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Voir ou ne pas voir avec Rembrandt, une raison de retourner au SMK

Rembrandt Les Pèlerins d'Emmaüs Musée Jacquemart-André Paris Max Milner Rembrandt Les Pèlerins d'Emmaüs Musée Jacquemart-André Paris Max Milner
Rembrandt, Les Pèlerins d'Emmaüs, Musée Jacquemart-André
Écrit par Violaine Caminade de Schuytter
Publié le 26 août 2020, mis à jour le 26 août 2020

Allée l’an dernier au musée Jacquemart-André découvrir l’exposition Hammershoi, j’en suis ressortie avec un petit livre de Max Milner portant non sur le peintre danois à l’honneur parisien mais sur « Rembrandt à Emmaüs ».

 

Les pèlerins d'Emmaüs du musée Jacquemart-André à Paris 

Ce n’est pas le moindre mérite de ce musée parisien que d’avoir dans ses trésors permanents une toile que Rembrandt a peinte alors qu’il n’avait que vingt-deux ans. Quel en est son sujet ? Après la crucifixion, le tombeau est découvert vide. Mais voilà que Jésus réapparaît à des pélerins. La reconnaissance n’est pas immédiate. L’épisode rapporté dans l’Evangile de Saint-Luc a donné lieu à de nombreux tableaux baroques car la scène constitue un défi pour ces peintres : suggérer tout à la fois la méconnaissance, la prise de conscience et la disparition du Christ. C’est beaucoup pour un seul homme et un seul tableau ! Moment unique donc : « au-delà du prodige qui fascine, un passé et un avenir sont inclus dans l’image » où coïncide « la présence et la perte, la gloire et l’absence »1.

Le livre s’attache à tenter de percer le secret de la persévérance de Rembrandt à revisiter le même motif, obsession récurrente au fil de nombreuses variantes comprenant de multiples esquisses et d’autant plus déroutante que c’est paradoxalement le coup d’essai qui se révèle un coup de maître, la tentative la plus audacieuse et la plus moderne.

Rembrandt, doté du culot de la jeunesse, va en quelque sorte droit au but, mêlant banalité et sacré, trivialité et incroyable. C’est entre autres ce qu’incarne ce sac énigmatique pendu au-dessus du pèlerin, telle une auréole grotesque, celle de la vie quotidienne. Car ce sac sans tenue qui pend à un clou chapeaute humblement le visage abasourdi du pauvre bougre déstabilisé par une résurrection impensable dont il est pourtant le témoin. Cette responsabilité qui lui incombe, celle d’oser reconnaître le miracle, est lourde à porter et l’affole : l’instant est exceptionnel et commande d’être à sa hauteur.

Mais cet objet quelconque est insolite par sa place au sein du tableau, une place trop centrale pour ne pas attiser la curiosité mais trop incertaine pour être réductible à une interprétation univoque. On bute sur cet obstacle et cela restitue la surprise du pèlerin pris de court par l’inquiétante étrangeté du phénomène divin. Le visage du Christ n’est qu’à peine visible et cette frustration nous rend l’étonnement des pèlerins familier puisque nous sommes donc par la forme même choisie par Rembrandt en mesure de la partager.

Rembrandt opte pour un contre-jour surprenant afin de mettre en valeur le Christ. C’est une bougie cachée qui est la source du clair-obscur. Outre les deux pèlerins se dessine en arrière-plan une servante en pleine action ménagère. Cet aperçu donne une profondeur de champ domestique à la révélation divine. Une place discrète est accordée au travail fait dans l’ombre mais la similitude des postures corporelles du Christ et de la servante, tous deux en contre-jour, valorise donc cette petitesse.

 

Une autre version de la scène dans les collections du musée du SMK à Copenhague 

Mais le livre de Max Milner ne m’éloigne du Danemark que pour mieux m’y ramener car une des versions de la scène se trouve au SMK et le Christ y semble aussi vulnérable que dans la version de Rembrandt du Louvre de 1648. Le peintre Fromentin y était sensible en son temps au caractère unique de cette représentation du Rédempteur, touché par cette « gloire indécise, et ce je-ne-sais d’un vivant qui respire et qui certainement a passé par la mort » 2.
Seule ombre au tableau du SMK : c’est probablement une copie, à attribuer à l’Atelier de Rembrandt. Faite aussi en 1648, mais probablement légèrement antérieure, cette toile décentre la figure christique. Une légère dissymétrie entre les deux pans place le Christ à la fois presque au coeur de la scène mais décalé à gauche. Si le rouge de sa tenue pourrait faire de Jésus le clou du spectacle, le traitement de la lumière le rend plus fantomatique au profit de deux figures secondaires plus incarnées : la vieille servante, dont le visage est illuminé, apporte un verre qu’elle tend tel un miroir. Et surtout un jeune serviteur à moitié éclairé par le reflet est muni d’un plateau, tout entier absorbé par l’accomplissement de sa tâche. Il semble détourner son visage et porter son attention non au Christ mais au pèlerin placé à droite. La présence pleine de sollicitude de ce jeune homme au visage si moderne souligne indirectement le fait que le sens religieux de l’épisode échappe complètement à ces deux humbles protagonistes. Leur ignorance de ce qui se trame sert de faire-valoir à l’inouï, qui est cependant déjoué. Cela est confirmé par le rideau tiré sur le côté : il connote la théâtralité mais la couleur foncée dédramatise néanmoins la mise en scène surnaturelle. Les personnages sont en outre surélevés, sur une sorte d’estrade qui les arrache à la sphère de la simple réalité, estrade dont la présence est soulignée par les plis du rideau . Tout se passe alors comme si c’était la lumière qui devenait le centre de projection du spectateur. Le triangle lumineux appelle alors nos regards sur ce pan du décor apparemment vide, rendant sensible une présence diffuse, le début d’un mystère : celui de l’incarnation.

 

Rembrandt SMK Copenhague
Supper at Emmaüs, Rembrandt, SMK

 

 

1 Max Milner, Rembrandt à Emmaüs, Editions Corti, 2ème édition, 2015, p. 55. 

2 Ibidem, p. 78.

 

Pour voir ces tableaux : 

Musée Jacquemart-André : 158 bd Haussmann, 75008 Paris 

Musée Statens Museum for Kunst : Sølvgade 48-50, 1307 Copenhague K 

 

 

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