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Frédéric Bordier: sauvegarder la biodiversité bolivienne avec La Cruz Verde

Centre de réhabilitation, La Cruz VerdeCentre de réhabilitation, La Cruz Verde
Écrit par Sophie Sager
Publié le 12 mars 2023, mis à jour le 12 mars 2023

Frédéric Bordier, expatrié suisse en Bolivie, vit dans la jungle depuis 5 ans et a ouvert “La Cruz Verde”, un centre de réhabilitation qui vient en aide aux animaux. Tout en accueillant 70% de volontaires en provenance de France, Frédéric essaie aussi de fournir des services de long terme aux communautés indigènes avec qui il travaille en étroite collaboration. 

 

Pouvez-vous nous expliquer votre parcours, d'où venez-vous et qu’est-ce qui vous a amené il y a 5 ans à vivre dans la jungle?

Après mes études d’hôtellerie, j’ai été directeur d’hôtels. J’ai eu de la chance d’avoir rapidement des opportunités dans ce secteur mais à 36 ans je n’avais toujours pas de famille. En voyant des amis faire des arrêts cardiaques à mon âge à force de travailler comme des fous, je me suis demandé si je voulais vraiment continuer à vivre ce rythme de vie effréné. J’ai répondu à ma question négativement. Lorsque quelque chose ne va pas, j’essaie toujours de réfléchir à une solution. 

 

Frédéric Bordier a créé La Cruz Verde

 

J’ai donc pris la décision de partir pendant 2 ans pour me retrouver, voir si j’avais d’autres opportunités dans la vie que l'hôtellerie. Au bout de mes deux années de voyage, j’ai voulu travailler avec les animaux car j’ai toujours aimé ça. J’ai trouvé le refuge Onca dans la jungle à Rurrenabaque en Bolivie. Etre en compagnie et animaux m’a fait comprendre  que j’étais doué dans ce domaine car ils m’acceptaient. 

 

Je voulais ouvrir un centre, mais il me fallait trouver un moyen de collaborer avec les indigènes afin qu’ils protègent aussi la jungle.
 

Je me suis rendu compte, en continuant à voyager par la suite en Afrique et en voyant les centres en Bolivie qu’il y avait beaucoup de constructions de centres privés. Les communautés indigènes et locales ne le comprennent pas. Ce sont des communautés pauvres et ne conçoivent pas qu’il y ait autant d’étrangers qui viennent pour dépenser de l’argent afin d’aider les animaux mais ne les aident pas elles. Les indigènes reçoivent aussi très peu d’aides du gouvernement. 

 

Je voulais ouvrir un centre, mais il me fallait trouver un moyen de collaborer avec les indigènes afin qu’ils protègent aussi la jungle.
 

Comment avez-vous créé La Cruz Verde? 

 

Frédéric Bordier est devenu indigène

 

J’avais compris qu’il fallait protéger les indigènes pour protéger la jungle si nous voulions arriver à des résultats environnementaux futurs. Un jour, quelqu’un m’a demandé pourquoi je ne les aidais pas dans le domaine de la santé. Je me suis tout de suite dit que c’était une excellente idée. Donc j’ai trouvé des solutions afin de donner une assurance santé à la communauté indigène. Elle, en contrepartie, me laissait administrer un terrain de 100 hectares en terre indigène. J’ai été accepté par 23 communautés dans la réserve de Pilon Lajas en tant qu’indigène. Dans leur loi, il est écrit qu’aucun étranger n’a le droit de vivre sur leurs terres. Ils n’allaient pas m’offrir quelque chose sans que je leur donne quelque chose en contrepartie. La vie fonctionne comme cela pour moi. C’est grâce à ce compromis que je n’ai pas acheté de terrain privé. 

 

Pouvez-vous nous en expliquer le but ?

 

 

C’est un projet unique au monde qui regroupe la préservation, l’éducation et l’assurance santé. 

La Cruz Verde est un centre de réhabilitation pour les animaux. Nous travaillons en étroite collaboration avec les indigènes. C’est un projet unique au monde qui regroupe la préservation, l’éducation et l’assurance santé. 

 

Mon objectif premier pour tous les animaux qui viennent au centre est qu’ils soient libres et heureux avec un maximum de sécurité. Mais je ne suis pas un centre zoologique, il peut y avoir des accidents. Vivre dans la jungle est assez compliqué. Je n’ai pas d’électricité, je dois me coordonner pour les achats, l’administratif tout en étant complètement déconnecté. Il faut comprendre que la vie ici n’est pas facile. 

 

Je sais que je ne vais pas changer le monde avec mon centre, mais j’espère qu’avec des projets comme le mien, un peu partout, on arrivera à faire évoluer la planète. 

Je voulais que le projet soit pérenne même lorsque je ne serai plus là. Voilà pourquoi je suis en train de mettre en place une école. On a déjà commencé les cours d’anglais pour les plus petits. Je vais organiser des cours de marketing, de comptabilité et d’environnement pour les 15-16 ans. 

 

Depuis le début, les choses se sont beaucoup améliorées, les indigènes ont désormais une clinique à disposition, ils ont un certain pourcentage du fonds de santé (financé par les volontaires) s’ils sont malades ou s’il y a une urgence. 

 

Je sais que je ne vais pas changer le monde avec mon centre, mais j’espère qu’avec des projets comme le mien, un peu partout, on arrivera à faire évoluer la planète. 

 

Quelles sont vos missions au quotidien?

Je dois organiser toute la gestion du centre. J’ai beaucoup de volontaires d’une semaine et comme nous travaillons avec des animaux sauvages, il faut expliquer les règles et les réexpliquer. Il faut vérifier que tout se passe bien, leur parler des animaux, organiser les tours. Il faut aussi travailler en accord avec la communauté. Organiser toute l’administration, la comptabilité, les achats, tous les échanges avec le ministère…

 

Je m’aide beaucoup des volontaires.

Tout ce qui tourne autour de l’assurance maladie prend également beaucoup de mon temps. J’échange avec les docteurs. Je ne m’y connais pas donc il faut que je trouve des idées pour que les fonds de santé augmentent chaque mois. Je cherche des collaborateurs comme les cliniques et des dentistes pour le futur. 

 

Une autre mission fondatrice du centre est l’éducation. Pour cela, nous mettons en place les cours d’anglais et surtout les projets de cours dans le marketing et la comptabilité que le centre mettra en place. Je ne suis pas professeur, je dois trouver des personnes qui me donnent des bons outils. Je m’aide beaucoup des volontaires. Ils ont pour la plupart étudié dans différentes branches et je me sers de leurs parcours uniques pour les domaines dans lesquels j’ai besoin d’aide.

 

En quoi le fait que vous soyez un expatrié vous a-t-il aidé ou peut être pénalisé pour ouvrir le centre ?

 

La Cruz Verde

 

Je n’ai vu aucun avantage à être étranger. A part peut-être d’être suisse donc j’avais un bon pouvoir d’achat en Bolivie. 

Mais là, j’ai une résidence de deux ans, ce n’est pas définitif. Cela me stresse car je peux tout perdre du jour au lendemain. 

J’ai dû me faire accepter par les communautés indigènes. Il fallait trouver les bons mots, pour me faire comprendre et prouver ma bonne foi. Ils ne me connaissaient pas. C’est au fur et à mesure que les personnes ont vu qui j’étais et m’ont accepté. C’était un travail de plusieurs années. 

 

Combien de temps durent les volontariats, quel genre de profils recherchez-vous et quelles seraient les tâches? 

Beaucoup de volontaires restent juste une semaine, mais pour ceux qui viennent plus longtemps, une année par exemple ou ceux qui reviennent, nous travaillons ensemble sur de plus gros projets. Les volontaires se sentent utiles, ils voient qu’ils aident la communauté et les animaux, ils ne s’ennuient pas.

 

Nous mettons toujours en priorité les animaux. Mais il y a beaucoup d’autres tâches, notamment pour aider la communauté. Par exemple, travailler dans un champ de canne à sucre sans produit chimique sans détériorer la terre. Le but est toujours de rester en harmonie avec la nature et de ne pas détériorer la planète.

 

Volontariats à La Cruz Verde

 

En fonction des études de chaque volontaire, si certains sont forts en comptabilité par exemple, je vais utiliser leurs compétences. Si d’autres sont bons en management de projets, ils m’aideront pour la gestion de nouveaux projets. Les volontaires donnent les cours d’anglais et donneront dans le futur des cours dans d’autres matières. 

 

Il est important de savoir que c’est un centre de réhabilitation. Les volontaires ne viennent pas pour avoir des contacts avec les animaux. Certes, il faut qu’ils passent une bonne expérience mais les animaux ne sont pas à leur disposition. Toute aide est la bienvenue. Tout le monde peut venir. Mais ce sont des conditions difficiles. Il n’y pas d’électricité et beaucoup d’insectes. Ce n’est pas le confort européen, il faut le savoir avant de venir.

 

Votre centre existe car il y a un réel besoin de protection environnementale en Bolivie. Où en est-on concrètement dans l’avancée de cette protection?

 

Le centre de réhabilitation La Cruz Verde accueille des singes hurleurs

 

Actuellement en Bolivie il y a 22 centres officiels et 18 en attente d’être reconnus. Je vois des centres qui ne peuvent pas libérer les animaux qui se retrouvent avec 12 hectares et plus de 1000 animaux et 73 espèces différentes. Cela n’aide pas la nature ni les animaux qui sont tristes et enfermés dans des cages. Pour rien au monde je ne leur souhaite cela.

 

C’est pour cela que dans notre réserve tous les animaux sont libres et sans corde. Malheureusement, j’ai compris que je ne pouvais que travailler avec une ou deux espèces par centre pour faire du bon travail. J’ai commencé avec les singes hurleurs car aucun des centres de la région ne voulait les accepter. Après une année de construction de centre, je peux dire qu’ils vont bien.