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Hasan Yelias, journaliste bangladais : “Les forces de l'ordre ont essayé de me tuer”

Depuis plusieurs semaines, le Bangladesh fait face à de violentes manifestations. Une situation critique dans un pays où les droits de l’Homme ne sont parfois pas respectés. Hasan Yelias, également connu sous le nom de Sarder Hasan Yelias Tanim, est un journaliste bangladais victime du régime autoritaire. Par crainte pour sa vie, il a fui le pays pour la France où il demande l’asile politique. Portrait d’un journaliste mené par ses convictions, au parcours semé d'embûches et de tragédies.

Hasan Yelias, journalisteHasan Yelias, journaliste
Écrit par Paul Le Quément
Publié le 29 juillet 2024, mis à jour le 29 juillet 2024

La situation sociale et politique au Bangladesh est préoccupante avec les récentes manifestations réprimées par la violence. Amnesty International suit “de près la situation des droits de l'Homme au Bangladesh et l'augmentation alarmante des attaques ciblées contre les journalistes et les défenseurs des droits de l'Homme.” En 2024, le Bangladesh est classé 165 sur 180 pays concernant la liberté de la presse selon Reporters sans frontières.  

 

Le 14 août 2011, la vie d’Hasan Yelias bascule. Il est pris dans un guet-apens et est agressé par “15 à 20 activistes de la ligue Chhatra”, la branche étudiante de la ligue Awami (gouvernement au pouvoir depuis 2009). Il est “frappé à la tête par une brique”, son “corps est meurtri”. Une agression qui est la conséquence directe du premier scandale qu’Hasan a révélé au grand jour : une affaire de trafic de drogue au sein de son université impliquant des personnes haut placées de l'établissement. 

Cette première injustice n’est que le début pour lui. Il poursuit une vie risquée en tant que rédacteur littéraire de l’université Rajshahi pour le Daily Amar Desh, un des plus grands médias du pays à l’époque. Alors même qu’il est dans ses études, il s'engage activement avec Odhikar, la principale organisation de défense des droits de l'Homme au Bangladesh. Suite à cette agression, Hasan a déposé une main courante contre les cadres de la ligue Awami, mais les sanctions sont inexistantes. Au contraire, Ruhul Amin Babu, dirigeant de la ligue étudiante en question, est nommé sous-inspecteur de police par le gouvernement. 

 

Ils ont mobilisé une force conjointe pour me tuer.

 

Un journaliste engagé et activiste 

Au fil de son parcours universitaire, Hasan va multiplier ses engagements pour se battre en faveur de la liberté de la presse et du droit des journalistes : “Mes écrits sont contre l’injustice, la partialité, l’illégalité. Ils sont en faveur de la vérité, de la justice et de l’humanité.” Il gagne en renommée article après article, mais aussi grâce à des nominations clé comme celles de membre de l’Union des journalistes de Rajshahi, trésorier de l’Association nationale des journalistes ou encore coprésident du 24e comité exécutif du club de presse de son université. Son statut de chroniqueur et journaliste de premier ordre dans le pays lui permet de fédérer : “Je construis un puissant mouvement de masse contre les actions illégales et antidémocratiques du gouvernement.” Cette opposition attire rapidement l’attention du gouvernement.

“Le gouvernement et les cadres du parti gouvernemental étaient furieux contre moi. Ils ont mobilisé une force conjointe (une combinaison de plusieurs sections des forces de l'ordre) pour me tuer”. Ils arrivent dans sa maison, sans mandat d’arrêt, mais aucune trace de Hasan. En revanche, ils s’en prennent à son frère qui lui ressemble énormément. Ils le torturent puis lui tirent dessus. Il meurt des suites de ses blessures. Quelque temps après, suite à une nouvelle descente dans sa maison, ses parents sont aussi torturés. 

 

Hasan Yelias, journaliste bangladais

 

Des agressions répétées envers Hasan et sa famille

Malheureusement, le décès de son frère est loin d'être la dernière agression dont Hassan et sa famille vont être victimes : “La brutalité de Sheikh Hasina et de son gouvernement a tari mes larmes et celles de ma famille, ainsi que celles des opprimés de tout le pays en tant que peuple du Bangladesh.” Malgré les violences et les menaces de mort, Hasan poursuit son métier de journaliste une fois son diplôme en poche. Il enchaîne les différentes rédactions en essayant de rester discret, jusqu’à exercer son métier secrètement : Dainik Alor Parash, banglasangbad24.com, Time News BD…

En 2016, Hasan écrit des articles “protestant contre la torture illimitée et les portés disparus” dont est, selon lui, responsable le gouvernement. Les représailles ne tardent pas : “Par la suite, le gouvernement a fait de son mieux pour me tuer”. Dès le lendemain, sa maison est brûlée et sa femme, enceinte, est torturée par “des terroristes du parti gouvernemental.” 

 

Ils ont soudoyé des médecins, forçant des patients à mourir en leur prescrivant des médicaments en trop grande quantité.

 

L’affaire de trop pour Hasan et sa famille

Pour accompagner son activité secrète de journaliste, il rejoint la société de médecine The Acme Laboratories Limited, en tant que promoteur. Il y reste assez longtemps, au point d’obtenir une promotion au poste de responsable de zone grâce à ses très bons résultats. Mais il était loin d’imaginer ce qu’il allait découvrir au sein de cette entreprise : “The Acme pratique des politiques de commercialisation illégales. Ils ont soudoyé des médecins, forçant des patients à mourir en leur prescrivant des médicaments en trop grande quantité. Tout cela pour des intérêts commerciaux sous les ordres du gouvernement.” 

Il apprend cette histoire par le biais de sa direction, qui lui demande d'être complice. Il refuse la proposition, entraînant alors la colère de ses supérieurs. Après quelques recherches, son employeur découvre ses activités “secrètes” de journaliste. Avec l’intuition que la situation allait dégénérer, Hasan part non sans avoir fait son travail de journaliste : “Je saisis la liste de tous les médecins qui acceptent des pots-de-vin de l’entreprise, dans l'intérêt du bien-être du peuple du Bangladesh. Puis, j’ai envoyé une lettre ouverte à divers médias détaillant les noms et adresses des médecins soudoyés.”

 

Hasan Yelias

 

Des représailles d’une violence inqualifiable

Les services de renseignement bangladais (DGFI) ont vent de cette affaire. Ils déposent une fausse plainte contre Hasan, mais pas seulement : “Pour me salir socialement aux yeux de la nation, sur instruction de la DGFI, une équipe a porté plainte contre moi pour détournement de fonds en écrivant de fausses fictions. Le 10 mai 2023, 2 affaires sont déposées devant le tribunal.” 

Les représailles ne se sont pas fait attendre : “Un grand nombre de membres de la force conjointe ont encerclé ma maison.” Mais Hasan n’est pas dans sa maison. Sur la suite des événements, il confie : “Ma femme a été soumise à un traitement si inhumain que j'ai du mal à l'exprimer... parce que l'honneur de mes enfants est en jeu. Elle a été admise à l'hôpital pour une tentative d'agression.” Suite à cette tragédie, il rend visite à sa famille à l'hôpital, sans savoir que la police l’attend. Il est arrêté puis torturé. Il parvient à s’enfuir après une panne du camion qui le conduisait vers une mort certaine. Hasan arrive seul en France le 9 juillet 2023 où il y demande l’asile politique. 

 

Je prépare un dossier contre le gouvernement devant la Cour Pénale Internationale.

 

La lutte continue, sur un autre continent

Aujourd'hui, Hasan est inculpé de trois chefs d’accusation, y compris un dossier déposé dans le cadre de la loi répressive sur la sécurité numérique de 2018. Une autre plainte a été déposée contre lui pour “avoir parlé dans les médias” de la situation actuelle au Bangladesh, qu’il qualifie de “génocide” : “En tant que journaliste et militant des droits de l'Homme, je suis l'une des personnes vivant à l'étranger qui condamne le plus ce génocide. J’ai été cité parmi les premiers noms de ceux dont les familles de journalistes sont pris pour cible. Tout cela, car j'ai joué un rôle actif dans la lutte contre le génocide perpétré par le gouvernement.”  

Il continue son combat depuis la France : “Je prépare un dossier contre le gouvernement devant la Cour Pénale Internationale.” Il s’exprime sur les différentes plateformes à sa disposition : réseaux sociaux, médias, youtube… Sa parole est entendue par des milliers de personnes notamment sur la chaîne youtube de UK Kasba TV. L’un de ses frères, Rokon Uzzaman, étudiant en médecine vétérinaire au Bangladesh, a été arrêté par les forces conjointes lors des manifestations en cours dans le pays. Malgré les violences dont lui et sa famille sont victimes, il continue son combat pour que la démocratie, les droits de l'Homme et la liberté de la presse soient rétablis au Bangladesh.

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