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Comment protéger les défenseurs environnementaux ?

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© SPDA
Écrit par Guillaume FLOR
Publié le 1 octobre 2020, mis à jour le 2 octobre 2020

L’assassinat de Roberto Carlos Pacheco, le 11 septembre dernier, a relancé la question de l’efficacité des mécanismes qui existent actuellement au Pérou pour protéger les défenseurs environnementaux.

Roberto Carlos Pacheco était le fils du défenseur environnemental Demetrio Pacheco, vice-président du Comité de Gestion de la Réserve Nationale Tambopata (Madre de Dios). Une des zones les plus dangereuses du pays pour les défenseurs environnementaux, où coexistent la déforestation illégale, l’exploitation minière illégale et le trafic de terres. Plusieurs fois menacés de mort de la part d’envahisseurs illégaux, leur appel à l’aide est resté sans réponse et la protection qu’ils demandaient n’est jamais arrivée.

Seulement en 2020, avec Roberto Carlos Pacheco, ce sont cinq défenseurs des communautés indigènes et de l’environnement qui ont perdu la vie pour avoir exercé leur travail de protection des ressources naturelles : en avril, Arbildo Meléndez Grándes (Huánuco) et Benjamín Ríos Urimishi (Ucayali), en mai, Gonzalo Pío Flores (Junín) et en juillet, Lorenzo Wampagkit Yamil (Amazonas). Une réalité douloureuse qui démontre bien que la défense des droits humains au Pérou est une question sensible et qui interroge, en ce qui concerne l’efficacité des mécanismes qui existent actuellement au Pérou pour protéger cette population vulnérable.

 

Une table ronde sur le thème « Comment assurer la protection des défenseurs environnementaux au Pérou ? »

Dans ce contexte, le parlementaire Alberto de Belaúnde a réalisé le jeudi 24 septembre 2020, une table ronde sur le thème « Comment assurer la protection des défenseurs environnementaux au Pérou ? » qui a réuni des représentants du secteur public et de la société civile, ainsi que cinq défenseurs environnementaux du pays qui ont une nouvelle fois décrit les menaces dont ils font l’objet.

Lors de cette réunion virtuelle, les intervenants ont rappelé l’importance de mettre en place des actions de protection pour les défenseurs environnementaux et de ratifier l’Accord d’Escazú.

 

 

Représentant le Comité de Gestion de la Réserve Nationale Tambopata, le défenseur de l’environnement Víctor Zambrano a souligné le fait que depuis 2009, la déforestation et l’exploitation minière illégales menacent l’intégrité des dirigeants de leur organisation, et que jusqu’à maintenant rien a été fait. « ‘La Defensoría del Pueblo’ est l’unique institution en laquelle nous avons confiance pour faire bouger tout le système. Nous avons lutté pour qu’existe une stratégie globale pour freiner les activités illégales. Nous avons dû exposer cette situation à des instances internationales, aux Nations Unies. L’assassinat de Roberto Carlos Pacheco nous démontre qu’il reste encore beaucoup à faire pour mettre en place des mesures préventives et de protection qui soient réellement efficaces » explique Víctor Zambrano.

De leur côté, des représentants du Ministère de la Justice et des Droits Humains, de la ‘Defensoría del Pueblo’, du Ministère de l’Environnement, mais aussi des organisations de la société civile comme la Société Péruvienne des Droits Environnementaux (SPDA), ont présenté les différents mécanismes qui existent actuellement pour protéger les défenseurs de l’environnement, tout en admettant qu’ils sont insuffisants et qu’il y aurait besoin de coordination.

« Nous avons besoin d’un engagement au plus haut niveau. Actuellement, le ‘Protocole’ est une norme sectorielle, les autres ministères ne se sentent pas concernés et seule une décision politique peut y remédier. Nous considérons nécessaire que l’Accord d’Escazú soit approuvé, nous avons besoin d’une meilleure coordination » a indiqué Percy Castillo, adjointe aux Droits Humains de la ‘Defensoría del Pueblo’.

 

Quelles sont les mesures qui existent actuellement pour protéger les défenseurs environnementaux ?

Cela fait un an et demi qu’a été approuvé, par le Ministère de la Justice, le « Protocole pour garantir la protection des personnes qui défendent les droits humains ». Jusqu’à aujourd’hui, il y a eu quatorze demandes d’activation de ce protocole, dont huit en relation avec la défense des droits environnementaux et des communautés indigènes.

« Le défenseur, sa famille, sa communauté ou une ONG peuvent demander que le protocole s’active pour que l’équipe procède à une évaluation du risque afin de décider une action de protection selon la gravité » explique le directeur général des Droits Humains du Ministère de la Justice, Edgardo Rodríguez, mais il précise par ailleurs que « ce que nous n’avons pas pu traiter, ce sont les cas antérieurs à la mise en place du protocole en 2019 ».

De plus, pour les cas qui ont surgi dans le contexte de la pandémie et l’état d’urgence sanitaire national, Edgardo Rodríguez admet un contexte de faiblesse institutionnelle. « Dans le contexte de la pandémie, pour les cas où l’accessibilité à la zone est difficile, notre protocole est en un sens désarmé ». Bien que les autorités produisent des normes qui cherchent à protéger le travail que réalisent les défenseurs des droits humains, dont les environnementaux, l’exécution effective de ces mesures rencontrent divers problèmes structuraux. « Une fois que quelqu’un est reconnu ‘défenseur’, on doit lui donner des garanties, c’est ça la logique, nous sommes en train de changer de logique gouvernementale, cela depuis un an et demi » rajoute-t-il. Pour lutter contre l’impunité, le Ministère de la Justice cherche à s’appuyer sur la défense publique et la police nationale sur place.

Concernant l’Accord d’Escazú, Edgardo Rodríguez a indiqué que sa ratification serait un bénéfice : « L’Accord d’Escazú serait un autre niveau d’intervention. Escazú est stratégique pour nous. Nous avons besoin d’une norme qui nous aide à faire un grand saut, ce serait une intervention gouvernementale commune et budgétisée ».

 

Accord d’Escazú, un traité qui reconnaît aux défenseurs des droits humains environnementaux et le besoin d’établir des mécanismes de protection

Escazú est un accord environnemental de participation publique pour l’accès à l’information et à la justice dans les affaires environnementales.

L’Accord d’Escazú a été adopté le 4 mars 2018 au Costa Rica. Il s’agit d’un accord régional puisqu’il a été ouvert à la signature de 33 pays d’Amérique latine et des Caraïbes le 27 septembre 2018 au siège des Nations Unies à New York.

À ce jour, il a été signé par 23 pays et dix d’entre eux l’ont ratifié : Bolivie, Antigua et Barbuda, Equateur, Guyane, Nicaragua, Panamá, Saint Vincent et les Grenadines, Saint Kitts et Nevis, Uruguay et désormais l’Argentine (24 septembre 2020). Il suffirait d’un seul pays supplémentaire à le faire pour que cet accord entre en vigueur.

Au Pérou, l’accord de Escazú (signé mais pas ratifié) est toujours dans l’attente de l’approbation de la Commission des Relations Extérieures du Parlement pour pouvoir y être débattu en plénière. Sur cette question, le pays s'est plongé ces derniers mois dans un débat animé entre les représentants de l’État et la société civile.

« Si le Pérou ratifie l’Accord d’Escazú, des obligations au bénéfice des personnes qui défendent les droits humains et environnementaux, seraient rapidement intégrées dans les lois péruviennes. L’État devrait alors mettre en place ou renforcer des mesures, dans le cadre du système légal, pour : Garantir un environnement sûr et propice à leur tâche / Protéger, reconnaître et promouvoir leurs droits fondamentaux / Prévenir, rechercher et sanctionner les actions qui vont à l’encontre de l’exercice de leur droit de défense » indique Katherine Sánchez (SPDA).

Ratifier l’Accord d’Escazú serait donc un moyen d’apporter des outils supplémentaires pour protéger les défenseurs de l’environnement. « L’Accord permettrait, en effet, de renforcer l’impact du ‘Protocole’ en exigeant une coordination de tous les secteurs de l’État, pour arriver à une logique de protection intégrale, préventive et efficace », conclue Katherine Sánchez.

 

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