Alors qu'une crise sanitaire sans équivalent secoue la planète, lepetitjournal.com est allé à la rencontre des députés des Français de l'étranger. Meyer Habib, député de la 8e circonscription, nous parle des conséquences de la pandémie de coronavirus pour les expatriés d'Europe du Sud, de Turquie et d'Israël.
C'est une véritable tragédie historique
Quelle est la situation dans votre circonscription ?
Meyer Habib - Malgré des situations nationales contrastées, la huitième circonscription des Français de l'étranger (Chypre, Grèce, Israël, Italie, Malte, Saint-Marin, Turquie, Vatican) est aujourd'hui une des plus touchées par cette épidémie de Covid-19 aussi inédite que meurtrière.
Je voudrais avoir un mot particulier pour l'Italie, pays martyr, qui comptabilise plus de 100.000 cas d'infection et plus de 10.700 morts en quelques semaines. Derrière les statistiques, ce sont des maris ou des épouses, des frères, des sœurs, des amis et des voisins. C'est une véritable tragédie historique. Depuis le début de l'épidémie, je suis de très près la situation en liaison constante avec nos autorités diplomatiques et consulaires. Mon suppléant et conseiller consulaire Alexandre Bezardin me tient informé en temps réel.
Je suis à l'écoute et en contact direct avec nos compatriotes qui résident en Italie, à qui j'ai adressé huit lettres d'information depuis trois semaines. J'ai reçu des centaines de messages d'interrogation, de témoignages mais aussi de remerciement. En ces temps difficiles, plus que jamais, il faut être présent.
En Israël, le gouvernement a pris très vite toute la mesure de la situation et adopté des mesures énergiques : confinement maximal, dépistage massif, fermeture progressive des frontières, contrôle des porteurs du Covid-19 par géolocalisation, mobilisation de la population. Aujourd'hui Israël est un exemple dans la lutte contre le Coronavirus. Alors que le taux de mortalité avoisine les 5% en Italie, en Espagne ou en France, pour le moment, il ne dépasse guère 0,2% en Israël ! Le pays a su transposer son savoir-faire en matière technologique et anti-terroriste dans la guerre contre le virus. Hélas, certains continuent à braver les consignes de confinement et de distanciation sociale, ce qui explique que le nombre de cas d'infection continue de progresser.
Dans le reste de la circonscription, globalement moins touché, la logique du confinement s'est imposée selon des rythmes et des portées différentes. Je tiens à saluer la réactivité des autorités grecques, qui ont pris par précaution des mesures fortes bien en amont (fermeture de établissements scolaires, interdiction des rassemblements...). En Turquie, déjà durement affectée par une crise économique et politique, l'épidémie monte en puissance et je crains que le pays n'ait pas pris des mesures assez fortes et que le système de santé turc ne soit pas parfaitement préparé.
Dans l'ensemble de la circonscription, je suis étroitement la situation locale au jour le jour et communique régulièrement avec nos compatriotes qui y résident.
La communication tant au niveau national qu'européen n'a pas été à la hauteur
Constatez-vous des difficultés particulières rencontrées dans certains pays par les expatriés ?
A l'exception de pays comme Chypre ou Malte, qui restent des communautés assez réduites en nombre, la grande majorité des Français de la circonscription sont des binationaux, qui résident de manière pérenne dans le pays.
Pour ces résidents permanents, la règle essentielle est le respect absolu des mesures adoptées par les autorités locales. A cet égard, j'ai mené – en complément de nos postes diplomatiques - un travail intensif d'information en direction de nos compatriotes à travers des lettres d'information jusqu'à deux fois par semaine. Dans un contexte réglementaire particulièrement difficile marquée par l'instabilité, j'ai pu constater à travers des centaines de messages, combien nos compatriotes étaient désorientés. La communication tant au niveau national qu'européen n'a pas été à la hauteur. Depuis des semaines, mon équipe est mobilisée pour apporter dans les meilleurs délais des réponses précises et à jour.
Avec le Secrétaire d’État Jean-Baptiste, nous – parlementaires des Français de l'étranger – travaillons quotidiennement via une plate-forme électronique pour répondre aux situations individuelles urgentes, par exemple le contact de médecins francophones capables de réaliser un premier diagnostic par téléphone en cas de symptômes.
Dans ce cadre, nous avons pu apporter des réponses efficaces à des problématiques concrètes comme faire adopter un moratoire sur les certificats d'existence par le GIP Union Retraite et le GIE Agirc-Arcco ou suspendre les trois mois de carence pour avoir accès à la couverture assurance maladie pour les expatriés de retour en France.
Je tiens également à saluer l'engagement de la directrice de la DFAE Laurence Haguenauer, le directeur de l'AEFE Olivier Brochet et évidemment nos personnels diplomatiques et consulaires ainsi que les élus des Français de l'étranger.
Le travail se poursuit aussi à un rythme soutenu au sein de la Commission des Affaires étrangères avec plusieurs téléconférences hebdomadaires et des auditions. Nous travaillons en liaison étroite avec la Task Force Coronavirus du centre de crise du Quai d'Orsay, qui nous tient informés en temps réel de la situation par pays.
Constatez-vous des problèmes de rapatriement pour les touristes bloqués sur place ?
Globalement, dans la huitième circonscription le rapatriement des touristes présents sur place n'a pas posé les problèmes les plus difficiles, notamment en comparaison avec d'autres circonscriptions comme la neuvième qui couvre l'Afrique du Nord et de l'Ouest ou la deuxième, englobant l'Amérique latine.
Toutefois, il a quand même fallu se mobiliser pour chaque cas et je tiens à saluer le travail accompli par le centre de crise du Quai d'Orsay et, encore, nos autorités diplomatiques et consulaires sur place.
Le problème concerne au premier chef la disponibilité des vols, avec la suspension ou la forte réduction des lignes aériennes. Dans certains cas, l'ensemble des vols en provenance ou en direction de la France ont été annulés. C'est le cas à Malte depuis le 25 mars, de la Turquie depuis le 27.
J'aurais aimé par exemple une initiative forte de l'Europe sur la chloroquine, traitement expérimental auquel je crois à ce stade
Des aides ont-elles été mises en place pour aider les entrepreneurs présents dans votre circonscription et pour qu'ils se protègent de cette crise sanitaire qui pourrait se prolonger en crise économique ?
La plupart des pays de la circonscription ont adopté ou annoncé des mesures fortes de soutien à l'activité économique.
Pour ne citer que quelques exemples,
- A Chypre, les autorités ont annoncé le déblocage de 700 M€ pour soutenir les secteurs économiques touchés, soit 3% du PIB. Sur le plan fiscal, elles ont décidé de baisser les taux de TVA et mis en place un régime de chômage partiel pour les entreprises qui auront perdu 25% de leur chiffre d'affaires ;
- En Grèce, le gouvernement a notamment décidé le report du versement de la TVA et des cotisations sociales pour les entreprises durement éprouvées et débloqué 10 Mds€ pour soutenir l'activité ;
- En Italie, le conseil italien a adopté le 16 mars un plan de soutien à l’économie de 25 Mds€. Parmi les mesures prévues, le décret autorise les entreprises à suspendre le remboursement de leurs créances et relève le montant des fonds mis sur pied pour aider le secteur privé à payer les salariés en état de chômage partiel. Sont également prévues des mesures spécifiques pour les secteurs stratégiques.
Je regrette que la réponse n'ait pas été plus vigoureuse au niveau européen. J'aurais espéré une solidarité plus forte et plus claire en particulier vis-à-vis de l'Italie, qui mérite tout notre soutien !
C'est vrai au niveau économique mais aussi sanitaire. La crise du Coronavirus a mis en évidence que l'Europe de la santé n'est pas seulement quasi-inexistante mais que le peu d'outils disponibles ne sont pas efficaces et/ou mal utilisés. Pour preuve les principales initiatives nationales ont été prises de manière dispersée, à l'exception de lignes directrices en matière de communication, de partage de données et des engagements limités en matière de recherche.
J'aurais aimé par exemple une initiative forte de l'Europe sur la chloroquine, traitement expérimental auquel je crois à ce stade. En toute modestie, même si je ne suis pas épidémiologiste ni médecin ou biologiste, les premiers résultats produits par les efforts de l'IHU de Marseille dirigée par le Professeur Didier Raoult sont très prometteurs. Face à l'urgence, le risque semble quasi-nul, le coût dérisoire et le bénéfice potentiel, immense !
Cette crise révèle de graves défaillances dans notre système de santé et de sécurité civile.
Quel message souhaiteriez-vous communiquer à nos lecteurs en cette période difficile ?
Tout d'abord, je voudrais adresser à tous nos compatriotes, où qu'ils résident, un appel au civisme et à la responsabilité. Je les implore de respecter scrupuleusement toutes les mesures de confinement et de distanciation sociale.
Soyons honnêtes, nul ne sait exactement où nous mènera cette crise sanitaire mais une chose est certaine, elle met à l'épreuve notre sens des responsabilités, notre discipline individuelle et collective et notre solidarité.
J'ai une pensée particulière pour nos seniors, qui sont les premières victimes de cette épidémie. Je ne peux me résoudre à accepter comme une fatalité ces milliers de morts. La morale, la grandeur d'une civilisation se mesure aussi au traitement qu'elle réserve à ses anciens. Ce sera une des leçons à tirer de cette tragédie. Au plan collectif, il faudra repenser notre système de santé et nos établissements sociaux type EHPAD. Au niveau des familles, une réflexion est nécessaire sur la solidarité inter-générationnelle.
Cette crise révèle de graves défaillances dans notre système de santé et de sécurité civile. L'heure n'est pas à la polémique mais, demain, identifier les manquements et établir les responsabilités. Je rappelle qu'au lendemain de l'épidémie de grippe aviaire H1N1, la France s'était dotée en 2007 d'un dispositif de protection ambitieux contre des pandémies – autour de l’établissement de préparation et de réponse aux urgences sanitaires (Eprus). Pourquoi ce dispositif a-t-il été progressivement détricoté quand bien même le risque était connu ?
Enfin, alors que nous entrons en période de pic épidémiologique, je voudrais lancer un message d'espoir. Dans certains pays d'Asie, la pandémie a commencé à reculer. Des tests encourageants ont été engagés pour mettre en place des traitements efficaces. Enfin, la recherche avance à grand pas sur le chemin d'un vaccin, notamment au sein de laboratoires israéliens. Cela va prendre encore du temps mais nous gagnerons la guerre contre le Coronavirus.
Enfin, il est certain qu'il y aura un avant et un après. Par-delà la souffrance du deuil et les conséquences économiques et sociales, je veux croire que cette terrible épreuve collective permettra d’accoucher d'un monde plus responsable et solidaire. La réponse sera politique à travers la mise en place d'un concept plus global de sécurité nationale, englobant la sécurité sanitaire et économique. Mais le défi est aussi individuel : de notre confinement, il nous revient à tous de penser ce monde d'après à la lumière de nos valeurs et nos priorités personnelles et collectives.