissements. Ce qui m’attriste le plus, ce sont tous les témoignages de ces pères et de ces mères qui disent "nous voulions cette éducation pour nos enfants et nous n’allons plus y arriver". Garantir une bonne éducation à nos enfants est quelque chose de précieux.