La semaine de la francophonie est l’occasion pour la Mission laïque française, première association indépendante actrice de l'enseignement français à l’étranger de manifester son attachement pour la langue de Molière. Face à la crise sanitaire actuelle, les établissements MLF (Mission laïque française) s’organisent pour offrir des enseignements francophones riches et diversifiés en ligne. Le Directeur général de la Mission laïque française, Jean-Christophe Deberre répond à nos questions.
Kinshasa est devenue la première ville francophone du monde. Comment accompagner ce rayonnement de la langue française au niveau international ?
La présence de la langue et de la culture françaises passe par l’école, c’est d’ailleurs notre vocation: assurer par l’éducation le développement dans le monde de la langue et la culture françaises.
Le réseau de mobilité scolaire sert à tous les francophones, même si à l’origine, il a été créé pour les expatriés. La MLF scolarise depuis toujours une majorité d’enfants nationaux qui viennent de pays francophones ou qui souhaitent fréquenter la francophonie. C’est un lien étroit entre l’école, la langue et la sensibilisation d’un public étranger à la force du message scolaire français à l’international. Nous ne pouvons plus penser, en tant que Mission laïque française, que la présence dans le monde d’un établissement français peut être la transposition du modèle français placé dans un pays étranger. Le but est d’aller plus loin et de faire passer un nouveau message. La langue française ne peut être représentée toute seule dans l’éducation d’ un enfant qui rentre à l’école à l’âge de trois ans et qui la quitte après le baccalauréat. Pour cet enfant, et pour une partie croissante de ceux qui nous fréquentent, il ne se rendra pas, pour la fin de ses études, dans une école d’enseignement francophone, mais dans une université nationale ou dans une université anglophone. D’où un enseignement en trois langues, vers lequel tend notre offre
Dans un contexte qui n’est pas francophone, il faut à la fois penser à l’adaptation au contexte local et à la mobilité post-baccalauréat. Ces contextes modifient considérablement la façon de diffuser le programme français à l’international. Les modifications à apporter sont, d’une part, d’intégrer des parties de l’enseignement national dans l’enseignement francophone, et de l’autre, de préparer les élèves à se diriger vers des établissements francophones pour leurs études supérieures..
Le monde nord-américain souligne cette évidence. Quand vous observez les États-Unis, la désaffection pour l’enseignement français intervient dès la fin de la classe de troisième, au moment où les parents commencent à réfléchir aux études supérieures de leurs enfants. Ils privilégieront l’enseignement américain sur l’enseignement français pour ne pas compromettre leur chance d’évolution dans le système.
Comment la Mission laïque française participe à l’objectif fixé par Emmanuel Macron de doubler le nombre d’élèves scolarisés dans l’enseignement français à l’étranger ?
Cet objectif, fixé par le gouvernement français, est un engagement fort. Pour la première fois, on a placé l’enseignement français à l’étranger comme une pièce essentielle du dispositif de la francophonie. Il y a plusieurs considérations à prendre en compte. La meilleure façon de défendre ce message est de ne pas rentrer dans un système de comptabilité du nombre des enfants présents dans l’enseignement français homologué, c’est à dire, reconnu par l’éducation nationale française. La vision à adopter est plus large, il faut inclure les dispositifs de langues bilingues où la langue française a toute sa place. Il faut éviter de s’enfermer dans le seul enseignement français et apprécier le développement de la présence de la langue française dans l’éducation dans le monde. Par exemple, en Égypte, au Maroc, et en Afrique francophone, l’héritage du français et la présence de la langue sont importants. Mais l’enseignement du français tel qu’il est construit en Afrique subsaharienne, atteindra rapidement ses limites parce qu’il est cher. Pourquoi cet enseignement français est-il cher pour des classes modestes ? Car il est encadré par des professeurs expatriés et que la classe sociale qui le fréquente est insuffisante pour imaginer un développement significatif de ces établissements français sur le même modèle.
Il faut donc accompagner cet enseignement homologué et s’intéresser à la coopération éducative, c’est-à-dire, travailler avec des établissements privés et publics qui souhaitent maintenir l’usage de la langue française dans leur programme et qui souhaitent garder un lien étroit avec la France. Ils ne veulent pas forcément être homologués, par choix ou par manque de moyens. L’avenir de cet objectif est le développement de la présence française dans le milieu éducatif et l’élargissement des horizons pour ne pas rester cantonné à l’enseignement homologué.
En quoi l’apprentissage scolaire par le biais d’outils numériques est intéressant ?
Dans le contexte actuel d’épidémie, si nous n’avions pas travaillé pendant cinq ans sur le développement de l’apprentissage par le biais d’outils numériques, nous nous retrouverions bloqués. Plus aucun de nos établissements ne fonctionne désormais à l’étranger. Au fur et à mesure des années, tous les établissement MLF monde se sont tournés vers le monde numérique. Dans chaque établissement et dans chaque réseau d’établissements, les modalités sont adaptées et nous sommes à peu près capables aujourd’hui d’assurer un enseignement français exclusivement avec les outils numériques.
Il existe deux sortes d’outils complémentaires. Il y a des ressources raisonnées, organisées qui permettent d’assurer une véritable transmission à distance de l’enseignement comme si les élèves étaient en classe. Par ailleurs, les enseignants formés pour un enseignement en présence, ont besoin de formation pour donner des cours à distance. Nous avons une plateforme, appelée "forum pédagogique" pour assurer un lien d’échange et de formation pour nos établissements du réseau MLF monde. Pour les semaines à venir, sur le même forum, un dispositif de formation accélérée a été organisé à destination des professeurs pour qu’ils apprennent à enseigner à distance. Ces formations ont été conçues à l’usage des aires géographiques, elles offrent un traitement raisonné des ressources et de techniques de transmission. Nous nous sommes posé des questions telles que : Comment évaluer ces enfants à distance ? Et comment créer les conditions de la meilleure production scolaire ? Notre objectif est que l’école puisse se reconstruire complètement à la maison. Au total, 600 professeurs sont mobilisés en formation chaque semaine, et les formations auprès des élèves sont disponibles tous les jours, 24/24h.
L’autre enjeu est de penser à l’avenir. De plus en plus de personnes, pensent que l’école que l’on connaît, avec ses murs, n’est plus l’école de demain. Depuis deux ans, nous travaillons sur la formation des ressources humaines, car nous savons que l’État français n’aura pas les ressources pour fournir un nombre suffisant de professeurs français présents à l’étranger. Nous devons construire de nouveaux modes d’articulation et d’intégration entre professeurs nationaux francophones et non-francophones. Une offre particulière pour chaque enseignant est mise à leur disposition pour leur permettre d’accéder à des formations complètes générales mais également très spécifiques par cycles, disciplines etc…. Ce travail est réalisé en lien avec des universités et instituts de formation français mais aussi étrangers francophones, notamment au Canada.
L’inclusion, c’est montrer la capacité de l’école à être un véritable intégrateur social.
Comment se fait l’inclusion des élèves des établissements du réseau MLF monde ?
À vrai dire, l’inclusion des enfants se fait presque naturellement. Chaque jour, mon métier me prouve que la motivation d’un élève pour pouvoir accéder à l’école et l’apprentissage est très forte. Que les élèves viennent de classes aisées ou modestes, ils se battent comme des lions pour y avoir accès, encore plus s’ils ne sont pas favorisés pour accéder à ces enseignements.
Un établissement français à l’étranger regroupe un mixte de cultures et de langues. Quand un élève de nationalité, de culture et de langue différente arrive dans cet établissement, il rentre dans des dynamiques d’apprentissage insoupçonnées. Il va développer une force d’adaptation et d’apprentissage accélérée pour pouvoir socialiser avec ses camarades.
Il faut que l’école soit inclusive pour les élèves handicapés ou à besoins particuliers. Et un petit étranger qui arrive doit être pris par la main et accompagné, de même qu’un élève avec un handicap doit se sentir bien accueilli et intégré. L’inclusion des élèves est accompagnée par la motivation des familles, du corps enseignant et de techniques telles que les modes d’accompagnement à faible effectif, les modes d’accueil et d’échange ou la prise en charge des élèves les uns avec les autres. L’inclusion, c’est montrer la capacité de l’école à être un véritable intégrateur social solidaire.
Le français est une langue, mais c’est avant tout une façon de transmettre des valeurs. Quelles sont-elles ?
Aucune langue ne porte plus de valeurs qu’une autre. Par contre, ce qu’il est intéressant d’observer, c’est l’appropriation de la langue française faite par les autres, par les sociétés et par cet archipel francophone, qui a une surface mondiale, et sur tous les continents.
La langue française accompagne une volonté de s’exprimer. Comment l’expliquer ? Sans doute parce qu’elle est enracinée dans l’histoire, associée à de grands moments du progrès humain. La langue française a forgé, pas seule, des messages forts qui ont conduit aux déclarations des droits humains par exemple. L’art, l’expression artistique, toutes les époques sont représentées par la langue française. Les créateurs étrangers participent à la multiplicité des usages de la langue française. Ils écrivent et créent ce qu’ils veulent, ce qu’ils sentent avec une très belle force et liberté; ce sont leurs valeurs qu’exprime la langue française.