Olivier L., chirurgien au Vietnam, Jean-Christophe Q., professeur en Thaïlande, François A, retraité en Indonésie, mais aussi Thierry D, humanitaire au Sri Lanka, en Tunisie et en Egypte, et Frédéric.D, professeur particulier au Cambodge… Tous ont deux points communs : Ils sont Français et abuseurs d’enfants dans le cadre du voyage ou du tourisme. Ils ont été arrêtés à l'étranger. Leur arrestation puis leur jugement ont été relayés dans les médias locaux et français, au moment où d’autres sévissent encore dans le monde. Nous avons retracé le parcours de l’un d’entre eux, au Cambodge.
Frédéric D. a 56 ans. Il est Français, originaire de Vierzon, et s’est installé dans une maison louée au nord de la capitale cambodgienne, dans le district de Russey Keo. Il travaille à son compte et dispense des cours gratuits d’anglais aux enfants du coin. Sa maison est accueillante et sa présence dans le quartier, bienveillante. Les parents sont contents, et les enfants reviennent apprendre l’anglais. Un jour, vers le mois de juin 2021, un résident du quartier s’interroge sur les va et vient d’enfants chez ce professeur et contacte la hotline d’APLE Cambodia. L’organisme, spécialisé dans la protection de l'enfance au Cambodge, envoie un enquêteur formé pour détecter les abus d’enfants. « Cette personne fait partie d’une équipe d’enquêteurs infiltrés que nous nommons les investigateurs de la protection de l’enfance » explique Seila Samleang, directeur de l’ONG APLE au Cambodge. « A partir d’un signalement, - comme celui de Frédéric D., à Phnom Penh - l'enquêteur collecte des informations « undercover » et vérifie si l’allégation est fondée ou non. Pour ce faire, il va, par exemple, interroger les victimes présumées, les familles, les témoins potentiels et observer le comportement de la ou des personnes suspectées. Cette équipe existe depuis plusieurs années. "En 2021, les investigateurs ont aidé la police dans 89 enquêtes et nous avons aidé 187 enfants victimes. » souligne Seila.
Des jeunes garçons, certains âgés de 8 ans, confient que Frédéric est « fun mais un peu collant », aime leur faire des câlins et les toucher pendant qu’ils jouent aux jeux vidéo.
Au Cambodge, les enfants pris dans la toile des prédateurs sexuels
Attouchements, masturbations et agressions sexuelles à huis clos
Une fois le dossier solide, l’investigateur se tourne vers la police pour qu’une enquête officielle soit lancée. N’ayant pas le pouvoir de stopper l’agresseur, il fournit les preuves récoltées, dans le respect de la procédure cambodgienne. Le professeur est en effet très apprécié dans le quartier, et gâte beaucoup ses élèves. Les mois passent, les langues se délient. Des jeunes garçons, certains âgés de 8 ans, confient que Frédéric est « fun mais un peu collant », aime leur faire des câlins et les toucher pendant qu’ils jouent aux jeux vidéo. Au début, « c’est amusant », mais, au fil des cours, des enfants racontent être touchés entre les jambes et contraints, à leur tour, de toucher l’entre-jambe de leur professeur.
le Français double les récompenses et les cadeaux coûteux. Les enfants reviennent et le jeu malsain à huis clos reprend.
Ils se souviennent aussi avoir été pris en photo à leur insu, nus dans la salle de bain. Des jeunes élèves évoquent des scènes de masturbation. Mal à l’aise mais ne comprenant pas forcément la gravité de la situation, certains décident de prendre leur distance avec le Français mais celui-ci double les récompenses et les cadeaux coûteux. Les enfants reviennent et le jeu malsain à huis clos reprend.
Dans le quartier, c’est d’abord le déni « Cela peut paraître fou avec le recul, mais peu d’enfants se sont rendus compte qu’ils étaient abusés par Frédéric D.
« Mi 2022, ayant obtenu assez de preuves, la police obtient un mandat d’arrêt du procureur, procède à l’arrestation de Frédéric D. et fouille sa maison. » se souvient Seila Samleang. La France est mise au courant que la police cambodgienne enquête sur un de ses ressortissants et collabore à distance. Dans le quartier, c’est d’abord le déni « Cela peut paraître fou avec le recul, mais peu d’enfants se sont rendus compte qu’ils étaient abusés par Frédéric D. Ils n’avaient pas conscience que toucher leur partie génitale était une agression sexuelle. L’abuseur a doucement préparé ses petites victimes à avoir des relations sexuelles. Il a fourni un environnement rassurant pour les familles et attrayant pour les enfants. Il contrôlait si bien la relation que lorsqu’il a été arrêté, les familles des présumés garçons abusés ont rejeté l’allégation et ont refusé de porter plainte, convaincus de son innocence. » précise Seila. Après le déni, vient le choc.
« Il m'avait offert un ordinateur, un téléphone, un vélo, des chaussures de sport et d'autres articles coûteux avant d'abuser de moi sexuellement.
Six garçons de 8 à 15 ans abusés entre 2019 et 2021
L’ONG accompagne les victimes et leur famille, au nombre officiel de six. Les témoignages des enfants se veulent de plus en plus précis et sordides : « J'ai vu d'autres enfants chez lui et ils étaient obligés de regarder des films sexuels japonais sur son ordinateur. Le lendemain, lorsque je suis revenu chez lui, il a commencé à abuser de moi sexuellement. J'avais peur d'en parler à mes parents. En même temps, j'avais l'impression que c'était normal parce que d'autres enfants le faisaient aussi » raconte Sam*. « Il m'avait offert un ordinateur, un téléphone, un vélo, des chaussures de sport et d'autres articles coûteux avant d'abuser de moi sexuellement.” raconte Leo*, impressionné par le pouvoir d’achat de l’occidental qui a engendré une relation déséquilibrée de pouvoir mais aussi d’emprise sur lui et ses amis : “J'étais reconnaissant pour ces cadeaux et je n'ai jamais soupçonné ses intentions abusives. J'avais l'impression de n'avoir personne vers qui me tourner pour me protéger. Je ne pouvais en parler à personne, pas même à mes parents, car il aurait cessé de m'aider » tente-t-il de justifier*.
« Sans pouvoir vous donner de détails bien sûr, nous enquêtons actuellement sur un agresseur allemand, un anglais, un américain…et un Français "
En septembre 2021, le tribunal municipal de Phnom Penh inculpe Frédéric D. pour actes indécents et relations sexuelles abusives avec six jeunes garçons de 8 à 15 ans. Le 9 juin 2022, le tribunal municipal de Phnom Penh prononce une condamnation de 5 ans d’emprisonnement à son encontre, avec expulsion du pays à l’issue de sa condamnation et obligation de verser environ 3.000 dollars de dommages et intérêts aux victimes reconnues. Sam est soulagé « Je suis heureux de savoir que mon agresseur sera expulsé du Cambodge, ce qui l'empêchera d'abuser d'autres enfants ici". Le combat de d’APLE Cambodia continue. « Sans pouvoir vous donner de détails bien sûr, nous enquêtons actuellement sur un agresseur allemand, un anglais, un américain…et un Français », espérant sauver d’autres jeunes victimes au plus vite.
*les prénoms ont été changés