Numérisation, formation des professeurs, soutien scolaire ou encore sécurisation des établissements, autant d’enjeux auxquels doivent faire face les établissements français à l’étranger. La députée de la 5e circonscription, Samantha Cazebonne, présente, dans cet entretien exclusif, les contours d’un amendement inédit dont pourront bénéficier l’ensemble des familles et établissements.
Tout le monde doit se sentir responsable
Suite à l’assassinat de Samuel Paty et à l’hommage dans les établissements français à l’étranger, vous avez écrit que les enseignants sont un rempart contre l’obscurantisme et l’extrémisme. Est-ce que « l’esprit français » évoqué par Jean-Baptiste Lemoyne est aujourd’hui en danger en France et à l’étranger ?
L’esprit français est en danger puisqu’on va aujourd’hui jusqu’à terroriser pour contester nos principes et nos valeurs. J’étais d’ailleurs en contact, il y a quelques minutes, avec l’Ambassadrice du Portugal qui nous expliquait toutes les mesures mises en place en ce moment pour protéger nos emprises françaises à l’étranger. Nous ne pouvons pas dire que nous sommes dans un temps serein, dès lors où nous sommes attaqués simplement parce que nous portons la liberté d’expression comme étendard.
Nous pouvons minimiser les risques dans les établissements par beaucoup de vigilance et de contrôle. Nous ne laissons pas rentrer qui que ce soit dans les établissements sans un contrôle d’identité. Par ailleurs, le gouvernement français a réinjecté 9 millions d’euros pour la sécurisation des Lycées français à l’étranger, et permettre des travaux d’aménagements si nécessaires. Il faut également surveiller les abords des établissements en demandant l’appui de la police en civil et en ne permettant pas les regroupements à l’extérieur du lycée. Il faut surveiller les réseaux sociaux. Tout le monde doit se sentir responsable. Il ne faut pas négliger certains signaux, même faibles. C’est par cette vigilance collective que nous déstabiliserons tous ceux qui veulent s’en prendre à nous.
Nous nous sommes nourris des témoignages des familles
Vous avez porté un amendement au projet de loi de finances rectificative 3 pour que des crédits soient affectés à des mesures concernant, je vous cite, « toutes les familles ». Avant de rentrer dans le détail de vos mesures, pensez-vous que les aides débloquées précédemment n’avaient qu’un impact limité ?
Je vous rappelle que l’enveloppe mise à disposition des établissements français à l’étranger était de 50 millions d’euros. Cette somme a déjà été répartie et dépensée pour moitié. Elle a permis de répondre aux situations d’urgence, qui mettaient les établissements en grande difficulté financière. Des familles devaient quitter le pays ou se retrouvaient dans des situations très compliquées. Elles ne pouvaient pas payer le troisième trimestre. Il a fallu combler ce manque notamment pour les familles étrangères qui n’ont pu bénéficier des bourses françaises.
Cela a permis à certaines familles de rester dans le système scolaire français et pour les autres que nous n’avons pas pu retenir, leur permettre de quitter l’établissement sans laisser de dettes. Cela a évité de reporter ces dettes sur les autres parents d’élèves ou de se servir de la masse salariale comme variable d’ajustement.
Ces mesures n’étaient pourtant pas suffisantes. Nous venons donc les compléter par un dispositif plus large et qui va indirectement aider toutes les familles. Avec une enveloppe de 15 millions d’euros, nous allons diminuer les charges des établissements à travers quatre postes : le numérique, la formation des enseignants, le soutien scolaire et la sécurité. Ces dispositifs ont été suggérés suite aux différentes interactions que j’ai eues auprès des associations de parents d’élèves dans ma circonscription mais aussi bien au-delà. Nous nous sommes nourris des témoignages des familles.
Il était nécessaire d’accompagner tous ceux qui n’ont pas pu l’être
L’accompagnement des élèves en difficulté est au coeur de votre projet. Est-ce que l’enseignement hybride accentue la fracture scolaire ?
Nous ne pouvons pas nier les évidences. Fort heureusement, un professeur en présentiel aura toujours plus vocation à aider son élève que lorsqu’il est à distance. L’aspect humain permet de voir si un élève est en difficulté ou de le ressentir par ses hésitations. Tout cela est tronqué derrière une caméra. Se concentrer derrière un écran est également difficile. Cela a mis un certain nombre d’élèves en difficulté mais c’est un moindre mal par rapport à l’absence totale de cours.
Toutes les familles n’ont pas non plus la chance de maitriser la langue ou d’avoir du temps à consacrer à leurs enfants de par leur activité professionnelle. Les familles ont beaucoup donné pendant le confinement, tout comme les professeurs. Nous ne pouvons pas leur demander de prendre des cours particuliers à côté parce que leurs enfants se trouvent en difficulté. Il était nécessaire d’accompagner tous ceux qui n’ont pas pu l’être et qui ont décroché.
Nous devons absolument rester performants
Parmi les mesures proposées, deux mesures sont liées à la numérisation de l’enseignement à savoir le renforcement de la capacité numérique des établissements et la formation des personnels à l’enseignement à distance. En quoi est-ce un enjeu majeur aujourd’hui ?
Les parents ont accepté de continuer à faire confiance au système éducatif français car il a su démontrer, par rapport aux autres, sa capacité d’adaptation. Même s’il y a eu des contestations, les familles ont été dans l’ensemble plutôt satisfaites. Mais nous devons absolument rester performants. Une adaptation des enseignants s’impose désormais car il n’est pas inné de maitriser ces nouveaux outils et d’adapter sa pédagogie en conséquence. Un professeur doit pouvoir aujourd’hui s’adapter à tout moment et faire travailler des élèves à la fois en présentiel et en distanciel. Cette gymnastique n’existait pas auparavant.
Pour l’instant, nous avons été compétitifs par rapport aux autres modèles éducatifs. Il ne faut surtout pas que nous nous fassions prendre de vitesse par d’autres qui investiraient beaucoup dans la formation des enseignants et nous dépasseraient. Les familles pourraient comparer et se détourner de notre système.
La sécurité au sein des établissements est également souligné. Quels sont les besoins des établissements aujourd’hui pendant cette crise sanitaire ?
Je salue ce qui a été mis en place par les établissements. Nous devrions cependant généraliser les masques transparents pour les enfants. Apprendre des langues sans ces masques est très difficile, en particulier pour les classes du primaire et de maternelle. Cet amendement a vocation à ce que les établissements puissent investir dans ce type de matériels. Nous répondons alors à deux objectifs : pédagogique et sanitaire.
Cet amendement démontre un changement de mentalités
L’AEFE a débloqué 15 millions d’euros pour ces mesures. Concrètement, comment les établissements pourront-ils recevoir ces subventions ?
J'ai demandé à l’AEFE de mettre en place les modalités. Un formulaire doit être rempli par les établissements qui doivent présenter les factures des frais engagés, à hauteur de 100000 euros, et demander un remboursement jusqu’à 30% des charges engagées et ce jusqu’au mois de juin. Ces frais ont de toute façon été engagés par les établissements à la rentrée pour acheter du matériel, aider des enfants en difficulté, mettre au norme l’établissement et former les enseignants.
Je souhaite souligner que cet amendement concerne tous les établissements homologués qui le demandent et pas uniquement les établissements en gestion directe. Auparavant seuls les établissements en gestion directe étaient aidés. Cet amendement démontre un changement de mentalités qui, il y a encore quelques années, n’aurait pas été envisageable.