Édition internationale

Eleonore Caroit : « La voix de la France porte au niveau international » 

Eleonore Caroit est revenue à l’Assemblée nationale avec de nombreux dossiers et une actualité politique des plus étonnantes. « Notre pays a besoin de stabilité », nous a-t-elle rappelé avant le vote de confiance. La députée des Français d’Amérique latine et des Caraïbes engagée sur la défense des droits des Français de l’étranger se veut rassurante quant à l’avenir de la France : « Je pense que faire entendre la voix des Français de l'étranger dans le débat national est une richesse et encore plus dans les moments de crise. »

eleonore caroit, députée des Français d'Amérique latine et des Caraibeseleonore caroit, députée des Français d'Amérique latine et des Caraibes
Écrit par Damien Bouhours
Publié le 8 septembre 2025, mis à jour le 31 octobre 2025

(Note de la rédaction : cet entretien a été réalisé avant le 8 septembre et la démission du Premier ministre François Bayrou) 

 

Comment se passe cette rentrée parlementaire pour vous ? 

C'est une rentrée très inattendue, parce que même si nous sommes habitués à cette assemblée très divisée, avec 3 blocs et 11 groupes politiques, nous nous retrouvons avec un vote le 8 septembre qui n'était pas prévu et qui va forcer chacun à se positionner. C’est donc une rentrée très inusuelle, mais qui permet de clarifier un peu le positionnement de chacun par rapport au budget. 

 

Je suis convaincue que notre pays a besoin de stabilité et d'avoir un budget au 31 décembre

 

Vous avez été étonnée, justement, de cette décision de l'ancien Premier ministre ? 

Tout à fait, c'est une décision à laquelle on ne s'attendait pas et qui, en fait, engage la responsabilité de son gouvernement sur un constat du déficit de notre pays et de la nécessité de redresser nos finances publiques.

Évidemment, j'ai voté “pour”. Il est important de préciser que voter “pour” ne veut pas dire que j'endosse les orientations ou les propositions qui avaient été faites par le Premier ministre au cours de l'été, ni que je suis en train de donner une carte blanche au Premier ministre. Mais je suis convaincue, en revanche, que notre pays a besoin de stabilité et d'avoir un budget au 31 décembre. C'est la raison pour laquelle j'ai voté “pour” le 8 septembre.

 

la députée Eléonore Caroit

 

Les dépenses liées aux Français de l’étranger peuvent sembler superflues pour un nombre d’élus en France. Quels efforts pourraient être demandés sur le budget qui leur est dédié ?

 Les Français de l'étranger sont parfois difficiles à appréhender dans le débat national. Depuis que j'ai été élue en 2022, puis en 2023, et finalement à nouveau l'an dernier, je ne cesse de rappeler l'importance des Français de l'étranger et leur contribution à la France. Ce n'est pas une contribution purement monétaire, même si, en réalité, les Français de l'étranger investissent massivement dans notre pays.

Lorsqu'ils le peuvent, ils achètent un bien immobilier pour leurs enfants ou pour leur retraite. Ils gardent aussi des liens familiaux et affectifs avec la France qui se traduisent par des liens économiques. Et puis, ils font vivre ce pays par le tourisme, etc.

Donc je pense qu’il est important de bien rappeler quel est le rôle vertueux que jouent les Français de l'étranger dans notre pays, et aussi dans la promotion de notre pays à l'étranger. J'ai beaucoup défendu les EFE, les entrepreneurs français de l’étranger,  parce que je souhaite valoriser justement l'entrepreneuriat français à l'étranger. Pourquoi je vous dis tout ça ? Parce que je pense qu'on ne peut pas s'arrêter à des formules purement comptables ou arithmétiques lorsqu'il s'agit d'évaluer le coût des Français de l'étranger et leur apport. Et même si nous le faisions, nous serions largement bénéficiaires. 

C'est la raison pour laquelle, d'ailleurs, avec mon collègue Karim Ben Cheikh, j'ai déposé de manière transpartisane une proposition de loi pour les Français de l'étranger, afin de  rappeler quels sont leurs droits et leurs devoirs. Et puis pour sanctuariser, finalement, ce budget qui est vraiment très modeste par rapport à la totalité du budget de l'État, mais qui est soumis aux aléas des discussions budgétaires tous les ans. 

 

Nous pouvons réussir non seulement à sauver ce réseau, auquel je tiens tellement, mais aussi à le valoriser, et à le développer. 

 

Est-ce qu'il y a pour vous un besoin de réforme pour l'AEFE ? 

Je me bats donc pour que les services publics qui sont dédiés aux Français de l’étranger, puissent se maintenir. Il est très important que nous puissions préserver notre modèle éducatif du réseau AEFE. Je suis d’ailleurs un pur produit de ce réseau. Je peux vous dire que s'il n'y avait pas eu un lycée français à Saint-Domingue, je ne parlerais peut-être même pas couramment le français, et je ne serais pas aujourd'hui une élue de la nation. Je me battrai toujours pour que cela puisse être maintenu et protégé, ce qui veut dire aussi réformé.

Le réseau AEFE s'est souvent construit de manière empirique. Il y a les écoles partenaires, les écoles qui font l'objet d'une convention, donc les lycées conventionnés, et ensuite les EGD qui sont en gestion directe par l'État français. Il y a véritablement des formules très différentes, certaines qui marchent très bien et d'autres moins. Il y a aussi des statuts de professeurs très différents et ce qui manque parfois d’un peu de clarté et de visibilité. Il faut que ce système puisse être à l'équilibre financier sans que cela devienne un réseau d'écoles uniquement accessibles aux personnes les plus aisées.

L’équilibre est compliqué à trouver. Mais je suis convaincue qu'en prenant des décisions courageuses et en ayant un dialogue soutenu entre les deux agences de tutelle, à savoir l'Éducation nationale et le ministère de l'Europe et des Affaires étrangères, nous pouvons réussir non seulement à sauver ce réseau, auquel je tiens tellement, mais aussi à le valoriser, et à le développer. 

 

 

 

Nous avons en mémoire le succès du sommet Choose France. Est-ce que vous insistez auprès des Français de l’étranger pour qu’ils choisissent la France pour leurs investissements ? 

Cela fait six ans que grâce aux politiques que nous avons menées que la France est le pays le plus attractif de toute l'Union européenne pour les investissements étrangers. Et ce n'est pas un hasard. Les Français d'Amérique latine et des Caraïbes sont très souvent des entrepreneurs, qui ont justement cette envie de créer, d'innover, de trouver des solutions pour le monde de demain. Ils sont tentés par l'investissement en France et c'est pour cela qu’il est important aussi de les rassurer, et de nous assurer qu'il y a un climat de stabilité pour leur permettre d'investir.

 

Les Français attendent que nous sachions faire des compromis, comme dans d'autres démocraties parlementaires

 

Quels sont les défis auxquels font face les Français de votre circonscription ? 

Je pense que la situation politique en France préoccupe globalement nos concitoyens qui se demandent ce qui va advenir et comment nous allons réussir à nous sortir de ce qui semble être une impasse. Les parlementaires ont un rôle important à jouer. Et les parlementaires des Français de l'étranger tout autant. 

J’ai vécu plus de la moitié de ma vie à l’étranger. J'ai vécu des situations, y compris des situations de crise très compliquées. Je suis persuadée que la France possède énormément d'atouts pour réussir et pour réformer son modèle social, pour le rendre plus pérenne et plus viable. Je pense que faire entendre la voix des Français de l'étranger dans le débat national est une richesse et encore plus dans les moments de crise.

Les Français attendent que nous sachions faire des compromis, comme dans d'autres démocraties parlementaires. Nous assistons aujourd’hui à une forme de transition d'un régime très présidentialiste, dans lequel il y a deux blocs, l'opposition et la majorité, très clair et très défini, vers un autre modèle de gouvernance qui est beaucoup plus dans le consensus. Les Français de l’étranger ont besoin d'être rassurés sur notre capacité à construire des solutions.

Beaucoup d’entre eux veulent investir dans leur pays. Ils ont parfois des enfants qui reviennent en France. Ils veulent peut-être revenir pour leur retraite. Il est important qu'ils gardent un lien avec leur pays et soient informés de l’actualité politique. Pour ma part, je m'efforce de le renforcer en leur proposant des rencontres parlementaires lors de chacun de mes nombreux déplacements dans tous les pays de notre circonscription, et une visioconférence ouverte à tous le 1er samedi du mois, où nous revenons justement sur la situation politique du pays. 

 

La députée Eléonore Caroit

 

Quels sont vos prochains déplacements ? 

Je me déplace énormément parce rien ne remplace le contact en présentiel et le fait de se parler et de se voir. A part quelques exceptions, comme le Nicaragua, dont je dénonce le régime autocratique et dans lequel il m'est un peu compliqué de me rendre, j'ai fait le tour de la circonscription. Je m’y rends maintenant à chaque fois qu'il y a un événement particulier. Il se trouve qu’en septembre, il y a la première édition de la Semaine de France au Panama, que j'ai aidée à organiser et je me rendrai donc à Panama la semaine prochaine.

J'irai aussi en Colombie, en République dominicaine et au Costa Rica pour aller à la rencontre de nos concitoyens. Je me rendrai enfin à l’ONU en septembre pour l’entrée en vigueur du traité sur la haute mer, BBNJ.

 

En parlant de traité, travaillez-vous toujours sur le traité de libre échange avec le Mercosur ? 

Absolument. Nous l’avons vu cet été avec la guerre commerciale et tarifaire que nous impose le président Donald Trump. Il est évident que nous devons diversifier nos partenariats et reprendre la main sur un certain nombre d'accords.

En Amérique latine, nous avons des accords de nouvelle génération, qui prennent en compte l'environnement, qui sont vertueux, comme le traité avec le Mexique et le Chili. Et il y a le traité du Mercosur, qui est débattu et négocié depuis plus de 20 ans, et qui finalement, aujourd'hui, reste très largement insatisfaisant, parce qu'il ne garantit pas qu’il y ait pas de concurrence déloyale dans certaines de nos filiales qui peuvent être un peu fragilisées.

Il y a aussi une question de respect de normes environnementales, auxquelles je suis personnellement très attachée. C'est pour cela d’ailleurs que je n'avais pas voté la loi Duplomb. Je pense qu'à ce titre il est important non pas de dire que le traité tel qu'il est ne nous convient pas, qu'on ne commerce pas, qu'on ne fait pas de zones de commerce privilégiées avec les pays du Mercosur, mais qu'au contraire, il faut se remettre autour de la table et négocier des conditions qui nous soient favorables.

 

Vous avez récemment aussi parlé d'un sujet qui concerne aussi les deux continents, le narcotrafic, qui est un fléau en Amérique latine, mais aussi en France. Est-ce que vous pensez que les moyens administrés pour le combattre sont suffisants ? 

On ne pourra jamais combattre le narcotrafic tout seul. La meilleure réponse à ce fléau reste la coordination et la diplomatie entre États qui veulent coopérer. Il faut aussi être très clair là-dessus, il existe des narco-États qui, soit parce qu'ils sont très faibles sur le plan institutionnel, soit parce qu'ils sont complices de ces réseaux mafieux, ne nous permettent pas de coopérer et de travailler efficacement. Mais il y a quand même de nombreux pays, notamment en Amérique latine, qui sont prêts à coopérer. Je pense que nous devrions créer davantage de postes de magistrat de liaison en Amérique latine pour travailler sur ces sujets à la racine. 

 

La France peut aussi avoir une voix singulière lors de la gestion de crise

 

Vous êtes vice-présidente de la Commission des Affaires étrangères. Quels sont les dossiers prioritaires sur lesquels vous allez travailler en cette rentrée parlementaire ? 

Nous nous retrouvons dans une situation mondiale où des choses qui nous semblaient être une évidence, comme le multilatéralisme, comme les réponses coordonnées au niveau international, sont en train d'être complètement remises en cause. Cela est dû d'une part du fait de l'élection de Donald Trump, d'autre part à l'enlisement de la guerre en Ukraine, et puis la situation absolument dramatique au Proche-Orient. 

Je suis membre du conseil d'administration de l’Agence française pour le Développement et je vois à quel point l’aide publique au développement aujourd'hui est remise en cause. Je pense qu'il faut justement travailler pour renforcer la confiance des citoyens en ces instruments, et de fait, les rendre aussi plus efficaces. 

La France peut aussi avoir une voix singulière lors de la gestion de crise. Le président de la République a annoncé cet été 2025 que la France reconnaîtrait l'État de Palestine lors de l'Assemblée générale des Nations Unies. Et suite à cette déclaration, de nombreux pays, le Royaume-Uni, l'Australie, et la Belgique, ont annoncé qu'ils étaient prêts à faire de même. On nous dit tout le temps que la voix de la France ne compterait plus. C'est faux. Il y a un an, le Premier ministre espagnol avait dit la même chose, avec les Irlandais et d'autres pays européens, et cela n'avait pas du tout eu cet effet. Notre voix porte et il faut absolument que nous la soutenions dans un monde où les crises se multiplient.

 

Quels sont les dossiers qui vous animent en cette rentrée ?

Je me suis lancée en politique essentiellement pour deux choses. La première est de défendre les Français de l’étranger. J'ai vécu pratiquement toute ma vie à l'étranger, et je pense que cette identité est bien réelle. Je m'identifie beaucoup avec les Français qui vivent à l'étranger, qu’ils soient d'ailleurs expatriés dans un pays qui n'est pas le leur, ou alors binationaux. Je porte donc cette proposition de loi pour défendre les Français de l'étranger, leurs droits, et les inscrire dans le marbre.

Et la deuxième chose qui m'a poussée à rejoindre le monde de la politique, alors que j'étais avocate, est la prise de conscience réelle qu'il faut être dans la sphère publique pour agir efficacement pour l'environnement. Nous pouvons faire beaucoup de choses depuis le privé, les fondations font énormément, certaines ONG, associations militent et ont un rôle fondamental, mais si on veut véritablement avoir un impact, il faut à un moment donné en arriver à la norme, à la règle, et cela passe par l'action publique. Mon action se décline véritablement derrière cette boussole. J’ai beaucoup travaillé pour les océans, parce qu’ils sont le principal capteur de carbone et qu’il s’agit aujourd'hui d’une zone qui n’est pas régulée. Nous avons eu quelques victoires, mais il faut continuer.

J'ai lancé la coalition interparlementaire des députés de 80 pays dans le monde qui sont engagés pour la mer. J'espère élargir notre coalition et la faire vivre. Je travaille aussi beaucoup sur les enjeux d'accès à l'alimentation, que ce soit sur la souveraineté alimentaire, mais aussi pour une alimentation plus durable. Nous avons tort d'opposer agriculture et écologie. Les agriculteurs nous nourrissent, mais sont aussi les plus vulnérables aux changements climatiques. Nous devons travailler sur des systèmes plus vertueux.

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