

La compagnie de danse française Black Blanc Beur passe une semaine à Buenos Aires. Pour deux représentations de T'es trois au Konex, samedi et dimanche. Mais aussi pour échanger, dans des ateliers de hip hop, avec les jeunes de la fondation Crear vale la pena.
Dans T'es trois, "on dépend des uns et des autres par nos différences et nos indifférences", dit Lowriz (photo Hardcore Session)
C'était
en 1983, au début des années Mitterrand. L'époque de l'action
socio-culturelle et aussi celle de l'arrivée du hip hop en France, une
danse urbaine née aux Etats-Unis comme un prolongement du mouvement des
noirs pour les droits civiques. "Quand
Christine a vu cette danse, surtout dans les lieux publics, elle a vu
cette synthèse du plaisir, du rythme, du lien physique au sol, de la
virtuosité", se souvient Jean Djemad. Chargé d'une étude sur la
situation des jeunes dans la ville nouvelle de
Saint-Quentin-en-Yvelines, en région parisienne, il a alors l'idée,
avec sa compagne danseuse, Christine Coudun, de mener une
expérimentation artistique et culturelle. Parce qu'ils pensent que "cette danse permet de raconter des choses", ils lancent le projet d'une compagnie qui intègrerait des jeunes de 16 à 21 ans pour "construire quelque chose".
La première audition attire 600 jeunes. 39 sont retenus et démarrent
tout de suite la création d'un spectacle, qui sera joué quelques mois
plus tard dans le parking souterrain d'une gare, faute de mieux. Le hip
hop, la break dance, à l'époque, ça fait pas très sérieux. "L'idée,
c'était de faire une compagnie professionnelle qui puisse développer
une mémoire dans une ville nouvelle sans mémoire, pour lui donner une
mémoire qui soit métisse", explique le cofondateur de Black Blanc Beur, ou B3.
Elle
s'appellera donc Black Blanc Beur, pour assumer et inscrire un geste
artistique dans une France pluriethnique. Car le début des années 1980,
c'est aussi l'époque de l'association SOS Racisme Touche pas à mon
pote, de la marche des beurs, ces enfants d'immigrés d'Afrique du Nord,
des manifs contre le racisme. Jean Djemad et Christine Coudun
s'impliquent dans leur projet avec une bonne dose d'utopie, font venir
des chorégraphes, commencent à faire tourner les spectacles en France
et à l'étranger, élargissent l'expérience à des écoles, des prisons,
des hôpitaux. "L'objectif est artistique, les effets sont sociaux", dit-il.
Danser, transmettre, échanger
Black
Blanc Beur compte aujourd'hui 22 danseurs, certains depuis le début.
Avec un répertoire d'une dizaine de pièces, ils sont montés sur scène
un bon millier de fois, dans le monde entier. Les voici à Buenos Aires.
Trois d'entre eux, François Kaleka, Laurent Kong A Siou et Lowriz Vo
Trung Ngon, nous montreront samedi et dimanche leur virtuosité dans T'es trois,
justement. Un spectacle inspiré des événements en banlieues en novembre
2005, à la suite de la mort de deux adolescents poursuivis par des
policiers. "La violence a toujours existé, mais quand on donne plus dans la répression que dans la prévention, il n'y a plus d'échanges", explique Lowriz, danseur de B3 depuis cinq ans. T'es trois, c'est l'histoire d'un dérapage, un accident du quotidien qui se termine dans la violence, "mais on tourne ça en tragicomique".
Lowriz est aussi non pas formateur, il n'aime guère ce terme qui crée un rapport hiérarchique, mais "transmetteur". Il a donc "transmis", ces jours derniers, un peu de son art à des jeunes de Crear vale la pena. "En
Argentine, c'est le même cas de figure qu'au début du hip hop en
France, sans code, juste une énergie. C'est beaucoup plus frais", explique-t-il. "Avec Black Blanc Beur, on partage les mêmes idées. Pour nous, ils sont un modèle dans la transformation sociale grâce à l'art",
explique Mara Borchardt, de la Fondation Crear vale la pena, créée en
1993, sous un nom ("créer vaut la peine") qui a valeur de manifeste.
Car "quand on offre ce qu'il y a de mieux, on génère des comportements à la hauteur de cette confiance". C'est l'expérience de Jean Djemad qui parle.
Laurence RIZET. (www.lepetitjournal.com) Jeudi 7 décembre 2006
T'es trois samedi 9 à 21h et dimanche 10 décembre à 19h au centre culturel Konex, Sarmiento 3131. Entrée: de 15 à 25$. Réservations Ticketek: 5237-7200
Pour en savoir plus, le site de la compagnie Black Blanc Beur et celui de Crear vale la pena.