Abandonner sa vie parisienne, ses amis, son job et une miraculeuse place en crèche pour son fils pour suivre son mari et se confronter à l'Inde, tel est le destin de l'héroïne d'Indian Therapy. A travers les consultations de cette jeune femme avec son psy imaginaire, la journaliste Juliette Tissot a écrit un roman très juste sur le monde des expatriés, parfois féroce, souvent drôle et émouvant.
lepetitjournal.com : Vous avez vécu plusieurs années en Inde. L'histoire de Sophie Perrotier, votre personnage, est-elle en partie la vôtre ?
Juliette Tissot : Contrairement à mon héroïne, je suis partie en Inde avec un métier, journaliste. Avec mon mari, nous avions passé 4 mois dans ce pays, lors d'un voyage autour du monde. Nous avons décidé de nous installer à New Delhi pour travailler. Je n'ai donc pas subi le départ. J'étais correspondante en radio et je travaillais pour un site internet. Pourtant la réalité s'est révélée complètement différente de ce que j'avais imaginé. Je suis partie sans me rendre compte des conséquences de ce départ, la rupture avec les amis, l'impact de ce pays sur la santé de mes enfants, les amitiés rapides et fortes avec des femmes rencontrées depuis peu? Assez vite, je me suis trouvée confrontée aux mêmes interrogations que celles qui abandonnent leur travail pour suivre leur mari et qui sont secouées par le choc culturel de la vie en Inde. Indian Therapy est un roman mais forcément, on y met du sien ! Contrairement au travail de journaliste, on n'est pas obligé d'être parfaitement factuel, on peut aller au delà de son propre ressenti et s'inspirer de personnages côtoyés.
Pourquoi ce livre ?
J'ai d'abord eu envie de faire le carnet de bord d'une femme expatriée, avec une satire de la vie d'expat. Quand on débarque de France, c'est un autre monde. Le quotidien en Inde et ses à-cotés comme le personnel de maison sont incroyables. Il y avait matière à raconter des petites chroniques. Au cours de l'écriture, je me suis rendu compte que mon héroïne allait mal. J'ai eu moi aussi des moments difficiles, et avec le recul j'ai pu observer des amies ou des connaissances qui sont passées d'un état dépressif, comme si toute leur vie était anéantie, à autre chose, une véritable renaissance, à l'aise dans leur vie indienne, tellement différente de la vie d'avant.
D'où les consultations de Sophie avec un psy imaginaire, le docteur Kumar?
Il n'y avait aucun psy francophone à Delhi, je me suis demandée comment on fait si on ne va pas bien. J'ai donc pensé inventer ce docteur, une bonne façon pour Sophie de s'adresser à quelqu'un et de parler de l'Inde. Cela a permis qu'elle se raconte. Les femmes d'expat ont la belle vie, dit-on. Or elles ne la trouvent pas toujours merveilleuse, mais au docteur Kumar, on peut dire qu'on n'en a rien à faire d'aller passer l'après midi à la piscine au lieu d'aller au bureau, qu'on est malheureuse.
Extrait : "Quand arrive la livraison des courses, je me précipite dans la cuisine pour retirer les étiquettes avec le prix. Je ne peux pas supporter l'idée que Mary, Pooja ou Aditi voient que j'ai payé 600 roupies un morceau de parmesan, que la confiture coûte à peu près ce que gagne Mary en une journée de travail. Et le jambon de porc importé, c'est tout juste si je ne le cache pas au fond du frigidaire... Je suis folle, c'est ça que vous pensez ? C'est qui cette foldingue de Française qui veut consulter parce qu'elle cache du jambon italien dans son frigidaire ?" |
Vous avez testé sous forme de blog quelques unes de ces consultations
J'ai publié un blog pendant quelques semaines sous forme de feuilleton. J'avais beau avoir précisé que c'était un roman, certains lecteurs pensaient que ce n'était pas une fiction ! Ils me souhaitaient « bon courage », me donnaient des conseils. Je pensais que ce blog amuserait juste les femmes expatriées de Delhi autour de moi. J'ai vu que cela touchait les expatriés ailleurs dans le monde, voire des femmes en France qui se demandent à quoi tient la réussite d'une vie. Ce fut une vraie surprise !
Il y a beaucoup d'humour mais on vous sent attendrie par les hauts et les bas de Sophie
Au cours de l'écriture, je me suis rendu compte que le sujet méritait de la profondeur. Sophie est sympathique, touchante dans son questionnement, et en même temps elle peut être franchement agaçante avec ses complaintes. Tout le monde peut être comme ça.
Vous avez aussi vécu en Thaïlande. Auriez-vous pu écrire ce roman à Bangkok?
Beaucoup de choses auraient été différentes, la vie est plus douce et plus facile en Thaïlande, mais le choc culturel aurait été présent aussi, si ça avait été ma première expatriation. D'ailleurs, j'y ai aussi croisé des femmes pour lesquelles la vie n'était pas du tout évidente.
Si vous deviez décrire un très beau souvenir de votre séjour en Inde ?
Je garde de cette période de ma vie un sentiment très fort de liberté, une sensation de pouvoir se réinventer. Comme moment fulgurant, j'ai l'image de ma fille courant sur le marbre blanc, ivre de bonheur, au Taj Mahal, disant des mots en hindi, ouverte à tous les gens qui voulaient la photographier. Mais aussi ma fille asthmatique, malade de la pollution, qui s'étouffait en pleine nuit. Cette ambivalence représente bien notre séjour sur place.
Avez-vous un message pour les expatriés ?
Mon livre est parfois une satire mais c'est aussi une forme d'hommage, je voudrais dire chapeau à ces femmes parfois moquées parce qu'elles suivent leur conjoint et qu'elles ne travaillent plus. Quelles ressources elles doivent développer pour se renouveler, s'inventer une vie moins tracée que si elles étaient restées dans leur environnement habituel !
Indian Therapy est un livre chaleureusement recommandé à tous les expatriés ou futurs expatriés par la rédaction du site lepetitjournal.com !
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